L’impensable est arrivé. Une erreur dans la formulation d’un herbicide de la société Adama a eu pour conséquence l’épandage de molécules interdites en Europe (diuron, bromacil et carbétamide) sur 5 000 ha de betteraves. Elles devront toutes être détruites : principe de précaution oblige !

Pour beaucoup de betteraviers ayant utilisé des produits provenant des lots défectueux de Marquis (lots n° 20107169 et 20107172), la lettre recommandée envoyée début août par la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (Draaf) a été un véritable coup de massue.

Bien que 100 % victimes de cette situation, les betteraviers se plient néanmoins aux injonctions de l’administration. « Nous acceptons la décision », déclarait le vice-président de la CGB, Guillaume Gandon, sur RTL le 12 août. « Toutes les parcelles sont identifiées et seront détruites. Cela prouve qu’en France, on ne met pas n’importe quoi dans le circuit alimentaire ».

Les 5 000 hectares concernés par l’utilisation de lots de Marquis déclarés non conformes représentent seulement 1,5 % au niveau national, « mais dans la Marne, les Ardennes, l’Aube et l’Aisne, beaucoup de planteurs sont concernés », déclare Régis Huet, vice-président de la délégation CGB Marne, Haute-Marne et Meuse.

Choc psychologique

Outre le choc psychologique de détruire une récolte qui s’annonçait prometteuse, « les agriculteurs se demandent comment ils seront indemnisés », souligne Cyril Cogniard, président de la CGB Champagne-Bourgogne. Des discussions avec la société Adama sont en cours pour trouver un accord amiable. « Cette société a fait une erreur, les agriculteurs en ont été victimes, ils doivent être indemnisés rapidement ».

« J’espère qu’ils ne prendront pas ma moyenne 5 ans qui n’est pas très bonne », s’inquiète Alice Varlet, agricultrice à Moÿ-de-l’Aisne. « Car la dernière fois que j’ai cultivé de la betterave sur cette parcelle, j’avais fait 116 t/ha. Le bidon non conforme est tombé sur ma meilleure parcelle ».

La filière travaille collectivement sur une méthode et présente un front uni pour mettre au point une méthode d’évaluation du préjudice. Le président de la CGB, Franck Sander, indique que le syndicat est pleinement mobilisé sur ce dossier et entend faire en sorte que « la société Adama assume la pleine responsabilité financière de ses erreurs opérationnelles vis-à-vis des agriculteurs et de l’ensemble de la filière, entreprises de travaux agricoles et Cuma comprises. Nous serons intransigeants sur les modalités, les montants des indemnités à verser, ainsi que sur le calendrier de leur versement, qui devra correspondre à celui du paiement habituel des betteraves ».

Distributeur du Marquis défectueux, la coopérative Vivescia se retrouve en première ligne avec son assureur pour piloter le préjudice financier et le paiement des indemnités. « Notre enjeu commun est de se caler sur la première échéance de la campagne betteraves au 30 novembre, afin de préserver les trésoreries de nos associés coopérateurs », explique le directeur de la coopérative, Jean-Luc Jonet.

Selon les différents acteurs de la filière interrogés, Adama mène des discussions constructives. Sollicitée par le Betteravier français, la société phytopharmaceutique déclare que « des experts ont été nommés pour le compte d’Adama et des assureurs. Ils travaillent en contact permanent avec les experts nommés par les agriculteurs et les distributeurs. Ces mesures prennent nécessairement du temps, mais nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que ces études sont finalisées aussi rapidement que possible ».

Quantité de biomasse énorme

Aujourd’hui, la préoccupation est de savoir comment détruire ces si belles betteraves. La quantité de biomasse est énorme, il va donc falloir employer des méthodes de destruction à la fois chimiques et mécaniques. « Je souhaitais détruire les betteraves mécaniquement, mais il faudra utiliser aussi la destruction chimique. Les betteraves sont trop développées. La méthode mécanique seule ne pourra pas suffire », constate Régis Huet.

Cela représentera de nombreuses heures de travail pour effeuiller les betteraves, puis détruire les racines en utilisant un outil animé et enfin plusieurs passages avec un outil à disques. Viendra ensuite le temps d’implanter la culture suivante. Et là, les planteurs ne sont pas exonérés des contraintes imposées par l’utilisation des néonicotinoïdes. Ce sera donc des céréales.

Comment se comporteront les blés qui suivront ? Des betteraves ne risquent-elles pas de repousser ou de monter en graines ? Personne n’a vraiment d’expérience en la matière. L’ITB est en train d’étudier la question. Prudent, Cyril Cogniard déclare qu’il faut « laisser le dossier ouvert pour les problèmes qui pourraient survenir pour les cultures suivantes ». Les mois à venir nécessiteront une surveillance de ces parcelles. Tant au niveau de l’agronomie que des indemnisations, l’affaire ne fait que commencer.

Les utilisateurs de Goltix Duo attendent aussi

Les 7 500 ha de betteraves traitées avec les six lots Goltix Duo ou Tornado Combi non conformes ne devront pas être détruits. La substance active incriminée est en effet autorisée sur les céréales. « La profession a indiqué que, à titre de précaution, les produits concernés seront probablement utilisés pour la production de bioéthanol », indique le ministère de l’Agriculture. « Cela va demander une logistique de manière à isoler les betteraves », explique Olivier Leducq, directeur de Tereos sucre Europe.

Les planteurs qui ont utilisé les lots non conformes de Goltix Duo attendent aussi des indemnisations, qui devraient couvrir le retard de croissance. « Au niveau des producteurs, on estime le préjudice à au moins 4 millions d’euros », chiffre Franck Sander.

Les sucreries sont les autres victimes

Les fabricants subiront une perte de chiffre d’affaires et vont voir leur campagne d’écrasement de betterave considérablement réduite.

« Dans cette affaire, dont nos coopérateurs et nous-mêmes sommes victimes, nous prenons toutes les mesures nécessaires pour un strict respect du principe de précaution et nous mettons tout en œuvre pour que les dommages soient évalués et indemnisés à la hauteur des préjudices subis », explique le groupe Cristal Union, qui devait transformer 80 % des betteraves qui seront détruites. « La décision de la DGAL de faire procéder à la destruction des betteraves concernées par les lots de produits Marquis non conformes est une décision douloureuse et l’émotion de nos coopérateurs concernés est forte. C’est aussi une décision responsable qui permet de garantir la sécurité alimentaire de nos productions de sucre et d’alcool, et témoigne de l’efficacité du système de surveillance sanitaire français ».

Tereos est concerné à hauteur de 1 500 ha, via la sucrerie de Connantre, pour un peu moins de 100 planteurs. « Nous sommes 100 % victimes, le producteur va perdre des betteraves et la coopérative aura 130 000 tonnes de betteraves en moins à transformer en sucre et en éthanol. La durée de campagne sera amputée et nous subirons une perte de marge nette et de chiffre d’affaires assez élevée », déclare Olivier Leducq, directeur Sucre Europe du groupe Tereos.

Quelle marche à suivre ?

  • Contacter sans délai votre compagnie d’assurance (multirisques agricole ou responsabilité civile) pour activer votre protection juridique et ouvrir un dossier. En cas de difficultés, vous rapprocher de votre syndicat.
  • Conserver tous les éléments de preuve : bidons ou cartons, factures, registre, photos…
  • Apporter la preuve de destruction à l’administration, par mail, en joignant le document pro forma (annexé au courrier du SRAL) et des éléments de preuves (photos, déroulé de la destruction, etc.).
  • Déclarer la destruction des parcelles de betteraves sur Télépac, rubrique « accident de culture ». Le ministère s’est engagé à ne pas appliquer de pénalités.

Témoignage de Florian Seignier, jeune agriculteur à Gratreuil dans la Marne : « J’ai des emprunts à rembourser »

« Il me manquait un bidon de produit pour finir le désherbage. Je suis allé chercher 5 kg de Marquis, le 28 mai, et j’ai traité 16,5 ha de betteraves à 300 g, le 7 juin. Malheureusement, je suis tombé sur un lot non conforme. Quelques jours après, j’ai constaté des décolorations sur le feuillage. J’ai contacté mon assurance, car je me doutais bien que quelque chose n’allait pas. Quand j’ai appris que le Marquis contenait des produits interdits, ça a été un choc. Depuis début août, cette histoire me tracasse, surtout la nuit. Comment serons-nous indemnisés ? Et surtout quand ? C’est ma première année d’installation : j’ai des emprunts à rembourser, je ne peux pas me permettre un seul écart. Les échéances de mes factures coïncident avec les paiements de mes betteraves.

Surtout, je me suis donné beaucoup de mal pour éliminer à la main les betteraves montées et les chardons. J’ai même passé les derniers fongicides. Il ne restait plus qu’à faire la récolte.

J’ai fait un traitement chimique mardi 17 août et j’attends que les feuilles fanent. J’essaierai de détruire les racines d’ici un mois, peut-être avec un Rotovator. Il ne faut pas laisser des betteraves dans le champ pour qu’elles ne montent pas en graines l’année prochaine.

Comment sera le blé sur cette parcelle ? Il paraît que le blé jaunit, m’a dit un collègue qui accueille des parcelles d’essais où les betteraves sont détruites.

Enfin, que va dire le grand public en nous voyant détruire des parcelles de betteraves ? Cela ne va pas être bon pour notre image, alors que nous sommes les victimes de cette histoire ».