Une petite boîte qui peut rapporter gros. Après une lente phase de mise en route, les kits de conversion gagnent de plus en plus le cœur des automobilistes français. Et pour cause, à peine plus gros qu’un paquet de cigarettes, ces boîtiers électroniques permettent désormais à la plupart des véhicules à essence de rouler à l’E85.
Installés sous le capot et reliés à l’électronique du moteur, ces dispositifs détectent le type de carburant et ajustent le fonctionnement du moteur, des injecteurs notamment, grâce à une connexion aux faisceaux et au logiciel embarqué. Le coût moyen de l’installation se chiffre autour de 1 000 euros avec un amortissement pour l’usager en un à deux ans.
Car ces véhicules convertis ont accès à un carburant vendu dans plus de 2 400 stations-service en France au prix imbattable d’environ 67 centimes d’euros par litre. L’avantage reste conséquent malgré une surconsommation du véhicule de l’ordre de 20 % (liée au moindre pouvoir calorifique de l’éthanol comparé à l’essence).
FlexFuel Energy Development, dont le siège est à Ecuelles (Seine-et-Marne) et son concurrent Biomotors, basé à Vendargues (Hérault) constituent le duo de PME qui a véritablement lancé le marché et continue de le dominer en France, à côté de trois autres acteurs homologués : ARM Engineering, Borel et eFlexFuel de la société StepOne Tech Ltd située en Finlande.
Pouvant être estimé à près de 30 000 boîtiers par an en 2019 avant la crise de la Covid-19, le marché a été plombé par les confinements. « Il est en train de repartir sous l’effet du retour à la liberté totale de circulation, de nouvelles mesures réglementaires et d’aides à l’équipement de certaines collectivités, notamment le Grand Est », explique Sébastien Le Pollès, fondateur et PDG de FlexFuel Energy Development. L’entreprise revendique 9 100 boîtiers vendus en 2020 sur les 15 000 boîtiers, installés selon elle, par l’ensemble des fabricants et un rythme de vente en forte progression en ce milieu d’année à plus de 1 200 boîtiers par mois. Pour accélérer encore, FlexFuel Energy Development s’est dotée début 2021 d’une plateforme en ligne (Roulezpascher.com) qui met en contact les automobilistes et les installateurs en gérant paiement et rendez-vous. « Notre modèle est de passer exclusivement par des installateurs. Mais nous voulons simplifier au maximum l’achat et la pose via ce site. C’est crucial, surtout en cette période de relance », note Sébastien Le Pollès.
Un retour de la croissance
De fait, « le marché est reparti fort avec un effet marqué d’anticipation des trajets d’été. Je table sur une progression de 50 % l’an prochain », confirme Alexis Landrieu. Son entreprise Biomotors a, elle aussi, innové avec une nouvelle version en septembre dernier de ses boîtiers intégrant par exemple un détecteur de carburant sur la durite d’essence. Ou encore le lancement d’une application pour smartphone livrant en temps réel divers paramètres pour l’usager, la configuration moteur restant du ressort de l’installateur agréé.
Dans ce contexte de reprise une fois la crise de la Covid-19 oubliée, le secteur pourrait bien atteindre un nouveau record l’an prochain. Il aura fallu du temps pour cela. « Au début, par défaut de connaissance du public, du faible nombre initial de pompes E85 et d’un certain flou juridique sur l’installation, le marché a tardé à prendre son envol », relate Alexis Landrieu.
En la matière, les patrons de Biomotors et de FlexFuel Energy Development pointent tous deux l’impact décisif des discussions menées entre les pouvoirs publics, les fabricants de boîtiers et le SNPAA qui ont conduit à la publication d’un arrêté ministériel fondateur le 30 novembre 2017. Celui-ci a mis fin au flou juridique qui régnait jusque-là. Ce nouveau cadre réglementaire a sécurisé les usagers, les installateurs et les entreprises vendant les boîtiers. Ces dernières doivent effectuer une démarche d’homologation de chaque produit auprès de la DGEC, avec une garantie de 5 ans. L’arrêté rend obligatoire la modification du carburant inscrit sur la carte grise et permet d’être en règle avec les assureurs. Il a mis de fait hors la loi les véhicules équipés de boîtiers importés sans garanties ou montés par des bricoleurs du dimanche.
Un arrêté du 5 mars 2021 vient d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice pour les grosses cylindrées. Il rend possible l’installation d’un kit E85 dûment homologué sur les véhicules de 15 CV et à filtre à particules. Soit un parc désormais « équipable » supérieur à 10 millions de voitures essence.
Des aides régionales
Au-delà de l’action de l’État via la détaxe ou la réglementation, d’autres acteurs publics ont décidé, ces dernières années, de soutenir fortement le développement des kits de conversion au superéthanol. C’est le cas de la région Grand Est. Le 1er juin, elle a renouvelé pour la troisième fois son opération « kit à 1 euro » à hauteur de 1 000 boîtiers avec un plafond de 900 euros par boîtier. Un dispositif simple puisque le détenteur de véhicule se contente de s’inscrire sur un site dédié et génère un contact dans un centre agréé installant des boîtiers homologués sans avance de frais.
Pourquoi ce soutien ? « L’idée est née de la crise des Gilets jaunes, explique Philippe Mangin, vice-président de la région. L’automobile représente souvent un budget lourd pour les ménages. Nous avons voulu les soutenir en leur donnant accès à un carburant très attractif ». Au vu du succès fulgurant des opérations précédentes – notamment une vague de kits à 1 euro début avril 2021 souscrite en quelques jours – la région, qui a déjà permis d’équiper 2 700 véhicules, a regonflé son offre. Outre l’abandon des conditions de revenus, trop complexes à gérer, l’offre est limitée aux véhicules de plus de 4 ans, les plus gourmands. Le dispositif “Kit à 1 euro” ouvert depuis le 1er juin est complété par une aide plafonnée à 500 euros pour 5 000 kits supplémentaires.
D’autres collectivités sont aussi de la partie. La région Hauts-de-France propose ainsi aux propriétaires d’un véhicule de moins de 10 chevaux et plus de 2 ans, une aide de 40 % avec un plafond de 400 euros et un remboursement sur facture. La région PACA offre, quant à elle, 250 euros. Certaines municipalités, aussi, subventionnent leurs administrés, comme La Tour du Pin (Isère), Mornant (Rhône), ou encore Dammarie-les-Lys (Seine et Marne). De plus, la plupart des régions ont rendu la carte grise gratuite lors de la revente pour les véhicules E85. À noter aussi que certaines villes comme Cannes ou Vienne donnent accès à un « disque vert » pour les véhicules E85 offrant du temps de stationnement gratuit.
L’appui des centres auto
À côté de ces aides bienvenues mais temporaires, les fabricants travaillent leur réseau de distribution pour booster leurs ventes et les pérenniser. « Le recrutement et la formation des installateurs sont une de nos priorités », appuie Sébastien Le Pollès, qui a fait croître son réseau de 32 % en 2020 pour atteindre plus de 2 342 dont des indépendants et des centres auto d’enseignes comme Autodistribution, Norauto, Point S, Siligom ou Speedy.
Pour sa part, Biomotors s’est associé à l’automne 2020 avec la marque de produits d’entretien de moteur Bardahl, pour doper son réseau qui compte environ 700 points d’installation, dont des indépendants mais aussi des enseignes comme Motorcraft (Ford), Points S, VDSA ou Norauto.
De quoi atteindre la clientèle des particuliers, mais aussi celle des flottes professionnelles. La ville de Pont-Sainte-Maxence (Oise) a ainsi fait passer six véhicules municipaux à l’E85 grâce à des kits Biomotors installés chez Norauto. « La conversion nous donne entière satisfaction. Le seul bémol est que, pour nos véhicules neufs, il faut attendre la fin de la garantie constructeur pour installer les boîtiers », indique Jérôme Bahu, directeur général des services techniques et de l’urbanisme de Pont-Sainte-Maxence. De manière plus inattendue, ses services ont aussi opté pour la conversion E85 d’une balayeuse de rue Mathieu. « Le coût est assez élevé, près de 5 000 euros, mais l’engin tourne 4 à 5 jours par semaine, ce qui assure l’amortissement. Si la démarche première est économique, le recours au bioéthanol permet aussi d’inscrire la commune dans la transition énergétique », pointe-t-il.
Ce que confirme Philippe Mangin, « Il s’agit là d’une préoccupation croissante de nos concitoyens qui s’interrogent aussi beaucoup sur l’origine du bioéthanol ». Le sujet à venir étant, selon lui, de pouvoir tracer l’origine et de réassurer les usagers. « C’est ce sur quoi nous travaillons dans le cadre de la stratégie régionale bioéconomie et biocarburants durables, poursuit Philippe Mangin. Le Grand Est – avec les acteurs Tereos, Roquette et Cristal Union – est la première région productrice de bioéthanol en France. Nous aimerions pouvoir indiquer sur la pompe le caractère local de ces carburants ». Tout un nouveau monde en projet.
Fondateur et PDG de Biomotors, Alexis Landrieu, 33 ans, s’est intéressé à ce marché dès ses balbutiements, « J’y ai vu toute de suite l’occasion de marier mes deux passions, lance-t-il, le sport automobile et la protection de l’environnement ». Orienté d’abord dans les énergies renouvelables, Alexis Landrieu crée Biomotors en 2011 selon un schéma privilégiant le développement par les équipes de l’entreprise d’une ligne de boîtiers et la fabrication en France, après des premières tentatives d’importation. A noter aussi le dépôt d’un brevet dès 2015 portant sur les systèmes de conversion pour moteurs à injection directe. L’entreprise qui emploie environ 40 personnes est aussi présente sur le marché du décalaminage de moteurs par hydrogène avec des machines qu’elle a conçues.
Pour Sébastien Le Pollès, 41 ans, tout est né d’un reportage sur le bioéthanol diffusé sur la chaîne M6 en 2007. Ce serial entrepreneur se pique de curiosité pour le sujet. « J’ai d’abord importé des boîtiers du Brésil ou de Finlande mais ils n’étaient pas adaptés à la France. Ensuite, j’ai décidé de développer un boîtier puis de créer la société, FlexFuel Energy Development, pour l’industrialiser et le commercialiser à travers un réseau d’installateurs agréé ». Avec le Made in France en prime : les cartes sont fabriquées par des sous-traitants près d’Angers et de Fontainebleau. L’entreprise, qui emploie environ 80 personnes, développe aussi des machines de décalaminage moteur à base d’hydrogène. Et elle a intégré à nouveau cette année le programme d’accélération French Tech 120. « Nous menons de la R&D en permanence, c’est la seule voie pour avancer », conclut-il.