Après trois années difficiles, le bout du tunnel semble enfin arrivé. Les principaux groupes sucriers européens ont vu leur résultat sensiblement progresser sur l’exercice 2020, clos pour certains début 2021. Malgré une triste campagne marquée par la jaunisse et la sécheresse, les fabricants de sucre et d’alcool ont réussi à faire front. Tous ont vu leur chiffre d’affaires se stabiliser (Tereos, Südzucker, Cosun), voire progresser fortement (Cristal Union et Nordzucker). Du côté de la rentabilité, l’amélioration n’est pas encore spectaculaire ; certains groupes comme Tereos et Südzucker affichent encore un résultat net négatif, mais la tendance est bien là si l’on regarde la rentabilité opérationnelle (Ebitda).

Chez les Français, la situation apparaît contrastée. Le chiffre d’affaires consolidé du groupe Tereos s’est établi à 4,317 milliards d’euros (Mds€), en baisse de 4 % à taux de change courant et en hausse de 1 % à taux de change constant, par rapport aux 4,492 Mds€ de l’exercice 2019-2020. L’Ebitda ajusté consolidé est en nette amélioration. Il s’est élevé à 465 millions d’euros (M€), en hausse de 11 % à taux de change courant et de 29 % à taux de change constant par rapport aux 420 M€ de l’an dernier. « Cela provient notamment du redressement des prix du sucre européen, de l’amélioration des cours du sucre mondial et des prix de l’éthanol, de la campagne record au Brésil et des progrès opérationnels réalisés dans l’ensemble des divisions », a expliqué le 2 juin Gérard Clay, qui préside le groupe depuis décembre 2020. Le résultat net consolidé affiche, lui, une perte de 133 M€ pour l’exercice par rapport au profit de 24 M€ pour 2019-2020, impacté principalement par 76 M€ de dépréciations d’actifs. « Nos résultats sont en progrès mais en deçà de nos ambitions. Ils sont insuffisants pour avoir un résultat positif hors éléments exceptionnels. Une société en cycles d’activité doit pouvoir affronter les bas de cycle grâce à un bilan solide, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », a reconnu Gwenaël Elies, le directeur financier du groupe Tereos.

Le bilan est un peu plus positif du côté de Cristal Union. Pour sa première année avec deux sucreries en moins (Bourdon et Toury), le groupe présidé par Olivier De Bohan a vu son chiffre d’affaires progresser de 3,8 %, à 1,654 milliard d’euros sur l’exercice 2020-2021 clos au 31 janvier 2021, contre 1,594 Md€ un an plus tôt. Le résultat net est repassé au vert à 68,8 M€ contre une perte de 89 M€ un an plus tôt. L’Ebitda a connu une sensible progression sur un an, passant de 63 M€ à 201 M€ sur l’exercice 2020-2021. Le résultat d’exploitation est aussi repassé au vert, à 130 M€, contre une perte de 0,05 M€ sur 2019-2020. « Malgré une baisse de production de 30 % à cause de la jaunisse, nous renouons avec la rentabilité que nous avions durant la période des quotas », s’est félicité Xavier Astolfi, le directeur général adjoint de Cristal Union, lors de la présentation des résultats à la presse le 7 juin. Le groupe explique ses performances par des « coûts de production maîtrisés, liés à une optimisation industrielle et à une augmentation des cours du sucre, de l’alcool et du bioéthanol ».

Des sucriers encore fragiles

Au niveau européen, la tendance est également à l’amélioration, en particulier chez l’Allemand Nordzucker, qui voit son chiffre d’affaires et sa rentabilité progresser fortement. Son compatriote, Südzucker, propriétaire du Français Saint Louis Sucre, est parvenu à stabiliser son chiffre d’affaires, malgré une forte baisse de sa production de sucre, liée à la fermeture de plusieurs de ses usines en Europe, dont deux en France (Cagny et Eppeville). La perte nette de sa branche sucre reste élevée mais diminue : -296 M€ contre -319 M€. Cette contre-performance est compensée par sa division de produits spéciaux (pizzas et amidon) qui devient la première activité du groupe devant le sucre. Mais cela n’empêche pas le groupe d’afficher un résultat net encore dans le rouge, à -36 M€ contre – 55 M€ un an plus tôt. Du côté des Pays-Bas, Cosun affiche une activité globale stable, malgré une production et un chiffre d’affaires sur l’activité sucre en hausse. Le groupe n’a pas pu profiter pleinement de cette embellie à cause de sa division transformation de pommes de terre. Cette dernière a essuyé une forte chute de son activité à cause de la crise sanitaire.

« Malgré une baisse de production de sucre pour plusieurs acteurs européens, on observe une amélioration globale des chiffres d’affaires. Cela s’explique en partie par la hausse des prix du sucre vendu par les sucriers », estime Francky Duchateau, responsable des entreprises durables et des territoires du think-tank AgrIdées. Pour lui, les efforts menés depuis trois ans par les sucriers ont permis « d’améliorer la rentabilité opérationnelle, avec des impacts positifs sur les résultats nets, permettant aussi aux groupes de désendetter ».

Mais pour certains acteurs, du travail reste encore à faire. C’est le cas de Tereos. Le groupe a défini un plan stratégique à horizon 2024 visant à améliorer sa rentabilité et à diminuer son endettement. Le groupe s’est fixé comme objectifs, d’ici 2024, d’atteindre une marge d’Ebit (résultat opérationnel) de 5 % par rapport au chiffre d’affaires, une génération récurrente de free cash-flow positif, un endettement net inférieur à 2 milliards d’euros et un levier d’endettement inférieur à 3x. Pour y arriver, Tereos affirme qu’il se concentrera sur l’excellence commerciale et l’organisation avant de poursuivre avec des initiatives à moyen terme en faveur de l’excellence industrielle et de la réduction de la dette financière. « Nous devons passer d’une stratégie de volume à une stratégie de marges », a insisté Philippe de Raynal, le directeur général du groupe.

Revenir aux prix de la période des quotas

Cette amélioration générale des résultats des sucriers devrait permettre une rémunération à la hausse pour les planteurs. Chez Cristal Union, le prix des betteraves devrait passer de 25,50 euros /t à 16°S en 2020 (contre 22,73 €/t en 2019) à 26 €/t en 2021 + une prime de 1 € pour le maintien des surfaces. « L’objectif est d’arriver à terme à 30 €/t à 16°S », a souligné Xavier Astolfi, sans plus de précisions. Chez Tereos, après un point bas sur la campagne 2019-2020 à 22,3 €/t, les prix devraient atteindre 25,3 €/t à 16°S pour 2020-2021. L’objectif est de revenir le plus rapidement possible à « un niveau de rémunération connu avant la fin des quotas », de l’ordre de 30 €/t également, ont affirmé les dirigeants du premier groupe sucrier français. Mais la prudence reste de mise. La succession de difficultés inédites dans la filière betterave-sucre, depuis trois ans, a confirmé l’adage selon lequel il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.