Plus que quelques jours avant la promulgation du texte en principe. Après l’Assemblée nationale le 6 octobre, le Sénat a adopté à son tour, dans la nuit du 27 au 28 octobre, le projet de loi visant à réintroduire les néonicotinoïdes dans l’enrobage des semences de betteraves, officiellement appelé “projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire”.

Malgré un couac, qui a engendré la suppression de l’article 1er, puis sa réintroduction par un amendement spécial gouvernemental, le texte a été adopté par la chambre haute par 184 voix pour, 128 contre et 28 abstentions. Au sein de la majorité sénatoriale, 12 sénateurs LR ont voté contre, de même que 8 centristes et un indépendant. 10 LR, autant de centristes et 3 indépendants se sont abstenus. « C’est une petite majorité, mais une majorité suffisante qui a pu faire passer le texte », estime Antoine Berthault-Barrenechea, consultant au cabinet Séance publique, qui conseille la filière betterave-sucre.

Ce texte, soutenu par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, va permettre de recourir à l’article 53 du règlement (CE) n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil de l’UE du 21 octobre 2009. Celui-ci prévoit la possibilité pour les États d’accorder une dérogation à l’interdiction de principe d’utilisation des néonicotinoïdes.

Pas d’interdiction sans alternative

Deux amendements portés par la présidente de la commission des affaires économiques et rapporteuse du texte, Sophie Primas, ont été adoptés. Ils s’insèrent dans deux articles additionnels après l’article 2 du projet de loi. Le premier amendement vise à acter dans la loi française le principe “pas d’interdiction sans alternative, dans des conditions pragmatiques”. « Ainsi, le principe d’étude préalable des alternatives par l’Anses devient obligatoire, en amont aux interdictions de produits phytopharmaceutiques », a expliqué Sophie Primas.

Le second amendement entend donner un pouvoir législatif d’interdiction au ministre de l’Agriculture de mise sur le marché ou d’importation de denrées alimentaires ne respectant pas les normes minimales requises sur le marché européen. « Si des substances actives sont interdites au niveau européen pour protéger la santé humaine ou l’environnement, il convient de pouvoir s’opposer à l’introduction de ces produits par importation », indique l’amendement.

« Malgré l’ajout de ces deux articles, le texte n’a pas été détricoté par rapport à la version votée par l’Assemblée nationale », constate Antoine Berthault-Barrenechea. Un avantage qui a lui permis de passer rapidement l’étape de la commission mixte paritaire (CMP), le 29 octobre. La commission a, en effet, trouvé un compromis final entre les versions du projet de loi votées par les deux chambres, sans retenir l’amendement sur le principe « pas d’interdiction sans alternative ». La CMP a modifié aussi la composition du conseil de surveillance, chargé d’encadrer les dérogations, en y incluant en plus de l’Inrae et de l’ITB, l’interprofession apicole, l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (Itsap), et l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (ex-Itab), auxquels pourront s’ajouter, selon l’ordre du jour, des représentants de la production et de la transformation. Les associations de consommateurs n’y figurent plus en revanche. Le nouveau texte a été adopté définitivement par l’Assemblée nationale le 30 octobre. Il doit ensuite passer en deuxième lecture au Sénat le 4 novembre.

Des risques de recours

Restera ensuite la question des recours, qui pourraient être déposés contre le texte par les oppositions communiste et socialiste, notamment. « Un recours pourrait être déposé pour inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, comme avait alerté la commission des affaires économiques du Sénat, à condition de réunir un minimum de soixante parlementaires », explique Antoine Berthault-Barrenechea. Mais le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, s’est voulu rassurant dans l’hémicycle. Selon lui, restreindre aux seules betteraves sucrières l’usage des néonicotinoïdes ne présenterait pas de risque de rupture du principe d’égalité devant la Constitution dans ce cas précis. Le décret d’application de la dérogation, qui devrait entrer en vigueur au 15 décembre, ainsi que celui fixant la composition précise du conseil de surveillance, pourraient également donner lieu à des recours devant le Conseil d’État cette fois. « Mais il faudra faire vite. Le gouvernement devra faire une demande de procédure d’examen accélérée afin de faire respecter l’objectif fixé d’une application de la loi avant la mi-décembre, le 15 au plus tard », prévient Antoine Berthault-Barrenechea.