Pour les dix prochaines années, Philippe Heusele, président de France Export Céréales n’imagine pas la France autrement qu’une grande puissance agricole exportatrice de céréales. « Et un de ses atouts pour y parvenir est le capital confiance acquis durant la crise sanitaire de la Covid-19 », défend Sébastien Abis, directeur du club Démeter et chercheur à l’Iris (Institut de Relations Internationales et Stratégiques). Philippe Heusele et Sébastien Abis animaient, le 24 mars dernier, la douzième journée France Export Céréales (FEC) intitulée « Une filière réactive, à l’écoute de ses clients ».

« En effet, la France s’est remarquablement distinguée sur la scène internationale », se réjouit Yann Lebeau, responsable du bureau de FEC au Maroc. « Lorsque la crise de la Covid-19 est survenue au mois de mars 2020, notre pays a montré qu’il pouvait exporter des céréales, et honorer les commandes passées, sans compromettre son marché intérieur. Des missives ont même été envoyées par FEC aux responsables des organismes publics en charge des importations de céréales de chaque pays pour leur assurer que les contrats de vente seront respectés ».

« La Chine a été particulièrement sensible à l’attitude de la France », a déclaré Li Zhao Yu, responsable du bureau de FEC à Beijing. Du reste, l’empire du milieu est devenu le premier pays client de l’hexagone. Il a acheté 1,6 Mt de blé et 2,3 Mt d’orges depuis le mois de juillet 2020.

Or, dans le même temps, de nombreux pays importateurs de céréales ont dû composer avec certains de leurs pays fournisseurs, confinés et retirés du marché. Parfois, plus aucune livraison n’a été assurée pendant quelques semaines en mars 2020.

Le bassin méditerranéen, un marché en circuit court

Pour 2030, la France devra se mettre en ordre de bataille pour cibler les marchés porteurs.

Le bassin méditerranéen restera le marché, en circuit court, des exportations du blé français. En 2020, les vingt pays d’Afrique du nord et moyen-orientaux ont importé 42 Mt, soit 42 % de leur consommation intérieure. Et le flux n’est pas prêt de se tarir compte tenu de la pression démographique.

Pour autant, le champ d’action des organismes publics de ces pays chargés d’importer du blé va régresser (le GASC en Égypte par exemple). Les pays importateurs n’ont plus les moyens de subventionner, autant que par le passé, leur production de pain. « Aussi, la France devra prendre en compte le caractère évolutif de la demande de ces organismes publics tout en se calant sur les exigences des opérateurs privés amenés à prendre le relais », assure Roland Guiragossian de FEC. « Sinon, l’approvisionnement des marchés de ces pays méditerranéens et orientaux lui échappera ».

En Afrique subsaharienne, la France n’a pas les moyens d’augmenter de 5 %, chaque année, ses ventes de blé pour couvrir les besoins de cette région. Toutefois, elle doit être présente.

Le Kazakhstan concurrent

Là encore, notre pays devra vendre plus de grains en apportant, à ces pays africains francophones, l’assistance technique nécessaire pour produire de la farine, dans des moulins compatibles avec nos grains. Sinon, ces pays privilégieront d’autres origines et d’autres technologies de meunerie.

En effet, les Africains subsahariens francophones consomment du pain sous forme de baguettes, héritage de la période coloniale. La production de farine a augmenté de 90 % en 10 ans en Afrique subsaharienne et elle ne va pas cesser de progresser, compte tenu de la pression démographique.

Depuis deux ans, la Chine a découvert le blé français. La céréale a les mêmes caractéristiques que le blé chinois. À l’avenir, l’empire du milieu souhaiterait développer la production de produits français fabriqués avec de la farine française. Mais il veut aussi élargir la palette des pays auprès desquels il se fournit en blé de force, biscuité et améliorant. Aussi, il appartient à la France de proposer à l’avenir ces variétés de blé si elle veut davantage percer le marché chinois sans être en concurrence avec le Kazakhstan. C’est en effet de ce pays frontalier que la Chine importe par voie ferrée, une partie du blé qu’elle achète aujourd’hui à des pays tiers !

Par ailleurs, l’empire du milieu est prêt à renoncer – à la marge – à une partie de sa capacité de production pour protéger son environnement. Aussi, il exigera des produits importés qu’ils soient aussi moins traités qu’auparavant.

Le zéro résidu, facteur de compétitivité

C’est avec ses voisins européens que la France joue gros. Elle doit réussir sa transition agroécologique sans compromettre ses capacités exportatrices.

« Pour le blé, notre pays devra segmenter son offre et s’inscrire dans les démarches bio ou HVE par exemple », estime Benoît Méléard, responsable du pôle qualité chez Arvalis-institut du végétal. « S’il ne se plie pas à ces nouveaux facteurs de compétitivité, il sera pénalisé ».

Or, dans le même temps, nos voisins opteront pour « le zéro résidu » phytosanitaire. Ils en feront un critère commercial pour importer les produits dont ils sont déficitaires ou pour promouvoir les leurs à l’export.
« Le gouvernement français est aux côtés des exportateurs », a assuré Franck Riester, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité. « Mais notre politique commerciale doit privilégier des conditions de concurrence loyales avec nos partenaires ». À l’échelle des agriculteurs français, tout reposera sur des règles de la PAC qui ne soient pas distorsives entre pays européens, après 2023.