Les prix du sucre sont toujours bas et les pucerons risquent de faire perdre du rendement. Les betteraviers sont inquiets, peuvent-ils compter sur leur coopérative ?
Les prix annoncés en septembre dernier pour la campagne 2020 seront tenus. Cristal Union s’engage à payer 23 €/t de prix de base pour les betteraves contractées et une prime de compétitivité de 2 €/t sur les 25 derniers pourcents des engagements, ce qui représentera 50 centimes d’euros pour les planteurs qui auront tenu leurs engagements. Quand on ajoutera la valeur moyenne des indemnités de campagne, on approchera les 24 €/t pour les betteraves 2020 de Cristal Union. Nos coopérateurs sont donc assurés d’avoir des prix supérieurs à ceux de 2019, qui étaient de 22 €/t, plus 50 centimes d’indemnités.
Les cours du sucre sont pourtant redescendus depuis votre annonce de septembre dernier. Comment allez-vous pouvoir tenir votre engagement ?
C’est toute la difficulté d’annoncer des prix trop tôt, on le voit bien avec cette crise qui n’était pas prévisible. Mais nous tiendrons nos engagements grâce à la restructuration que nous avons menée, même si on ne peut pas se réjouir d’avoir fermé les deux usines de Bourdon et de Toury. Et puis, si les cours mondiaux du sucre ont fortement baissé, les prix européens se sont globalement améliorés.
Comment voyez-vous évoluer les cours dans les prochains mois ?
Le prix du sucre est fortement lié à celui du pétrole. L’effondrement de son prix accentue la pression sur l’éthanol et incite le Brésil à produire davantage de sucre. Le déficit mondial qui était annoncé sera certainement comblé. Je ne vois pas le marché mondial remonter à court terme, sauf événement géopolitique ou climatique exceptionnel.
Le marché européen du sucre et de l’éthanol risque de subir des importations à bas prix. Faut-il mettre en œuvre des mesures exceptionnelles ?
Évidemment, il faut que l’Europe mette en place des clauses de sauvegarde, surtout pour l’éthanol. Le Brésil ou les États-Unis qui ont vu leur consommation d’éthanol fortement baisser, risquent d’envoyer en masse des volumes d’éthanol sur l’Union européenne. Cette demande pour l’éthanol est actuellement portée par la France à Bruxelles.
Comment se porte le marché de l’éthanol en France ?
Avec les restrictions de circulation, nos ventes ont fortement décroché de 80 % sur les deux derniers mois. Nous avons réussi à compenser une partie de cette baisse d’utilisation par la production d’alcool pharmaceutique pour répondre à la crise sanitaire en fabriquant notamment du gel hydroalcoolique. Mais la crise du Covid-19 aura un effet négatif sur nos comptes pour la campagne 2020 par rapport à des prévisions qui étaient plutôt bonnes.
N’oublions pas que si l’on n’a pas manqué de solutions hydroalcooliques en France, c’est bien grâce aux coopératives. Cristal Union produit 840 000 litres d’alcool par jour pour ce marché. Notre production d’alcool pharmaceutique a été multipliée par six. Tout le monde a pu constater que les masques et les tests venant de l’étranger ont cruellement manqué, contrairement au gel, sauf les 15 premiers jours, le temps que tout le monde prenne conscience qu’il y avait tout ce qu’il faut en France. Dans nos usines, les gens étaient fiers de contribuer à combattre le virus.
Les betteraviers subissent de fortes attaques de pucerons : comment peut-on gérer cela ?
La situation de cette année montre clairement que les alternatives aux néonicotinoïdes ne sont pas suffisantes. Il y a des apparitions de résistance chez les pucerons, les traitements aériens coûtent plus cher et cela ne répond pas aux enjeux environnementaux. Cette décision politique, qui concerne une plante qui ne fleurit pas, a été prise pour protéger des insectes qui vont sur des fleurs ! Elle s’avère être une erreur grave. Potentiellement, nous pouvons perdre 30 % de rendement. Je lance une alerte : il faut absolument corriger rectifier le tir en donnant une dérogation temporaire d’utilisation des néonicotinoïdes sur betteraves. À situation exceptionnelle, décision exceptionnelle. Plusieurs pays ont déjà donné des dérogations, comme la Belgique, la Pologne ou l’Autriche.
Mais cette demande a déjà été faite depuis deux ans, sans succès. Alors pourquoi revenir dessus aujourd’hui ?
Pourquoi ? Mais parce que c’est un non-sens. Je vois que les agriculteurs sont en train de se décourager. Ils peuvent accepter les aléas du marché, mais ils doivent tenir les rendements. Je ne suis pas là pour défendre les néonicotinoïdes, mais c’est la seule alternative que l’on a aujourd’hui. Il y aura des solutions dans l’avenir, les semenciers travaillent sur des variétés tolérantes, les sociétés phytopharmaceutiques sur le biocontrole, mais c’est un problème de temps.
Pensez-vous que la période est plus favorable pour refaire cette demande ?
Il ne vous a pas échappé que le président de la République parle de souveraineté alimentaire et de relocalisation. Pendant la crise du Covid-19, nous n’avons pas manqué de sucre ni d’alcool pour le secteur pharmaceutique. Aujourd’hui, il faut être très pragmatique. Il faut cette dérogation, même renouvelée annuellement en attendant une alternative. Il est urgent d’agir. Ce n’est pas qu’un problème agricole, cette décision affaiblit l’ensemble de la filière française du sucre.
C’est une décision politique, comme la France a pu la prendre par le passé. Rappelez-vous que notre filière est née de la volonté de Napoléon 1er de sauvegarder notre souveraineté alimentaire.
La betterave est une plante qui répond à nos besoins de souveraineté alimentaire, sanitaire et énergétique. Si l’on n’est pas capable de préserver une filière qui a de telles vertus par une simple mesure de dérogation ponctuelle, je ne comprends plus rien.
Quelles pourraient être les conséquences si on ne vous donne pas de solutions ?
Si la betterave devient plus compliquée à produire et ne rapporte pas plus que les autres cultures, les agriculteurs feront autre chose. Et la particularité de notre culture, c’est qu’il y a des usines en face. Quand il n’y aura plus d’usine, on ne refera plus jamais de betteraves. J’ai une responsabilité vis-à-vis des 9 000 planteurs et des 2 000 salariés de Cristal Union. Je vais me battre pour obtenir cette dérogation pour les néonicotinoïdes.
Propos recueillis par François-Xavier Duquenne