Hubert Compère est avant tout un amoureux de la nature. Chasseur, pêcheur et agriculteur, il étudie avec attention l’évolution de la faune et de la microfaune. Pour le Péron, la petite rivière qui traverse son exploitation, il se réjouit de l’amélioration de la qualité de l’eau. « Le meilleur indicateur est la présence de frayères de truites Fario », confie-t-il. Et cet agriculteur de Mesbrecourt-Richecourt, dans l’Aisne, de souligner le rôle joué par la profession agricole. « Globalement, nous améliorons notre manière de travailler. Mais personne ne le dit », regrette-t-il, lui qui est aussi président du Syndicat du bassin de la Serre aval.

Sur sa ferme aux sols pentus et hétérogènes, il ne laboure plus depuis 2005, mais utilise les techniques culturales simplifiées. « Je travaille à 10 centimètres de profondeur avec un cover crop et à 5 centimètres avec un disco mulch. Je restructure avec un fissurateur Actisol, sans bouleverser les horizons du sol », détaille Hubert Compère. Résultat, il a supprimé les problèmes d’érosion et de placage, tout en améliorant la structure du sol.

Il soigne aussi l’apport de matières organiques avec du compost et des échanges paille-fumier. Pour les couverts, il diminue la moutarde au profit de mélanges. Quant à leur broyage, il attend, en général, début décembre afin d’obtenir une vraie richesse entomologique.

Fixer les auxiliaires de culture

« Mon objectif est de fixer les auxiliaires de culture : hyménoptères, syrphes, mouches carnivores, araignées… Avec les fleurs, je les attire, précise ce passionné. Ils peuvent nous aider à maîtriser certains ravageurs. » Avant de prévenir : « Mais attention, les insectes ne travaillent pas pour les agriculteurs ! Les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. » Et notre féru de microfaune prend le cas des pucerons verts sur la betterave. « Il me semble illusoire de maîtriser la jaunisse grâce aux auxiliaires. Il n’existe pas de populations de pucerons suffisantes au départ de la végétation des betteraves pour les attirer. Les auxiliaires n’arrivent qu’après, quand il y a suffisamment de pucerons pour se nourrir. Mais le mal est déjà fait. »

Autre mise en garde, les effets de la mise en place substantielle de bandes fleuries, forestières ou herbeuses. « Sur ma ferme, j’ai 20 kilomètres de surface non agricole (SNA) en bordure de mes parcelles : chemin, route, bois. Si certaines zones abritent des auxiliaires, elles engendrent souvent des pertes de rendement. Celles-ci sont importantes près des bois avec, parfois, rien en dessous des chênes, par exemple. Si nous sommes obligés d’avoir de telles zones, il faut que nous soyons indemnisés pour les incidences sur la production. »

Hubert Compère plaide pour une meilleure connaissance des insectes et de leurs interactions au champ. Il s’insurge quand il entend que nos sols sont morts. Certains inventaires d’insectes sont très incomplets. « Je trouve souvent des espèces signalées comme non présentes dans la région », note-t-il. Ce savoir demande des méthodologies précises, avec des observations fréquentes. L’agriculteur a beaucoup appris lors d’expérimentations menées par la firme Dupont. Cette dernière a réalisé chez lui un essai sur la sélectivité d’un insecticide contre les méligèthes sur les microguêpes. À cette occasion, il a découvert les méthodes piégeages : pots Barber dans la terre, filets fauchoirs et cuvette jaune. Surtout, il a compris la nécessité de relevés réguliers. Certaines espèces de microguêpes ou d’abeilles sauvages ne vivent que huit jours. Les relevés mensuels sont donc incomplets. Hubert Compère a recensé 50 taxons (familles) différentes sur l’essai en trois semaines. Sur un mètre carré de colza, notre observateur a dénombré 300 insectes en quatorze mois.

Outre la saisonnalité, l’effet “année” s’avère très important. Par exemple, certaines espèces de punaises sont présentes certaines années et pas d’autres. De même, un hiver sans gel favorisera l’arrivée précoce des pucerons.

Observer l’évolution des populations

Grâce à ces données, le betteravier ne traite que si les auxiliaires ne semblent pas être au rendez-vous. Si les colonies sont faibles, il examine leur évolution deux jours après. S’il trouve un puceron momifié, il n’hésite pas, poussé par sa passion pour les insectes, à le mettre dans un bocal jusqu’à ce que la larve dévoreuse éclose. Ainsi, il peut l’identifier.

Les prises de position idéologiques sans observation sur le terrain le mettent en colère. Pour les néonicotinoïdes sur betteraves, il constate dans ses comptages davantage de dégâts collatéraux avec des traitements aériens d’insecticides autorisés qu’avec l’enrobage de semences. Parce qu’il aime les données de terrain, il transmet son savoir à des agriculteurs lors des formations organisées par le réseau Dephy à la chambre d’agriculture. Son souhait : créer une association de type Symbiose pour la gestion de la biodiversité, avec un réseau rassemblant agriculteurs, chercheurs, chasseurs, apiculteurs, naturalistes, techniciens et financeurs. Elle pourrait contribuer à assurer la cohérence entre les réglementations environnementales et les réalités d’un territoire. Un groupe de quatorze agriculteurs de l’Aisne a déjà identifié 18 700 insectes en six mois. En attendant, Hubert Compère informe le grand public et les élus. Le 12 septembre dernier, il a reçu plus d’une centaine de personnes, dont quinze officiels (députés, sénateurs…). L’occasion de rappeler que le support naturel des insectes reste le sol de nos champs, et pas seulement les bordures. Mais aussi qu’en matière de biodiversité, les agriculteurs progressent en travaillant de mieux en mieux.