En définitive, la suppression des quotas sucriers en 2017 s’est plutôt bien passée, si l’on en croit une « étude sur les stratégies d’adaptation de la chaîne d’approvisionnement en sucre après la fin des quotas sucriers », publiée par la Commission européenne, le 31 janvier dernier.

Certes, les prix du sucre ont dégringolé ; mais ce serait surtout de la faute des cours mondiaux qui, manque de chance, se sont effondrés alors que l’Europe libéralisait son marché du sucre. Résultat : la filière sucre française a perdu quatre sucreries, et pas moins de 2 milliards d’euros de valeur ajoutée ont été transférés chaque année, au niveau européen, vers les industries utilisatrices de sucre et la distribution.

Pour répondre à ce marasme, la Commission européenne a donc commandité en 2019 cette étude, alors que les betteraviers européens la pressaient d’agir pour mettre en place un minimum de régulation des marchés.

Nouvel équilibre

Quelles suites la Commission pourrait-elle donner à cette étude ? Peut-on attendre des changements dans sa politique sucrière ? « Je pense qu’il s’agit d’un véritable plaidoyer pour la vision libérale de la Commission, explique Timothé Masson, l’économiste de la CGB ; elle estime que la fin des quotas, et celle du prix minimum de la betterave, n’auraient eu que des effets indirects sur la viabilité économique des principaux acteurs de la chaîne de production. Selon l’étude, la crise est finie : la filière aurait terminé sa mue, et elle a montré une résilience satisfaisante. Et il est donc urgent de ne rien faire. C’est véritablement à rebours de ce que vivent les planteurs et la filière.» D’autant que la crise est jugée derrière nous. Et les auteurs d’écrire : « le marché de l’UE est en train de trouver un nouvel équilibre » et, les prix augmentant, « plusieurs grands producteurs du sucre de l’UE » ont « des résultats financiers plus satisfaisants pour la campagne de commercialisation 2020-2021 ».

En revanche, l’étude souligne que les risques liés à l’évolution des rendements sont considérés comme de « grande importance », tout particulièrement en ce qui concerne la « mise en œuvre non homogène de l’interdiction des néonicotinoïdes ».

Une fois ce constat réalisé, les auteurs passent en revue les stratégies qui ont été efficaces pour faire face à la fin des quotas sucriers. L’étude fait la liste des outils de gestion des risques existants en fonction de « ce qui fonctionne », et de ceux qui ne permettent pas encore de savoir s’ils fonctionnent, qu’elle qualifie « attendre et voir ».

« Ce qui fonctionne »

L’étude confirme que certaines solutions établies de longue date pour faire face aux risques de production ont également été efficaces pendant la période post-quotas. Il s’agit :

  • Des « pratiques agricoles et d’intrants spécifiques », c’est-à-dire l’accès à l’irrigation et aux produits phytosanitaires,
  • L’assurance récolte ;
  • Les « dérogations temporaires pour l’utilisation de certains intrants » (par exemple les néonicotinoïdes) ;
  • Les « techniques de couvertures basées sur les contrats à terme et les options pour les producteurs de sucre, notamment les raffineurs » ;
  • Les « aides d’État (y compris celles relevant de la clause de minimis) ».

L’étude cite également d’autres dispositifs, tout en soulignant qu’ils ne sont pas conçus au départ comme des outils de gestion des risques :

  • « Le soutien couplé facultatif » est un dispositif largement plébiscité dans l’étude (aides couplées, présentes dans 11 États membres représentent actuellement 30 % de la superficie et de la production de betteraves sucrières de l’UE-27, le plus grand pays utilisateur de ces aides couplées étant la Pologne) ;
  • Les « paiements directs découplés » ;
  • Les « accords et contrats d’approvisionnement en betteraves » ;
  • Le « système de suivi et de communication des prix » mis en place par la Commission, tout en précisant qu’il présente des lacunes qui devraient être levées, lorsque la Commission publiera les résultats de prix sur les contrats à court terme.

Enfin, l’étude mentionne les stratégies commerciales ayant des implications sur la gestion des risques, comme la diversification des groupes sucriers (géographique ou par produit), l’innovation technique et la production d’éthanol (qui est surtout le fait de la France).

« Attendre et voir »

Les solutions de gestion des risques classées dans la catégorie « attendre et voir » ont été jugées solides sur le plan conceptuel, mais pas encore suffisamment déployés pour faire l’objet d’un jugement :

  • Les « fonds de mutualisation contre les parasites et maladies »,
  • L’instrument de stabilisation des revenus, dont il est fait mention qu’il sera testé en France en 2022, est présenté comme « théoriquement bien conçu ». S’il n’a pas été mis en place jusqu’à présent, c’est, selon l’étude, pour une combinaison de raison (coût administratif, contribution financière, besoin de réassurance, besoin d’adhésion des États membres et des sucreries),
  • Les « techniques de couverture basées sur les contrats à terme et les options », qui se sont avérées « généralement indisponibles pour les producteurs de betteraves sucrières de l’UE », tout en soulignant que « cette solution s’est avérée efficace pour faire face à la volatilité des prix de la canne à sucre pour les producteurs, par exemple en Australie ».

Sur ces trois volets, il est précisé qu’elles se sont « avérées efficaces dans les pays tiers producteurs de sucre », et qu’« on peut raisonnablement s’attendre à ce que, une fois les inconvénients identifiés résolus, une adoption plus large dans l’UE permette de porter un jugement plus solide sur leur contribution réelle à l’amélioration de la résilience du secteur sucrier de l’UE ».

Enfin, l’étude place dans cette catégorie les outils de l’organisation commune des marchés (OCM) existants, justifiant cependant qu’ils n’ont pas été mis en place, notamment le stockage privé (surplus uniquement pendant la première campagne de commercialisation sans quota 2017-2018) ou l’article 222 (précisant que « l’exclusion des activités de négociation collective ou de fixation des prix dans le cadre de la mesure de gestion de l’offre visée à l’article 222 est nécessaire pour garantir le respect des règles de concurrence en vigueur »).

L’étude souligne que l’introduction de mécanismes de déclenchement pour les mesures de marché avait été demandée lors de la rénovation de l’OCM, mais que « de tels mécanismes peuvent susciter des attentes et donc influencer le comportement des acteurs du marché : cela ne serait pas conforme à l’orientation de la PAC vers le marché ».

Innover dans la contractualisation

Que devraient retenir les planteurs de betteraves de cette étude ? « Elle justifie la vision de la Commission sur sa politique agricole, défendant aussi bien les paiements couplés qu’une PAC plus orientée vers le marché, répond Timothé Masson. On a quand même un peu l’impression que la Commission se moque de nous. La crise serait passée alors que les betteraviers vont encore diminuer les surfaces en 2022 et que les marchés sont en reprise. Et l’étude ne dit rien sur la manière dont les sucres sont vendus en Europe, ce qui aggrave la crise ».

La CIBE, consciente que cette étude passerait sous silence les relations contractuelles à l’aval (entre vendeurs et acheteurs de sucre), inchangées depuis la fin des quotas, a confié une étude au cabinet LMC pour proposer des améliorations sur la contractualisation du sucre. L’analyste estime que les modalités de vente de sucre, à prix fixe, a eu des conséquentes aggravantes de la crise communautaire, et qu’elle empêche l’adaptation de l’offre à la demande de la filière depuis la fin des quotas. LMC propose de retirer de la négociation les éléments sur lesquels les intervenants ne peuvent pas agir (la valeur du marché mondial), pour se concentrer sur la prime communautaire par rapport au marché à terme. Les intervenants ne négocieraient plus un prix fixe, mais la valeur de la prime communautaire par rapport à la valeur du marché à terme. Toutes les solutions pour faire face à la fin des quotas n’ont donc peut-être pas encore été explorées !

L’étude a été rédigée par deux cabinets de conseil : Areté s.r.l et Agra CEAS Consulting Ltd.

« Une étude qui arrive à contretemps »

Christian Spiegeleer, président du syndicat national des fabricants de sucre (SNFS)

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« L’étude Areté arrive malheureusement à contretemps par rapport à un agenda qui a fortement évolué depuis sa commande. La fin des quotas est derrière nous depuis déjà 5 ans et le secteur s’est en grande partie adapté à ce nouvel environnement de production et de marché : il est désormais aux prises avec les considérables enjeux de Farm to Fork, du Pacte Vert et du changement climatique, hélas hors champ de l’étude. Nous avons connu le choc du marché, nous allons connaître le choc de la réglementation. Les conclusions de cette abondante étude sont, pour le reste, incertaines, voire surprenantes, s’agissant des paiements couplés ! »

« La Commission poursuivra le dialogue avec les acteurs du sucre »

Le 25 février prochain, la Commission réunira les experts des États membres et les représentants des principaux acteurs de la chaîne d’approvisionnement du sucre, afin de soumettre à la discussion les principales constatations et conclusions de l’étude. Un fonctionnaire de l’UE a répondu en off-the-record aux questions du Betteravier français.

Quelles conclusions tire la Commission européenne de cette étude ?

Pour la Commission, la conclusion la plus importante de cette étude est que la résilience du secteur du sucre est satisfaisante malgré les difficultés importantes rencontrées suite à l’abolition des quotas. Le secteur du sucre a ainsi démontré sa capacité à réagir aux signaux du marché et, soutenu également par certaines évolutions favorables récentes sur le marché mondial, est en train de trouver un nouvel équilibre. Par conséquent, la confiance du groupe à haut niveau sur le sucre, créé en 2019, composé de représentants de tous les États Membres de l’UE, dans la capacité du secteur à renforcer ses stratégies de gestion des risques et à s’adapter à un environnement davantage axé sur le marché, sans aucune interférence potentielle que l’activation des mesures de crise disponibles dans le cadre de l’organisation commune des marchés agricoles aurait pu causer, était justifiée. La Commission est d’avis que certains défis importants pour le secteur du sucre recensés dans l’étude seront relevés grâce aux décisions prises par les États membres dans le cadre de leurs plans stratégiques nationaux.

Y aura-t-il des changements dans la politique sucrière de la Commission ?

La Commission poursuivra le dialogue avec les acteurs de la chaîne d’approvisionnement du sucre sur les mesures prévues par la PAC (les mesures de marché et l’outil de stabilisation des revenus) et estime que toute réflexion future concernant ces mesures devra tenir compte de leur non-spécificité au secteur du sucre ainsi que du respect des principes fondamentaux de la PAC, à savoir l’orientation vers le marché, le respect des règles de concurrence et des engagements internationaux de l’Union européenne. En outre, la Commission estime que les changements introduits par la récente réforme de la PAC et d’autres politiques connexes liées à la séquestration du carbone, à la bioéconomie, à la recherche et à l’innovation, etc., se révéleront également bénéfiques pour le développement futur du secteur sucrier de l’UE.