Faire son assolement devient un véritable casse-tête. C’est la première chose que l’on perçoit en lisant le projet d’arrêté autorisant provisoirement l’emploi des néonicotinoïdes, mis en ligne le 4 janvier sur le site internet du ministère de l’Agriculture. Ce projet d’arrêté s’est calé sur l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Et il oblige de nombreux betteraviers à revoir profondément la structure de leurs assolements.

Liste des cultures éligibles

Dans son avis daté du 23 décembre, relatif « aux mesures d’atténuation des risques devant figurer dans toute dérogation à l’interdiction d’utiliser des produits à base de néonicotinoïdes ou substances à mode d’action identique », l’Anses explique : « après une culture en année N de betteraves sucrières dont les semences ont été traitées avec de l’imidaclopride ou du thiaméthoxame, la possible implantation sur les parcelles des cultures suivantes (incluant les cultures intermédiaires) présenterait un risque faible pour les pollinisateurs ».

L’Anses s’est appuyée sur les résultats de l’Efsa (autorité européenne de sécurité des aliments), et sur les auditions des instituts techniques de l’abeille (ITSAP) et de la betterave (ITB). L’agence a notamment utilisé un indicateur de risques développé par l’ITSAP pour proposer une liste de cultures pouvant être semées, plantées ou replantées les années suivant une culture de betteraves sucrières (année N), dont les semences ont été traitées avec l’imidaclopride ou le thiaméthoxame :

• À partir de l’année N+1 : avoine, blé, choux, cultures fourragères non attractives, cultures légumières non attractives, endive, fétuque (semences), moha, oignon, orge, ray-grass, seigle.

• À partir de l’année N+2 : chanvre, maïs, pavot/œillette, pomme de terre.

• À partir de l’année N+3 : colza, cultures fourragères mellifères, cultures légumières mellifères, féverole, lin fibre, luzerne, moutarde tardive, phacélie, pois (fourrager), radis, tournesol, trèfle, vesce.

Il reste encore des points à préciser : le texte parle d’implantation et pas d’exposition. Alors, un colza doit-il être semé en N+3 (et donc fleurir en N+4), ou pouvons-nous l’implanter pour une floraison N+3 et donc le semer en N+2 ? La logique voudrait que l’on se cale sur des années de récolte et non de semis, et considérer un enchaînement de cultures plutôt que d’années civiles.

L’Anses propose également quelques bonnes pratiques pour protéger les insectes pollinisateurs ; par exemple empêcher la floraison des adventices avant l’implantation des cultures suivantes, et limiter l’implantation des cultures intermédiaires après la culture suivante « à des cultures peu attractives pour les abeilles et les autres pollinisateurs ».

Pour protéger les oiseaux, l’agence parle de mesures d’atténuation des risques, comme « s’assurer que les semences traitées sont entièrement incorporées dans le sol, et notamment en bout de sillons », ou « récupérer toutes semences traitées accidentellement répandues ».

Conséquences sur les assolements

Ces restrictions vont potentiellement concerner une part significative des surfaces betteravières. Par exemple, le maïs est très majoritairement implanté après betterave (plus de 80 %) en Alsace. Et les légumes, le lin ou le colza sont cultivés en N+2 dans de nombreuses régions betteravières. « Pour la Normandie, les difficultés concernent essentiellement les pommes de terre, le lin fibre et le colza », note Benoît Carton, directeur des syndicats betteraviers normands.

Pierre Houdmon, délégué de l’ITB pour la région Centre, pointe la difficulté de ne pouvoir cultiver du colza qu’à partir de N+ 3. « Le colza en sol argilo-calcaire superficiel est très présent à l’est de la région, et constitue une excellente tête de rotation. L’impossibilité de cultiver le colza à N+2 pourrait inciter certains planteurs à diminuer encore un peu plus leurs surfaces de betteraves ».

Dans la Somme, « il y a de grandes surfaces de pommes de terre dans l’est du département et de colza sur le plateau picard. Le lin et le maïs sont très présents dans l’ouest de la Somme », note le délégué ITB Yohan Debeauvais.

Pour le Nord-Pas-de-Calais, le délégué ITB Vincent Delannoy voit avant tout des problèmes pour la pomme de terre : « 5,2 % des surfaces sont implantées en pommes de terre après une betterave. Et en N+2, 8,1% des surfaces reçoivent du colza, 6,6 % du lin et 3,8 % des pois. Ce qui perturbe les planteurs, c’est que les assolements se font annuellement. Mais dorénavant, ils vont devoir se projeter pour les trois prochaines années, ce qui n’est pas un exercice facile compte tenu de l’incertitude des marchés ».

Répondre à la consultation publique

Le projet d’arrêté est en consultation publique jusqu’au 25 janvier. Si les planteurs veulent faire entendre leur voix, ils peuvent le faire en allant sur le site suivant : https://agriculture.gouv.fr

Comment la dérogation est-elle déclenchée ?

La loi permettant d’utiliser des semences de betteraves enrobées avec des néonicotinoïdes a été promulguée le 15 décembre 2020. Elle donne la possibilité d’autoriser l’utilisation de l’imidaclopride ou du thiaméthoxame pour une durée maximale de 120 jours, jusqu’au 1er juillet 2023.

Mais l’arrêté ne sera signé qu’après la consultation du conseil de surveillance, qui est chargé d’émettre un avis sur ces autorisations temporaires. Pour prendre sa décision, ce conseil s’appuie sur trois critères considérés comme déterminants pour évaluer le risque de pression phytosanitaire susceptible d’être rencontrée l’année prochaine :

– l’analyse des réservoirs viraux au cours de l’automne 2020,

– la présence de populations de pucerons au cours de l’automne 2020,

– les prévisions climatiques saisonnières initialisées au 1er décembre dernier.

Compte tenu de ces différents éléments, l’Inrae a conclu que 2021 pourrait être semblable à 2020, en matière de risques de virose sur la betterave sucrière en France.