Sauf accord de dernière minute, le scénario d’un Brexit dur se rapproche dangereusement. Une absence d’accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne avant le 31 décembre entraînerait un retour des droits de douane et pourrait avoir de graves effets sur l’activité agricole et agroalimentaire tricolore. Le Royaume-Uni est un partenaire économique de poids pour la France. Il est notre troisième acheteur de produits agricoles et agroalimentaires, derrière la Belgique et l’Allemagne. En 2019, le secteur agricole et agroalimentaire français a réalisé un excédent commercial de près de 2,92 milliards d’euros avec le Royaume-Uni, selon les chambres d’agriculture.

Le troisième partenaire de la France

Sans accord, les droits de douane pourraient augmenter de 10 à 50 %, alignés sur les pays tiers. Cela conduirait inexorablement à une réduction de nos exportations. L’agriculture française se trouverait privée de nombreux débouchés, à commencer par les vins et spiritueux. Le solde de nos échanges avec le Royaume-Uni, dans le domaine, a représenté un milliard d’euros de gain pour la France en 2019, selon les chiffres recueillis par les chambres d’agriculture. Dans le lait, la balance commerciale est également positive à près de 400 millions d’euros. Le secteur céréalier serait également fortement touché. Selon ces mêmes chambres, la France exporte, en année normale, près de 800 000 tonnes de céréales vers le Royaume-Uni (dont plus de la moitié de maïs), pour un solde de 150 M€ en moyenne. Mais cela reste peu au regard des 6,3 mds d’€ de céréales que la France a exporté au total dans le monde en 2017-2018. Le secteur des pommes de terre serait également concerné, mais plus modestement, puisqu’il exporte entre 30 et 40 000 tonnes, soit un solde positif de 7 à 12 millions d’euros selon les années.

Danger pour le sucre français

Le cas du sucre est assez emblématique des multiples problèmes qu’engendrerait un Brexit dur : augmentation des droits de douane, perte de marché pour la France, risque d’augmentation des importations de sucre de pays tiers et nécessité de renégocier des accords internationaux signés par l’Union européenne. Avec seulement 1 Mt de sucre de betterave produit en moyenne par an, pour 2 Mt consommés, le Royaume-Uni est déficitaire. Une grande partie de ce manque est couverte par des importations en provenance de l’Union européenne, en particulier de France, son premier fournisseur.

Si le Royaume-Uni devait sortir sans accord, le sucre blanc importé devrait être taxé à 350 £/t, soit la conversion du tarif européen actuel (419 €/t). Tandis que le sucre roux le serait à 280 £/t, soit la conversion du tarif européen actuel de 339 €/t).

Pour l’éthanol, il s’agit également de la conversion du tarif douanier européen, qu’il soit dénaturé (8,50 £/hl, conversion de 10,20 €/hl) ou non (16 £/hl, conversion de 19,20 €/hl).

« Dans l’hypothèse d’un Brexit dur, les besoins en sucre communautaire (donc en sucre français) deviendraient quasiment nuls pour les Britanniques à cause du renchérissement lié aux droits de douane. Les importations pourraient également se faire sous forme de sucre de canne raffiné sur place par Tate&Lyle », estime Timothé Masson, directeur des affaires internationales à la CGB. Un Brexit dur signifierait une perte de 300 à 400 000 t de sucre pour la France et de 90 000 t de sucre utilisé dans les produits transformés, soit 5 à 10 % de la surface betteravière tricolore. À cela, s’ajouteraient 2 Mhl d’éthanol, soit 12 % de la production hexagonale, ce qui représenterait autour de 200 M€ de pertes pour la filière betterave française, estime la CGB. « Le secteur du raffinage britannique aurait tout à gagner à bénéficier de facilités d’importation de sucre brut, d’autant qu’il entretient des liens historiques avec les pays du Commonwealth », rappelle Timothé Masson.

Face à ce scenario, la filière betteravière souhaite que l’UE négocie une réallocation des contingents d’importation contractés avec des pays tiers dans le cadre de l’UE à 28. Ces contingents étaient essentiellement utilisés par le Royaume-Uni. Sinon, d’autres pays raffineurs de l’UE, notamment l’Italie, l’Espagne et le Portugal pourraient augmenter leur raffinage qui se ferait immanquablement au détriment du sucre français, craint la CGB. « Nous demandons un accès au marché britannique à droits de douane nuls ou quasi nuls et que soit évité un dumping avec des réimportations de sucre de pays tiers vers l’UE », avait insisté Franck Sander, le président de la CGB, le 10 décembre, lors de l’assemblée générale du syndicat. La filière espère qu’il sera entendu.