À moins de six mois de l’élection présidentielle et à moins d’un mois de la présidence française de l’UE, que demandez-vous aux politiques ?

Nous avons trois priorités pour notre filière : accélérer l’innovation, répondre au défi climatique et gérer les risques et les transitions. C’est le message que nous allons faire passer auprès des politiques dans les prochains mois. Nous voulons faire de la betterave un levier de souveraineté alimentaire énergétique, industrielle et climatique dans les territoires. Nous souhaitons un écosystème d’innovation betteravier performant. En recherche, il faut pouvoir utiliser des solutions nouvelles, avec un cadre qui convienne à tout le monde. Cela passe par une réglementation stable avec un nouveau dispositif européen permettant l’utilisation cadrée des nouvelles techniques d’édition génomique comme les NBT.

Nous attendons une politique commerciale européenne en cohérence avec les objectifs internes du Green deal. Cela doit passer par l’instauration de clauses miroirs pour une réciprocité des normes sociales et environnementales entre l’alimentation que nous produisons et celle que nous importons.

Notre filière est à un tournant. Si on ne prend pas les bonnes décisions dans les six mois à deux ans, nous allons rentrer sérieusement en phase de décroissance.

Êtes-vous confiant pour l’obtention de la prochaine dérogation sur les néonicotinoïdes ?

Il y a encore beaucoup d’incertitudes mais nous sommes confiants car le gouvernement a la volonté d’avancer. Nous étions en réunion de travail il y a quelques jours avec le cabinet de Julien Denormandie et le délégué interministériel. Mais, en même temps, il y a encore des obstacles devant nous, comme la prochaine décision de l’Anses sur les successions culturales, qui va avoir une influence sur l’assolement et les surfaces de betteraves dans nos fermes, et celui du climat. Selon les températures, le risque de la présence de pucerons est considéré comme moindre.

Comment voyez-vous les prochains semis en betteraves en 2022 ?

Le manque de visibilité et le problème des successions culturales constituent aujourd’hui un frein au développement de la betterave l’an prochain. La succession de contraintes ces dernières années, sécheresse, jaunisse et gel, le tout avec un prix des céréales qui flambent et la concurrence du lin et de la pomme de terre, sont de redoutables obstacles pour le maintien de la betterave dans les exploitations. Depuis trois ans, les surfaces n’ont cessé de diminuer, pour s’établir à 403 000 ha pour la campagne 2021. Mais les cours sont à la hausse et les indications de marché favo­rables. Nous pouvons espérer que les planteurs engagés continuent à produire de la betterave. Les années 2020 et 2021 ne sont pas représentatives. Il ne faut pas baisser les bras. Nous espérons des bette­raves à 30 euros, assez vite. Nous appelons à un sursaut de tous les acteurs pour assurer la pérennité de la filière.

Comment cela se passe-t-il dans votre région en Alsace ?

Nous sommes un peu à contre-courant du mouvement national. Pour la première fois depuis très longtemps, nous devrions inverser la courbe en 2022. Pendant longtemps, nous avons fait face à la cercosporiose qui était un véritable fléau. Malgré cela, avec les prix annoncés par Cristal Union, avec un prix indicatif à 28 €/t, cela va permettre de stopper la perte des surfaces.

La betterave bio continue-t-elle à se développer ?

Il s’agit d’une culture de niche. Elle est très sensible aux maladies et aux ravageurs et nécessite beaucoup de main-d’œuvre. Les coûts de production sont importants. Aujourd’hui, la rémunération proposée par les sucriers ne permet pas de rendre la culture suffisamment attractive pour les planteurs.

Que vous inspirent les prix d’acompte des betteraves ? Comment pourraient-ils être améliorés ?

Dans l’ensemble, je n’ai pas de doute sur le partage de la valeur dans la filière. La question est davantage sur la valorisation du sucre sur le marché. Le gros de la commercialisation se fait en mai-juin. Que fait-on pour aller chercher la meilleure rémunération ? Il faut mettre en place une innovation contractuelle.

En betterave, nous militons pour l’instauration de marchés à terme avec des couvertures, comme cela se fait au Royaume-Uni et au Danemark, avec un accès possible à la fois pour les fabricants et les betteraviers. Sur le sucre, nous pensons que la mise en place prochaine d’indicateurs, dans le cadre de la loi dite Egalim 2, pourra apporter des solutions. C’est l’opportunité de construire une contractualisation qui permette une meilleure répartition de la valeur du producteur au consommateur, dans une approche plus dynamique des marchés pour retrouver durablement du revenu.

Quel bilan faites-vous du PNRI ? Est-ce un modèle à décliner sur d’autres problématiques ?

C’est un formidable exemple de coopération entre l’INRAE et notre filière. Il vaut mieux avancer ensemble que chacun de notre côté. Ce serait un modèle à décliner sur d’autres problématiques, à commencer par le charençon. Nous appelons à la mise en place d’un programme de recherche comme le PNRI, afin de mettre en oeuvre tous les moyens possibles et d’anticiper des conséquences qui pourraient être très rudes pour la betterave. La lutte contre cercosporiose est également primordiale pour permettre de supprimer les fongicides en betterave, comme en maïs. Le Green deal va nous y obliger.

Certaines contraintes peuvent-elles se transformer en opportunités pour la filière ?

Les biocarburants sont un vrai atout pour notre filière. Le verdissement qui nous contraint est une véritable chance pour notre filière, avec la méthanisation et les biocarburants. Cela nous permet de diversifier nos sources de revenus. Concernant le carbone, il est intéressant de savoir comment nous allons pouvoir mieux le stocker et mieux le valoriser. La vente de crédits carbone pourra compléter nos revenus.

Pensez-vous que la CGB est bien représentée auprès des jeunes. Que pouvez-vous leur dire pour adhérer à la CGB demain ?

Seul sur sa ferme, un agriculteur ne pourra jamais se faire entendre. Il est primordial de partager ses expériences avec d’autres agriculteurs et participer à des rencontres. Cela apporte de l’ouverture d’esprit et de nouvelles connaissances. C’est aussi l’occasion de faire évoluer des dossiers spécifiques, comme sur les NNI et l’indemnisation des surfaces touchées par les désherbants non conformes d’Adama.

Le syndicalisme généraliste national nous a beaucoup aidés mais il n’aurait jamais pu passer autant de temps et d’énergie que nous car il n’est pas outillé pour. Il faut passer du temps à expliquer, réexpliquer les spécificités de notre filière aux politiques, élus et candidats à la présidentielle. Il faut un syndicat betteravier fort pour porter les enjeux de la filière au plan national et obtenir des avancées comme nous l’avons eu sur les NNI, Adama, les biocarburants ou encore le développement de la certification bas carbone. Afin de nous faire mieux connaître auprès des jeunes et d’écouter leurs besoins, nous avons mené une réflexion commune avec le syndicat des Jeunes agriculteurs. Nous allons organiser un rendez-vous annuel, à partir de l’an prochain, à destination des jeunes betteraviers.