L’Europe, premier continent à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 ? La France, leader du carbone agricole européen ? L’ambition de structurer ce marché est même une priorité de Julien Denormandie pendant la Présidence française du Conseil de l’Union européenne.

À l’issue du conseil informel des ministres de l’Agriculture qui s’est tenu sur le thème du Carbon Farming, les 7 et 8 février à Strasbourg, il a souligné l’impulsion donnée par la Commission, mais aussi l’intérêt unanime des États membres. D’ailleurs, pendant ces deux jours, l’appel lancé il y a trois mois, à « faire des agriculteurs des soldats du climat » a été, de son aveu, « profondément partagé ». L’objectif est d’aboutir, fin 2022, à l’élaboration du futur cadre réglementaire sur la certification européenne carbone. Une direction stratégique commune sera à élaborer lors du conseil des ministres de l’UE prévu le 21 mars ou pour celui d’avril. Elle doit s’appuyer sur une méthodologie valorisant les pratiques culturales qui permettent de capter du carbone de façon additionnelle.

La labellisation apporte de la crédibilité sur le marché volontaire

Le marché du carbone est en pleine croissance, mais la part des crédits proposés par le secteur agricole reste faible. Pour Julien Denormandie, tout l’enjeu est d’accélérer l’émission de crédits carbone agricole, « car ils sont un moyen de concilier la création de valeur environnementale et la création de valeur économique ». L’alignement des intérêts plutôt que l’injonction réglementaire est la stratégie soutenue. La labellisation bas carbone est mise en avant : « elle doit apporter de la confiance et de la transparence sur les crédits émis sur le marché volontaire », a-t-il insisté en clôture de la séance de travaux sur les cycles du carbone durable organisée par la Commission européenne, le 31 janvier.

Carbone agricole français en structuration

Avec son label bas carbone, la France marque une longueur d’avance. La vente de crédits carbone issus de son agriculture est déjà une réalité. Mais pour accélérer, « il faut massifier le recours à l’agriculture française », expliquait Julien Denormandie, le 31 janvier, lors d’une table ronde organisée par son ministère. Elle avait pour ambition de fédérer de nouveaux acteurs. Des opérateurs intermédiaires aident déjà à monter des projets bas carbone, à structurer l’offre agricole. Ils facilitent aussi l’accès aux investisseurs. Dans ce cadre, Mathieu Toulemonde, fondateur de la plateforme Terraterre a insisté sur la nécessaire transparence : « les entreprises demandent des outils pour mesurer l’impact réel des projets qu’elles soutiennent ».

Côté financement public, le ministère de l’Agriculture donne le La. Il va acquérir 7 000 teqCO² via un appel d’offres lancé en mars. Elles lui permettront d’atteindre en 2022 la neutralité carbone. La Caisse des dépôts s’engage à hauteur de 20 000 teqCO². Le Crédit Agricole se positionne pour acheter 25 000 teqCO². LVHM et le groupe Action Logement s’inscrivent dans cette dynamique. Parmi les motivations des acteurs économiques : l’accompagnement de la transition agricole, le lien avec les projets proches de leur territoire ou de leurs activités, les co-bénéfices environnementaux.

La qualité des pratiques agroclimatiques certifiées par un label signe une différence fondamentale par rapport aux crédits carbone sud-américains, expliquant l’écart de prix, 30-40 euros la teqCO² en Europe contre 5 à 8 euros. Julien Denormandie appelle d’ailleurs à une démarche proactive de la part des investisseurs et pas uniquement comptable : introduire des légumineuses dans l’assolement est bien plus onéreux que d’arrêter la déforestation !

Une seule offre sous l’égide du syndicalisme majoritaire

En réponse au nécessaire besoin de lisibilité, Christiane Lambert a annoncé le 31 janvier la création d’une offre commerciale unique de crédits carbone agricole français, sous la forme d’une SAS, ouverte à toutes les productions agricoles sous l’égide de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Conçue avec l’aide de France Carbon Agri, son nom sera divulgué juste avant le Salon de l’Agriculture, en même temps que le lancement d’un troisième appel à projets. « Cette structure commerciale a vocation à massifier le plus possible en apportant des garanties, a précisé la présidente de la FNSEA. Et pourrait être inspirante pour les autres pays européens ainsi que la Commission ». Trente-deux entreprises sont en contact avec la FNSEA pour inscrire le carbone agricole français dans leur stratégie RSE. Près de 600 000 teqCO² de crédits sont disponibles. Partagée avec les Associations spécialisées (dont la CGB), JA et les Chambres d’agriculture, la démarche sera pilotée avec Epiterre, une autre structure du syndicat qui vend des crédits pour la biodiversité.

Le manque d’ambition des labels AB et HVE

L’étude de GreenFlex commandée par le ministère de l’Agriculture sur les enjeux d’atténuation du changement climatique insiste sur le déficit d’information à tous les niveaux, un manque de cadre réglementaire incitatif, même si c’est en construction, ainsi que l’insuffisance de solutions techniques transversales qui lient le climat et la biodiversité. Elise Bourmeau, sa directrice conseil agriculture, souligne le manque d’ambition des labels AB et HVE sur ce thème : « ils n’embarquent pas assez le carbone dans leur cahier des charges ». Le cabinet d’étude livre 27 recommandations dont une meilleure communication sur le label bas carbone et une incitation fiscale pour favoriser les pratiques stockant le carbone. Deux principaux enseignements ressortent : agir sur les systèmes de production et décloisonner les filières.