« Après la pluie vient le beau temps ». Ce dicton se vérifiera-t-il en 2021 ? En tout cas, les conditions pour qu’il se réalise se mettent en place : une loi pour réutiliser les néonicotinoïdes, un plan de recherche doté de 7 M€, une indemnisation qui se met en place, un marché du sucre qui retrouve des couleurs, tout comme celui de l’alcool et de l’éthanol. Sur le papier, tous les voyants sont donc au vert, et la CGB anticipe une sortie de crise. Mais il est difficile de se projeter sur de nouveaux semis quand on a encore en tête les rendements catastrophiques de cette année. Les planteurs attendent de solides garanties avant de signer les bons de commande de graines et de sortir les semoirs.

Une perte financière de 280 M€ pour les betteraviers

Le choc de la jaunisse a été violent. L’invasion de pucerons a été inédite par sa précocité et son ampleur. Les conditions climatiques ont ensuite été très compliquées, avec une forte sécheresse couplée à d’autres problèmes sanitaires, notamment la remontée vers le nord des charançons. Plus la campagne avançait, plus on découvrait l’ampleur de la catastrophe. À ce jour, les rendements sont estimés au maximum à 65 t/ha, en baisse de 30 % par rapport à la moyenne sur 5 ans. « C’est du jamais vu depuis la campagne 1987-1988 », déclare Pierre Rayé, directeur général de la CGB. Ces baisses de rendement record engendrent des pertes financières colossales estimées par la CGB à 280 M€ pour les betteraviers français.

Au niveau individuel, les mauvais rendements se matérialisent par une perte moyenne de revenus de près de 700 €/ha de betterave, pouvant aller au-delà de 1 500 €/ha dans certaines parcelles (voir graphique).

La France est le pays de l’UE le plus touché par la jaunisse. Pour la filière, le virus a occasionné une forte baisse de production inférieure à 27,4 Mt de betteraves, qui ne produiront qu’environ 3,5 Mt de sucre et 8,5 Mhl d’alcool et d’éthanol. La perte de valeur ajoutée est estimée entre 600 et 700 M€ pour la filière.

Union sacrée

Dès le mois d’avril, la CGB a alerté les parlementaires et les préfets sur le risque de jaunisse. Et le ministre a fait son premier déplacement, le 14 juillet, en Seine-et-Marne pour constater les dégâts sur les champs de betteraves. Tout s’est ensuite enchaîné très vite. Le 6 août, le ministre présentait le plan de soutien gouvernemental comportant notamment le changement de la loi pour avoir une dérogation sur les néonicotinoïdes, des indemnisations, un plan de recherche et un plan de prévention. Le projet de loi était adopté au Sénat le 4 novembre !

« Il y a eu une sorte d’union sacrée entre les planteurs, les coopératives, l’interprofession, la recherche, les semenciers et le gouvernement avec un ministre de l’Agriculture qui nous a beaucoup aidés et aussi les régions », se félicite Franck Sander, président de la CGB.

Connaître les conditions d’usage

Le texte de loi fait actuellement l’objet de recours devant le Conseil constitutionnel. Dans l’hypothèse d’une validation du texte, il devrait être promulgué vers la mi-décembre et les textes d’application dans la foulée. L’arrêté de dérogation est attendu au plus vite par les planteurs, qui souhaitent connaître les conditions d’usage. Il y a en effet urgence, alors que les betteraviers s’apprêtent à acheter leurs semences.

Au niveau national, l’enjeu est ni plus ni moins une question de souveraineté alimentaire. « Il faut des surfaces pour alimenter nos usines, sans quoi la filière pourrait s’effondrer comme un château de cartes », estime Franck Sander. « Et pour que les agriculteurs sèment l’année prochaine, c’est à nous de leur apporter toutes les garanties possibles. A ce stade, aucun agriculteur ne sèmera de la betterave dans les régions fortement touchées, sans garanties. Et la seule garantie aujourd’hui, ce sont les néonicotinoïdes ».

Le maintien des surfaces en 2021 passe aussi par une compensation des pertes financières subies par les betteraviers en raison de la crise sanitaire. La CGB demande que soit complété le dispositif de minimis qui impose un plafond à l’indemnisation. « Avec un plafond de 20 000 € sur 3 ans, on aura potentiellement 42 % des planteurs et 68 % des surfaces en Île-de-France qui seraient exclus », pointe Pierre Rayé.

Cette indemnisation est cruciale, car elle doit permettre aux betteraviers d’acheter leurs semences pour 2021.

Des signes de reprise du marché du sucre

Les perspectives de marché sont bonnes. Le sucre est en effet entré dans un cycle déficitaire, et après un creux dû à la Covid-19, les cours se reprennent et devraient se tenir l’année prochaine.

Toutefois, l’impact de la crise de la Covid-19 du printemps a provoqué un effondrement des marchés à terme du sucre, qui ont perdu le tiers de leur valeur. Depuis, du fait de fondamentaux porteurs (nouveau déficit mondial annoncé à 1,7 Mt en 2020-2021, après celui de 5,6 Mt durant la campagne 2019-2020), les mêmes fonds spéculatifs ont ramené le marché à son niveau d’avant crise (voir graphique).

Mais la Covid a surtout provoqué une dévaluation historique de la monnaie brésilienne de 40 % ! Cette dévaluation très forte et durable du réal brésilien face au dollar limitera la poursuite de la reprise, malgré des stocks mondiaux qui devraient atteindre, en septembre 2021, leur plus bas niveau depuis 9 ans.

Souveraineté alimentaire

Du côté de l’Europe, l’Union ne devrait produire guère plus de 15,7 Mt, soit le plus bas niveau depuis 10 ans. Cela pose la question de la souveraineté alimentaire au niveau européen. L’Europe va accuser un déficit de près de 3 Mt (voir graphique), dont la moitié vient des pertes dues à la jaunisse en France !

L’effet sur les prix européens devrait, théoriquement, s’en ressentir, mais le mode de commercialisation du sucre, inchangé depuis la fin des quotas (engagement de volume à prix fixe avant même la connaissance des fondamentaux du marché) devrait limiter leur effet. À ce titre, la CGB alerte sur l’inertie de la contractualisation du sucre entre les groupes sucriers et l’industrie agroalimentaire qui met sous pression l’ensemble de la filière.

Après deux années de prix de betterave en berne, la CGB estime, avec des cours du sucre dépassant les 400 €/t, des prix des pulpes et du dynamisme de la consommation d’alcool et d’éthanol carburant, que les éléments sont réunis pour un rebond des prix de betteraves.

L’éthanol, qui représente un débouché de 20 à 25 % des betteraves françaises, a été « un véritable rayon de soleil cette année avec un marché dynamique depuis deux ans », note Pierre Rayé. Enfin, au plus fort de la crise sanitaire, la filière française a su réorienter ses outils industriels pour produire de plus grandes quantités d’alcool désinfectant pour fabriquer gels et solutions hydroalcooliques.

Après un rebond du prix de la betterave à 24 € en 2020-2021, « on peut attendre une hausse des prix au-delà de 25,50 €/t l’année prochaine », espère Franck Sander.