« Un système totalement neuf » d’assurance récolte, abondé par un financement public. C’est ce qu’a confirmé le président de la République à l’occasion d’un colloque organisé le 18 mai par le le Conseil de l’Agriculture Française (Caf): FNSEA, JA, APCA, Coop de France…, sur le thème de la souveraineté alimentaire.

Le dramatique épisode de gel, que nous avons connu début avril, a certainement donné un coup d’accélérateur pour réformer la gestion des risques agricoles en France. La réflexion a certes été lancée en juillet 2019, mais l’augmentation des fréquences des dégâts dus à la sécheresse et au gel démontre l’urgence de faire aboutir ce dossier. La remise au ministre de l’Agriculture, le 21 avril, du rapport du député Frédéric Descrozaille (LREM Val-de-Marne) dessine les contours d’une architecture à trois étages, qui s’articule autour des investissements dans les équipements de prévention et de protection, le développement de l’assurance multirisques climatique (MRC) et la gestion des risques élevés par l’État pour toutes les cultures.

Preuve que cette idée a fait son chemin, le ministre de l’Agriculture a très vite déclaré après l’épisode de gel que la betterave sera bien intégrée dans le dispositif adossé aux calamités agricoles. Cette déclaration marque un tournant dans la politique de la gestion des risques en France où les grandes cultures étaient exclues du dispositif des calamités agricoles.

Développer la MRC

Le rapport du député Descrozaille propose de créer une nouvelle assurance climatique avec une franchise à 20 %, au lieu de 30 % aujourd’hui, et une subvention portée à 70 % (contre 65 %). Une subvention financée par le 2e pilier de la PAC. Avec ce seuil abaissé à 20 %, la MRC pourrait se déclencher beaucoup plus souvent. Pour rendre la MRC encore plus attractive, Frédéric Descrozaille propose de l’adosser à la déduction pour épargne de précaution (DEP). Par exemple, la souscription d’une MRC donnerait droit à une déduction jusqu’à 50 000 € de bénéfice agricole, contre 27 000 € sans assurance.
Depuis 2017, l’évolution des agriculteurs assurés en grandes cultures est quasi stable, avec un taux de pénétration à peine supérieur à 30 %. L’ambition de Frédéric Descrozaille est d’avoir 40 % des grandes cultures assurées.

Le régime des calamités pour toutes les cultures

Au-dessus de 50 % de pertes, le relais serait pris par le fonds de calamité agricole rénové qui prendrait en compte la question des références de rendement. Toutes les cultures seraient éligibles aux “calamités“, ce qui serait une petite révolution !

Le député Descrozaille propose également de prendre en compte la baisse de rendement constatée sur le moyen terme, en comparant la moyenne quinquennale à une moyenne sur 10 ans. Ainsi, la baisse de potentiel pourrait être indemnisée au titre des calamités agricoles. C’est une idée originale qui prend en compte la réalité, car les assurances ne peuvent pas couvrir une baisse structurelle de rendement, mais seulement une baisse aléatoire. « L’assurance peut gérer une variation des rendements autour d’une moyenne temporelle ou géographique, qui est stable dans le temps », explique Pascal Viné, directeur des relations institutionnelles chez Groupama. « On peut ainsi équilibrer le système sur plusieurs années. Or, on constate avec le changement climatique que cette moyenne diminue structurellement, ce qui fait que les revenus sont amputés aussi par cette baisse ». Pascal Viné estime que la MRC pourra alors jouer pleinement son rôle sur la partie comprise entre 20 à 50 % de pertes.

En résumé, le dispositif sera plus lisible : le fonds des calamités sera ouvert à toutes les cultures et ne rentrera plus en concurrence avec les assurances. Il sera complémentaire.

Surprime sur les contrats

Le rapport de Frédéric Descrozaille insiste enfin sur la prévention et sur l’acculturation au risque afin de pouvoir faire face jusqu’à 20 % de pertes. « On vit dans un État protecteur. Il faut donc se former à la culture du risque », résume le président délégué de Groupama, François Schmitt. Face au risque de sécheresse, le rapport Descrozaille repositionne l’enjeu du chantier national de l’eau. Dès le 26 avril, Julien Denormandie a annoncé un “Varenne de l’eau et du climat“ d’ici l’été, pour mieux gérer la ressource et coordonner les investissements.

Ces propositions sont saluées par le monde agricole, mais comment seront-elles financées ? Pour subventionner les assurances, l’enveloppe dédiée dans le second pilier devrait augmenter de 300 M€ en appliquant les dispositions du règlement Omnibus (abaisser le seuil et le niveau de franchise à 20 %, tout en augmentant la part subventionnée à 70 %).

Quant aux calamités agricoles, elles seraient financées par solidarité nationale. Plusieurs pistes sont avancées, comme une cotisation sur les contrats agricoles (retour à 11 %, contre 5,5 % actuellement), une surprime sur les contrats d’assurance auto et habitation (12 à 14 %) et une hausse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). La FNSEA suggère également la piste de la TVA sur les produits alimentaires.

Pool de coassurance

Pour stimuler le marché de l’assurance et l’ouvrir à plusieurs acteurs, comme en Espagne où 21 assureurs privés commercialisent des MRC, Frédéric Decrozaille propose de créer un pool de coassurance. Selon Groupama, ce pool permettrait aux assureurs d’améliorer leur connaissance des risques climatiques agricoles et donc de conduire à une tarification plus adéquate. « On fera le maximum pour proposer des garanties compatibles avec le nouveau dispositif. J’espère qu’on pourra le faire pour la récolte 2023 », déclare François Schmitt.

En résumé, le rapport Descrozaille propose de donner à l’assurance un rôle au service de la politique agricole, comme cela se fait dans d’autres pays. Le système de financement proposé permettrait de réinjecter plusieurs centaines de millions d’euros dans les politiques agricoles par le biais de la solidarité nationale. Ce nouveau concept de gestion des risques est en tout cas un vrai marqueur de la politique agricole du gouvernement.

Et le risque sanitaire ?

On l’a bien vu avec les attaques de jaunisse sur les betteraves non traitées par les néonicotinoïdes, le risque sanitaire devient de plus en plus prégnant. Or, ce risque n’est pas assurable pour le moment. Faut-il alors le faire financer par l’État, puisque ce risque découle de décisions politiques ? Jean-Yves Dagès, président de Groupama, semble le suggérer quand il déclare : « une part des pertes de rendements tendanciels est liée aussi aux contraintes agrienvironnementales : politiques restrictives sur les nitrates, l’eau, les phytosanitaires et la génétique. Ce n’est pas à l’assurance de compenser toutes ses contraintes, ni à l’agriculture de les payer ».