L’affaire est pittoresque : la Fédération départementale des chasseurs (FDC) de l’Orne assigne devant le tribunal d’instance d’Argentan Luc Besson pour ne pas avoir régulé les animaux situés sur sa propriété. Possesseur d’un domaine situé à La Trinité-des-Laitiers, le réalisateur refuse de tuer ou de laisser tuer des cerfs qui détruisent des récoltes, ce qui alourdit la facture des dégâts. La Fédération lui réclame 122 198 euros pour « couvrir les indemnités versées à une demi-douzaine d’agriculteurs et divers frais engagés dans cette procédure ». L’argent leur a été versé à la suite de la destruction ou de la baisse de récoltes de maïs et de blé. Le nombre des cerfs fautifs est estimé entre 50 et 100. Les chasseurs ont fait effectuer « onze constats d’huissiers entre janvier 2016 et mars 2017, relevant des piétinements, des empreintes et des plans broutés ». De son côté, l’avocat du réalisateur souligne que « Le refus de tuer un animal ne saurait être considéré comme une faute. » Il ajoute que « le bois de Luc Besson représente 1,4 % du massif de Saint-Évroult » et qu’une « étude sérieuse doit se faire à l’échelle de toute la forêt de Saint-Évroult ». L’avocat estime qu’affirmer que cette parcelle de terrain sur laquelle les cerfs ne sont pas chassés « serait responsable de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique de tout le massif est une hérésie. »

Petit rappel de la législation

Traditionnellement, en droit français, le gibier est classé res nullius, c’est-à-dire qu’il n’appartient à personne. Dans ce cas un propriétaire de fond ne saurait être responsable de dégâts commis par des animaux qui ne sont pas « ses » animaux. Toutefois la cour de cassation, il y a déjà longtemps, est revenue sur ce principe et a tranché en faveur de l’application de l’article 1383 du Code civil qui pose comme principe que : « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » D’où l’obligation pour la victime d’apporter la preuve pas toujours évidente de la faute du détenteur du droit de chasse. Cette preuve, si difficile à apporter, a provoqué une ébullition législative. Il fallait résoudre le casse-tête de l’indemnisation des dégâts de gibier.

En effet comment apporter la preuve que l’animal de M. Dupont a saccagé les cultures de M. Durand ?

Aujourd’hui, c’est plus simple : l’indemnisation est automatiquement payée par la Fédération départementale des chasseurs. Elle dispose d’un fonds alimenté par les cotisations des chasseurs. L’agriculteur lésé est donc automatiquement indemnisé après expertise. Il ne faut pas toutefois que le plaignant, chasseur autant qu’agriculteur, fasse venir les animaux chez lui… en les agrainant par exemple. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Ce que disent les textes aujourd’hui

Dans le cas qui nous intéresse la FDC paye les agriculteurs comme c’est normal mais se retourne contre un propriétaire privé.

Est-ce juridiquement possible ? Oui. En effet la réglementation stipule que « Lorsque le bénéficiaire du plan de chasse ne prélève pas le nombre minimum d’animaux qui lui est attribué, il peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l’indemnisation (…) » et « Il en est de même pour les personnes qui ayant formé l’opposition (à la chasse) n’ont pas procédé sur leur fonds à la régulation des espèces de grand gibier. »

En clair, les chasseurs veulent bien payer les dégâts quand le cheptel est bien géré mais claquent la barrière quand un propriétaire se désintéresse de la question et laisse le grand gibier proliférer.

L’affaire ne nous semble pourtant pas gagnée pour la FDC pour deux raisons : d’abord comment individualiser les animaux ? Ils ne portent pas la marque Besson sur le poil. Ensuite plus de 80 % des dommages sont attribués aux sangliers. Or on ne parle pas de sangliers mais de cerfs. Ce sont bien la plupart du temps des sangliers que l’on trouve dans les champs de maïs et on ne voit pas pourquoi les cerfs de l’Orne auraient changé de régime alimentaire.

Certes la FDC répliquera que les parcelles sur lesquelles se produisent les dégâts jouxtent la propriété de Luc Besson et que par conséquent l’évidence saute aux yeux. Elle ajoutera comme nous l’avons vu que ne pas gérer ses grands animaux est juridiquement une faute. Le réalisateur pourra contre attaquer en disant qu’un cerf bouge et qu’il ne peut pas surveiller tous les animaux qui traversent sa propriété. Il ne le dira pas (car il est anti-chasse) mais il pourrait aussi faire valoir que le préfet avait la possibilité d’ordonner chez lui une battue administrative.

La Fédération pourrait aussi refuser à l’avenir de payer les dégâts sur ces parcelles et laisser Besson discuter avec les agriculteurs lésés (autre procès en vue).

Quelle que soit la décision du tribunal, on peut gager qu’il y aura appel et que l’affaire, intéressante, ira peutêtre jusqu’à la cour de cassation. Bref, dans cet imbroglio, le réalisateur devrait être satisfait : c’est le grand bleu …

ÉRIC JOLY