Le programme Aker s’est construit en 2012 autour d’un partenariat public-privé de recherche. Il a associé le sélectionneur Florimond-Desprez, des équipes de l’Inrae, des universités et des grandes écoles, ainsi que l’ITB. Deux axes de recherche ont structuré Aker pendant les huit années de projet : l’élargissement de la diversité génétique et l’évaluation du matériel créé par des outils de phénotypage et de génotypage à haut débit.

Recherche de nouveaux phénotypes plus adaptés aux conditions de culture

Des plantes exotiques, choisies pour maximiser la diversité génétique après séquençage de leur génome, ont été croisées avec du matériel d’élite, le plus performant qui était disponible. Le marquage moléculaire a permis de repérer les fragments de chromosomes issus des plantes exotiques au cours des différents croisements successifs. Les chercheurs n’avaient pas d’a priori sur les effets que produiraient les fragments exotiques. C’est le phénotypage, réalisé en 2018 et 2019, qui a permis de le savoir et d’identifier les régions génomiques à l’origine de caractères favorables sur le rendement, la tolérance aux maladies ou au stress climatique. Maintenant que ces régions génomiques d’intérêt sont détectées, le sélectionneur peut les introduire directement dans du matériel adapté aux différents segments de marché (matériel tolérant à la rhizomanie, à la forte pression rhizomanie, aux nématodes à kystes, etc.). Les premiers hybrides aux performances confirmées pourraient être déposés à l’inscription au Comité technique permanent de la sélection (CTPS) en 2022.

Combinaison entre mesures au champ et au laboratoire

Le phénotypage est la mesure de l’ensemble des caractères observables sur les plantes, dans un environnement donné. Parmi ces caractères, il y a bien sûr le rendement en sucre mais aussi d’autres caractéristiques telles que la vitesse de développement des plantes, leur statut nutritif, la résistance aux maladies … Dans le cadre du programme Aker, le phénotypage s’est concentré sur tous les stades de la culture, de la semence à la récolte. Le travail réalisé au laboratoire s’est concentré sur la caractérisation des semences et des jeunes plantules. Des méthodes ont été développées à l’Inrae, au Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (Geves) et à l’université d’Angers, pour évaluer la qualité physique et germinative des semences de betterave. Les chercheurs s’intéressent plus particulièrement aux phases précoces : la semence et sa germination dans des conditions favorables ou, au contraire, en conditions stressantes, par exemple à basse température. L’adaptation au froid est un levier de compétitivité important pour allonger la durée de végétation.

En complément, le phénotypage au champ a permis d’analyser le développement des plantes plus âgées, les maladies foliaires et le rendement final, dans différentes conditions environnementales.
Au terme du programme de sélection, 3 200 hybrides ont été analysés au cours des années 2018 et 2019. Cela imposait de travailler avec des méthodes de phénotypage à haut débit.

Des variables pour prédire le rendement

Le rendement final n’est que le résultat de l’empilement de tous les facteurs positifs ou négatifs que la plante a connus pendant sa croissance. Ainsi, un même rendement peut résulter d’itinéraires de croissance très différents. Le phénotypage en culture consiste à acquérir des mesures répétées tout au long du cycle cultural pour repérer les génotypes présentant des comportements favorables ou défavorables en fonction des conditions environnementales. Les capteurs fournissent des observations non destructives, instantanées et dynamiques. Ils constituent donc des outils privilégiés pour suivre le fonctionnement de la plante dans la totalité de son cycle cultural. Au cours du programme Aker, différents modèles ont été développés pour estimer des variables à partir des capteurs. Ainsi, il est aujourd’hui possible de quantifier la surface foliaire et la quantité d’azote et de chlorophylle dans les feuilles. L’application d’un modèle statistique de forêt aléatoire a montré, à partir d’une expérimentation Aker, que les variables de phénotypage, si elles sont acquises tout au long du cycle de croissance, permettent d’expliquer 75 % de la variabilité des rendements des génotypes d’Aker (figure 1).

Des études ont également été réalisées pour identifier si la composition de la graine est un bon indicateur de sa sensibilité au froid. Pour cela, la tomographie 3D a permis d’accéder à des mesures quantitatives très précises sur les différents organes qui constituent la graine (embryon, réserves, tégument). Un travail approfondi est toujours en cours pour comparer les résultats de morphologie des graines des génotypes sensibles et résistants au froid, afin que le sélectionneur puisse disposer de nouveaux outils de phénotypage au laboratoire.

Variétés adaptées au stress hydrique

C’est en réalisant des mesures à plusieurs dates qu’il est possible de quantifier les stress subis par les plantes au cours de leur croissance. Ainsi, il est important d’avoir un phénotypage non destructif pour suivre l’évolution temporelle du comportement des plantes au cours du temps. Les mesures réalisées par des capteurs embarqués sur drone ou utilisés au sol peuvent apporter des connaissances sur le fonctionnement des plantes. Les informations extraites des images acquises avec des capteurs RGB ou multispectraux apportent des précisions à la fois sur la structure du peuplement mais aussi sur la structure du couvert et son contenu biochimique. Lors d’une sécheresse marquée comme celles des étés 2018 et 2019, au cours desquels les génotypes d’Aker ont été évalués, la quantification de la perte de surface foliaire verte est un bon indicateur de la sensibilité au stress hydrique. La figure 3 montre les résultats des génotypes d’Aker sur une expérimentation présentant un fort stress hydrique estival. Il existe une grande diversité de réponses dans le matériel d’Aker avec certains génotypes qui perdent 70 % de feuilles tandis que d’autres stabilisent leur bouquet foliaire. Cette diversité de réponses peut être valorisée pour mettre sur le marché des variétés tolérantes au stress hydrique. Depuis 2019, l’ITB utilise cette technologie pour définir une liste de variétés commerciales moins sensibles au stress hydrique.

Le dispositif ElonCam a également été mis au point pour modéliser la croissance de la plantule sous terre. Il existe une grande variabilité dans la vitesse d’allongement de la jeune racine qui peut être corrélée à la sensibilité au stress hydrique. S’il est confirmé que ce sont les mêmes génotypes qui présentent des profils intéressants en situation de stress hydrique au champ, il sera ainsi possible d’avoir une évaluation de sensibilité au stress hydrique en conditions contrôlées, indépendante des conditions environnementales des essais mis en place au champ.

Evaluer le statut azoté des betteraves

Des caméras multispectrales sont utilisées pour quantifier la chlorophylle et l’azote dans les feuilles. Des formules basées sur les réflectances à différentes longueurs d’onde ont été optimisées spécialement pour la betterave. Les mesures dans l’infrarouge sont particulièrement intéressantes pour quantifier le contenu biochimique des feuilles. Il est ainsi possible d’estimer la quantité de chlorophylle dans les feuilles avec une erreur de 8 % (figure 4).

L’ITB étudie actuellement l’intérêt de ces mesures pour comparer les besoins azotés et l’efficience d’utilisation de l’azote des variétés.

Tolérance aux maladies foliaires

La tolérance à la cercosporiose et à l’oïdium ont été particulièrement étudiées au cours du programme Aker. Pour cela, deux types de technologies ont été mises au point avec de l’imagerie, soit embarquée sur drone, soit sur une plateforme robotisée au champ. Les deux apportent une information pertinente pour quantifier les symptômes de cercosporiose mais avec un niveau de précision différent. L’imagerie drone est plus rapide, moins coûteuse mais ne permet pas de suivre le début de l’infection par le champignon. Les mesures réalisées à 1,5 m au-dessus du couvert permettent quant à elles de quantifier les écarts entre génotypes dès les premiers symptômes. A partir de 2019, le sélectionneur a également évalué les génotypes d’Aker vis-à-vis des jaunisses virales, afin d’identifier de nouvelles sources de résistance grâce à la variabilité génétique apportée par les plantes exotiques.

Ce qu’il faut retenir
  • Le programme Aker a élargi la variabilité génétique disponible au sein des betteraves cultivées pour accélérer le progrès génétique.
  • Aker va permettre de mieux répondre aux enjeux de la sélection pour adapter les variétés à de nouvelles conditions de culture.
  • Le sélectionneur étudie actuellement les régions génomiques associées aux variations phénotypiques.
  • La filière dispose d’un ensemble d’instruments et de techniques d’imagerie qui peuvent être exploités pour mieux caractériser les variétés et apporter un conseil variétal plus précis.
  • Les premiers hybrides aux performances confirmées pourraient être déposés à l’inscription au CTPS en 2022.

Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme « Investissements d’avenir » portant la référence ANR-11-BTBR-0007