Et si le blé noir devenait une spécialité normande ! Les chambres d’agriculture de Normandie y croient en organisant une nouvelle filière agricole autour de la production de sarrasin.

Autrefois largement répandue en Normandie, la culture du sarrasin s’est faite beaucoup plus rare aujourd’hui. En France, on en comptait 750 000 hectares en 1850, contre 5 000 hectares aujourd’hui, essentiellement en Bretagne. Le sarrasin consommé provient à plus de 70 % d’importation, de Chine et d’Ukraine. Des agriculteurs ont alors sauté le pas en s’associant à un meunier, les Moulins d’Alençon, et à un fabricant, la Galette d’Alençon, et ça marche !

Le sarrasin figure dans la liste des plantes expérimentées par la chambre d’agriculture de l’Eure et séduit les pouvoirs publics car c’est une culture économe en intrants qui ne requiert ni herbicide, ni fongicide, ni insecticide, qui consomme peu d’eau et ne nécessite pas d’apport azoté. C’est une excellente plante de transition pour reposer le sol entre deux cultures.

Avant l’orge ou les betteraves sucrières

Gilles Lievens, élu en mars dernier à la présidence de la chambre d’agriculture de l’Eure et betteravier à Boscguérardde-Marcouville près de Grand Bourgtheroulde dans l’Eure, fait partie des pionniers qui croient au projet.

Le groupe d’agriculteurs a commencé à s’intéresser au sarrasin il y a cinq ans. « Le sarrasin nous a séduits car dans une approche de baisse des intrants, la culture ne demande pas beaucoup d’interventions. On sème, on surveille et on récolte », déclare l’agriculteur même si la récolte en automne est délicate car la paille pleine de jus peut bourrer les secoueurs de la moissonneuse-batteuse.

« Nous visons l’objectif de récolter une à deux tonnes de graines par hectare selon les années et la qualité des terres. Nous ne maîtrisons pas encore complètement la culture en dérobé, mais son aspect est intéressant notamment en termes de couverture des sols tout l’automne. Je la cultive sur des chaumes d’orge, respectant ainsi l’obligation réglementaire en valorisant la couverture des sols, mais cela reste difficile à maîtriser. L’année dernière, nous avons eu des gelées tardives au moment de la floraison et la récolte n’a pas été aussi bonne. Cela fait deux ou trois ans que je cultive le sarrasin avant des betteraves sucrières et c’est un bon couvert en termes de valorisation », conclut Gilles Lievens.

La plante se cultive de deux manières, soit en tête d’assolement avec un semis en mai, soit en culture dérobée après une culture d’orge en juillet par exemple et une moisson en octobre.

Autre membre du groupe et planteur de betteraves à Bouquetot (Eure), Arnaud Taupin s’est engagé dans les mesures agroenvironnementales. « La démarche économique proposée par la filière sarrasin, en produisant plus local, à taille humaine, permet un juste partage de la valeur ajoutée et c’est pour moi l’avenir de notre métier », déclare l’agriculteur eurois.

Du champ à l’assiette

Les agriculteurs travaillent avec les établissements Lepicard à Yerville (Seine-Maritime), négociant agricole en Normandie et en région parisienne qui s’est impliqué dans le projet en s’équipant pour pouvoir trier et sécher de petits volumes de production et permettre à la graine de sarrasin d’exprimer toutes ses qualités technologiques et gustatives. Les Moulins d’Alençon dans l’Orne, associés aux producteurs, perpétuent un savoir-faire sur meule de pierre et produisent une farine de haute qualité. Les producteurs se sont aussi associés au fabricant la Galette d’Alençon qui crée des galettes ultra-fraîches sans additif ni conservateur. Les galettes 100 % made in Normandie sont proposées dans les rayons des magasins et des GMS dès le lendemain de la fabrication.

Patrice Lefebvre