C’est – avec la tourterelle turque – le gibier dont l’expansion est la plus spectaculaire. Du nord au sud et de l’est à l’ouest, le pigeon ramier s’est implanté partout. Pourquoi ? On peut évoquer de multiples paramètres comme la multiplication des emblavements de maïs. Mais la vérité nous oblige à écrire que nous n’en savons rien, que la nature obéit à des lois parfois mystérieuses et qu’il serait hasardeux d’asséner des explications.

Cette espèce longtemps cantonnée aux bois et aux forêts nous a pris en sympathie. La fumée, les vapeurs d’échappement, les pesticides ne l’effraient pas. On voit le pigeon au col blanc se brancher sur les arbres en bordure des embouteillages, roucouler entre les cheminées, nicher dans les jardins publics. Mieux : il niche là où il ne nichait jamais il y a dix ans, dans la grande pinède des Landes notamment.

Purge
Les agriculteurs font parfois la moue car l’oiseau est un grand dévoreur de semences.

Il fait des dégâts sur le colza, les légumineuses, les céréales et les arbres fruitiers. La généralisation des cultures de colza s’est accompagnée d’une augmentation de la taille des bandes de ramiers.

En France, ces dégâts touchent les grandes régions agricoles où s’est développée une monoculture intensive, notamment en périphérie des grandes villes. Dans la région parisienne le pigeon couche au milieu des immeubles et va se nourrir dans les champs.

Quand on roule sur le périphérique le matin il n’y a qu’à lever le nez pour voir des bandes aller se mettre au vert. Nous avons choisi une régulation limitée. C’est-à-dire qu’en dehors de la période de chasse il faut demander des autorisations nominales et justifiées. Mais les Britanniques, eux, ont
choisi la manière forte. La chasse est ouverte toute l’année et il y a même des professionnels payés pour abattre les malfaisants. Posté aux abords des cultures, le chasseur attire l’oiseau bleu avec le fameux « tourniquet ». Imaginez un arroseur de jardin tournant, remplacez les pommes par
deux oiseaux morts les ailes écartées et le tour est joué. Vu de loin on a l’impression de voir deux oiseaux s’ébattre au-dessus du champ. Le ramier vient benoîtement aux nouvelles et tout est dit. Les prélèvements sont conséquents. C’est d’ailleurs le but. Tuer cinquante ou soixante oiseaux dans la matinée ne fait lever le sourcil de personne. Qu’en fait-on ? Nos amis britanniques méprisant ce gibier presque autant que le lièvre avaient pour habitude de les enterrer. Mais ayant compris que, rebaptisé « palombe », l’oiseau séduisait nos gourmets, ils l’envoient maintenant par conteneurs à Rungis.

Activement chassée toute l’année, l’espèce a-t-elle pour autant diminué chez nos voisins ? Absolument pas. Tout au contraire, les effectifs augmentent. C’est que le ramier est costaud. Un ornithologue anglais (Murton 1965) estime que la population de ramiers anglaise pourrait rester stable avec une mortalité adulte de 36 %, et un taux de prédation atteignant 80 % des couvées ! Une autre étude, danoise celle-là, souligne qu’il suffit d’ 1,8 jeune/couple/an pour que la population locale reste stable.

Solide géniteur
Côté reproduction, justement, le ramier lorgne du côté du lapin. Ce solide géniteur fait au moins deux ou trois couvées par an mais si elles sont détruites il peut aller jusqu’à huit ou neuf. À chaque fois la femelle pond deux oeufs.

Le seul bémol concernerait la population des « grands migrateurs ». Il s’agit des oiseaux venant du nord de l’Europe et qui chaque automne traversent les Pyrénées pour aller hiverner en Espagne. Pendant des années on les attendait sur les cols. Ces derniers se louaient fort chers et puis, patatras, la palombe a brusquement boudé la montagne. Depuis maintenant une dizaine d’années on en voit beaucoup moins au-dessus des Pyrénées. Toutefois les « paloumayres » des Landes font toujours de belles chasses, ce qui devrait nous mettre la puce à l’oreille. Nos grands migrateurs profitant des immensités de maïs nouvellement installées sous la pinède n’ont plus aucune raison de dépenser de l’énergie pour poursuivre le voyage. Ils trouvent en effet table mise tout l’hiver.

Une partie de ces grands voyageurs s’abat également dans la région parisienne où les concentrations hivernales peuvent devenir impressionnantes. Certains propriétaires de bois louent la chasse uniquement pour ce gibier. Ce sont des pylônes ou des postes fixes installés sur les lisières.

Bref, tout va bien !
La population européenne du pigeon ramier était estimée, en 2000, entre 8 et 15 millions de couples nicheurs (BirdLife International/EBCC). Nul doute qu’aujourd’hui on doit friser les 20 millions. L’espèce tend sans cesse à élargir sa zone de répartition. Pour la première fois, le ramier est l’oiseau
le plus fréquent dans les jardins en région bruxelloise (place autrefois occupée par le merle noir). Avec 53,7 % des jardins fréquentés lors du dernier recensement, il devance la tourterelle turque (51,4 %).

À une époque où l’on ne parle que de l’extinction des espèces, il semblait approprié de dire un mot aussi sur celles qui pètent la forme. C’est fait.

ÉRIC JOLY