Le régulateur s’agenouille entre les piquets de bouchot (1). Il porte un fusil de calibre 12 et scrute le ciel. On le filme, sur une plage bretonne, pour une interview à la télévision. C’est un « effaroucheur professionnel » de goélands argentés. Il patrouille autour des parcs à moules huit heures par jour. À pied à marée basse, en bateau à marée haute. Au journaliste, il explique qu’à plus de 90% il tire en l’air pour effrayer les oiseaux. Certes, en vertu d’un arrêté préfectoral il a le droit d’en ajuster aussi quelques-uns mais il évite d’en parler.

Le goéland argenté est devenu une nuisance sur tout le littoral. Il dévaste les bouchots, souille les toits et les rues, réveille les citoyens à pas d’heure.

Il s’installe à la terrasse des cafés, va chiper le jambon jusque dans l’assiette, rode au- dessus des piscicultures et maraude autour des cuisines. On ne sait comment s’en défaire d’autant que les associations de protection de la nature veillent au grain et attaquent systématiquement les arrêtés des préfets quand ils autorisent un quota de tir. Les habitants des villes côtières sont excédés.

Yorkshire

Il y a des incidents pittoresques. La station locale de France 3, à Nice, nous apprend qu’un yorkshire a été enlevé, jeté dans la mer et dévoré. Toujours sur la même chaine un poissonnier rapporte avoir vu des goélands s’attaquer à un chaton et le mettre en pièces. « Ils crient trop et nous font dessus », résume sobrement un lycéen, au micro de France Bleu Cotentin.

On a du mal à expliquer cette invasion. On a beaucoup parlé des décharges à ciel ouvert. Elles auraient donné aux oiseaux une nourriture facile mais il n’y a pas de décharges partout. Le problème est que l’on veut toujours expliquer les phénomènes naturels alors qu’assez souvent nous n’avons pas d’explications. Allez donc expliquer l’incroyable expansion de la tourterelle turque qui, partie des Balkans, niche aujourd’hui en Grande-Bretagne, en France, au Maroc et aux Pays-Bas ?

Confrontés aux dégâts des goélands argentés les maires font ce qu’ils peuvent. Leur marge d’action est très limitée. Car l’oiseau est protégé. Et le faire sortir du cadre de la protection est mission impossible. Alors il faut ruser. On a d’abord songé à stériliser les œufs. Les associations de protection de la nature s’y sont résolues du bout des lèvres. On engage donc des spécialistes qui vont beurrer chaque œuf d’une solution bizarre. C’est très fastidieux, cela coûte « un pognon de dingue », comme dirait le chef de l’État, et les résultats ne sont pas convaincants. On a aussi missionné des fauconniers et installé des effaroucheurs acoustiques imitant les cris des rapaces et toutes sortes d’épouvantails. Le goéland qui est malin comprend qu’il s’agit de blagues et ne s’enfuit plus.

Réguler l’homme ?

Alors que faire ? Suivre la voie administrative. Ou la voie politique, c’est-à-dire poser des questions au gouvernement. La « plume » du ministère de l’Écologie répond. Voici un exemple de réponse publiée au JO : le ministre a pris connaissance, « avec intérêt », de la prolifération des goélands argentés dans les villes côtières, notamment à Courseulles-sur-Mer (Calvados). Il rappelle que l’espèce est protégée mais que des autorisations sont accordées aux maires des communes concernées afin de réduire « les nuisances sonores et sanitaires des oiseaux qui nichent sur les toits ». On reconnaît « des difficultés à freiner la croissance démographique des colonies urbaines », mais la maîtrise du problème repose avant tout sur une volonté des municipalités de limiter les causes anthropiques de cette prolifération.

Notre édile est bien avancé … Retour à la case départ. S’il demande au préfet une autorisation de tir, les associations le poursuivent et très souvent obtiennent satisfaction devant les tribunaux. Le maire doit réaliser un compte-rendu annuel des opérations de stérilisation et de leur impact (quasi nul). Et, surtout, limiter les causes anthropiques de la prolifération. Anthropiques, vous avez dit anthropiques ? De quoi s’agit-il ? Eh bien, de régenter les humains et donc ses administrés. Ces derniers devraient se montrer raisonnables, éviter de commander du jambon à la terrasse des cafés, préférer une salade, éviter les sandwiches et les moules, ne pas pique-niquer sur les plages, utiliser des boules Quies pour dormir. Dans l’idéal, ils devraient aussi apprendre à moins se reproduire pour diminuer les contacts avec les oiseaux marins. En effet, plus la population est importante et plus les risques d’affrontement se multiplient.

Des mesures de bon sens « anthropiques » qui, n’en doutons pas, donneront des résultats épatants.

Eric Joly


(1) Support d’elevage des moules et autres coquillages.