La nouvelle, tombée au coeur de l’été, a provoqué un choc dans les rangs des sauvaginiers : le Conseil d’État a suspendu un arrêté ministériel autorisant la chasse au courlis cendré. La haute juridiction administrative avait été saisie par la Ligue de protection des oiseaux (LPO) suite à l’arrêté pris par la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, et daté du 31 juillet 2019. Ce texte autorisait la chasse de 6 000 courlis cendrés à partir du 3 août sur la façade maritime de l’Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord, puis à partir du 15 septembre partout ailleurs.

La concertation avec les scientifiques semblait avoir fonctionné et les chasseurs s’en réjouissaient.

Patatras ! « Encore une fois, l’Europe et le Conseil d’État ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, ne parlant que de la chasse comme variable d’ajustement », s’est indignée dans un communiqué la Fédération nationale des chasseurs (FNC), qui demande « la suspension immédiate des négociations autour de la gestion adaptative tant que des bases saines n’auront pas été trouvées ». Un autre arrêté concernant cette fois la chasse aux oies sauvages avait également été suspendu en début d’année par le Conseil d’État. Dans un commentaire sur la récente loi chasse (voir le Betteravier français du 16 juillet) nous avions émis des doutes sur cette fameuse gestion adaptative. En effet, dès le départ les dés sont pipés. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis ou au Canada où les scientifiques travaillent main dans la main avec les chasseurs, en Europe un mur de méfiance sépare les uns des autres. Pour une association comme la LPO, travailler avec des chasseurs n’est pas raisonnable quels que soient les efforts déployés par ces derniers pour préserver l’environnement. On est « protecteur » ou on est « chasseur ». Il faut bien dire que l’opinion n’est pas favorable aux seconds et qu’elle se rallie assez massivement aux premiers ce qui leur donne des ailes. Cette attitude est néanmoins curieuse. Quand les Québécois, qui gèrent parfaitement leur faune, passent à 20 oies blanches par jour et par chasseur leur quota de prélèvement, personne ne bronche. Chez nous, obtenir l’autorisation de chasser l’oie cendrée quinze jours de plus en février provoque un tollé alors que l’espèce se porte très bien.

Nous avons actuellement 50 000 bernaches cravant en hivernage sur le Bassin d’Arcachon ce qui est considérable et peut menacer les zostères qui sont les herbes marines dont elles se nourrissent. Protégée depuis plus de trente ans à une époque où l’espèce déclinait l’oie s’est refait une belle santé. Au Québec ou au Canada aucun problème : elle sort de la protection. Pas en Europe. Quand on entre « en protection », pas question d’en sortir.

Dans ce contexte la Fédération nationale des chasseurs s’est montrée pour le moins candide. Imaginer que tout allait changer et que l’on allait pouvoir travailler avec les adversaires d’hier, en bons camarades, relève de l’utopie.

Veto systématique
On dira « mais le courlis cendré est classé vulnérable » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Sans doute. Mais il faut savoir que cet organisme ratisse (très) large et que ses comptages sont aléatoires. Ce sont en vérité des estimations qui ne tiennent pas compte des situations particulières. Ensuite la FNC avait aussi mis sur la table une étude scientifique de qualité. Enfin et tous les vrais écologistes le savent ce n’est pas la chasse qui représente un danger pour une espèce mais l’évolution du milieu. Dans ces conditions le prélèvement autorisé par la ministre de la transaction écologique restait tout à fait compatible avec la population concernée.

On pourrait adhérer à la position de la LPO si, dans certains cas, elle se montrait ouverte aux discussions, si elle admettait, par exemple, le prolongement de la chasse aux oies cendrées ou un quota de bernaches cravant. Mais à partir du moment où elle met un veto systématique comment croire encore à un désir de collaboration objectif ? Dans ce contexte la FNC, visiblement écoeurée, a claqué la porte de la fameuse « gestion adaptative ».

Reste une question lancinante : et maintenant que fait-on ?

ÉRIC JOLY