Jusqu’à quand les chasseurs pourront-ils payer la facture des dégâts agricoles ? L’an dernier, les chasseurs ont déboursé 77,3 millions d’euros pour indemniser les agriculteurs, ce qui représente 80 euros par chasseur. Rappel du mécanisme : la loi du 26 juillet 2000, dite « loi Voynet », a confié aux fédérations départementales de chasseurs, à leur demande, la charge des dégâts de grand gibier. Chaque fédération a créé un fonds départemental sous l’autorité du préfet. À l’époque, les dégâts étaient très raisonnables. Personne n’imaginait que les populations de grand gibier allaient exploser. Seulement voilà : en 2021, le montant des indemnisations a été multiplié par … 45 ! Comment expliquer cette envolée ? Par la réduction du nombre de chasseurs d’abord. En 1975, nous avions 2,2 millions de chasseurs (pour 54 millions d’habitants) aujourd’hui nous en avons 1 million (pour 67 millions d’habitants). Moins de puissance de feu (et davantage d’impact au portefeuille, puisqu’il y a moins de monde pour supporter la charge financière). Côté agricole la productivité a été multipliée par trois, ce qui renchérit le coût des dégâts. Le grand gibier, lui, s’envole. Les populations de sangliers ont été multipliées par six en trente ans. La bête noire s’installe partout. On la trouve aussi bien en forêt qu’en plaine, en bord de mer comme en montagne, à la campagne comme dans les faubourgs, et même en ville. C’est désormais une population devenue incontrôlable. Un tsunami. Les chasseurs font ce qu’ils peuvent, mais il y a de plus en plus de secteurs classés en réserves. Bien nourries, les laies n’ont jamais été aussi fécondes. On les voit désormais, suivies de leurs petits, folâtrer au bord des routes.

Entre 6 et 8 000 ha de maïs détruits chaque année

Si les populations de cerfs et de chevreuils ont elles aussi fortement progressé, le sanglier reste le grand ravageur. Il est responsable de 85 % des dégâts et détruit les cultures de maïs (entre 6 000 et 8 000 ha chaque année). Mais il défonce aussi les prairies (24 % des dégâts) et se révèle également dévastateur dans la vigne, notamment sur le pourtour méditerranéen. Dans le seul département du Gard, par exemple, 113 tonnes de raisins détruites ont coûté 85 000 euros.

En seconde position vient le cerf, avec environ 10 % de la facture globale.

On le trouve dans le maïs, mais aussi dans le colza, où il ravage davantage que le sanglier. Les dégâts provoqués par le chevreuil ne dépassent pas 5 % du total. Il est surtout nuisible dans les régions viticoles où il consomme les bourgeons.

Toutes les communes ne sont pas également touchées. Quinze pour cent des communes versent 85 % des indemnisations. Ce sont surtout les départements du Centre et de l’Est qui paient le prix fort. La Bretagne ou le Sud-Ouest, par exemple, sont moins impactés.

Vers une modification du système d’indemnisation

Quelles sont les parades face à cette explosion ? Augmenter la saison de chasse ? On peut déjà, avec des autorisations administratives, réguler le sanglier toute l’année. Augmenter le nombre de chasseurs ? On a baissé le prix du permis national à 200 euros. Et la Fédération Nationale s’emploie à attirer de jeunes chasseurs. Trouver de nouvelles ressources financières ? Certaines Associations communales de chasse agréées (ACCA) tentent de développer le tourisme cynégétique en vendant des bracelets pour la chasse du cerf et du chevreuil à l’approche ou à l’affût.

Partisans d’une solution plus radicale, certains responsables fédéraux plaident pour que la note soit envoyée aux décideurs de la politique agricole commune (Pac). La France est la première bénéficiaire de cette politique, avec une enveloppe qui frôle les 10 milliards d’euros. Le montant des dégâts ne représenterait que 0,8 % de ce montant.

En France, les chasseurs paient. Ce n’est pas le cas partout. Au Royaume-Uni et dans les pays nordiques, c’est à l’agriculteur de mettre la main à la poche et de sortir le fusil pour se protéger éventuellement. En Italie et en Lettonie, c’est l’État qui paie. En Allemagne, Belgique, Luxembourg, Hongrie, c’est le détenteur du droit de chasse. Il est responsable de « son » gibier et doit en payer les conséquences.

Quoi qu’il en soit, inquiet, Willy Schraen propose, lui, une intervention de l’État. La Fédération nationale des chasseurs (FNC) a annoncé que, si la discussion avec les pouvoirs publics n’aboutissait pas, elle engagerait une action juridique. Suivant les conclusions de l’avocat de la FNC, le Conseil d’État a considéré que les dispositions de la loi « portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d’égalité devant la loi et au principe d’égalité devant les charges publiques garanties par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Cette étape confirme que le système actuel doit être revu. Le Conseil constitutionnel est désormais saisi et doit statuer dans un délai de trois mois.