Saint Louis Sucre a beaucoup fait parler de lui dans la plaine avec son annonce, le 11 mars dernier, de garantir un prix moyen de la betterave contractée d’au moins 33 €/t à 16°S de betteraves entières pulpes et indemnités incluses, soit un équivalent de 35,50 €/t à 16°S en forfait collet. Si c’est une bonne nouvelle pour les planteurs, il reste aux représentants de la Commission de répartition de la valeur (CRV) à négocier le supplément de prix 2021 et à construire un contrat attrayant pour 2023.

Ce prix de 35,50 € annoncé par Saint Louis Sucre met ses concurrents sous pression. Les autres groupes pourront-ils s’aligner ?

Tereos a annoncé, le 10 mars, un prix final pour 100 % des betteraves 2021 à 26,67 €/t à 16°S pour le paiement au 31 mars prochain. En cumulant toutes les primes, les planteurs atteindront en moyenne 28,27 €/t. Il s’agit donc d’une hausse de 1,23 €/t par rapport au prix d’acompte de 25,44 €/t à 16°S annoncé en novembre dernier.

À quelques jours du paiement du 2e acompte, les planteurs des autres groupes sucriers étaient encore un peu dans le flou. Une situation difficile à vivre, alors que les charges augmentent vertigineusement et que les cultures alternatives flambent.

Pour la récolte 2022, un besoin de visibilité est exprimé par de nombreux agriculteurs dans un contexte de flambée des cultures alternatives et des coûts de l’énergie. Pour la CGB, « si l’indexation des prix de betteraves demeure un outil dont la filière doit s’emparer, il est capital que les hausses de prix du sucre soient passées au diapason de la hausse des prix de l’énergie. La mise en œuvre d’Egalim 2 dans notre filière doit faciliter cette transmission de la hausse des coûts au niveau de la seconde transformation pour, en fin de compte, assurer la pérennité de notre filière, que ce soit au niveau industriel ou agricole ».

Alors que les prévisions de prix du sucre de la prochaine récolte 2022 sont au beau fixe, il n’est pas trop tard pour envoyer aux planteurs un message positif. Ils en ont bien besoin avant de décider leurs assolements 2023.

Alban Collard – Saint-Remy-sur-Bussy (Marne)

Il faut plus de visibilité sur les prix de betteraves

Alban Collard est dans un secteur plutôt favorable en termes de performance agronomique. Bien que deux tiers des surfaces aient été ressemées à cause du gel en 2021, le rendement final a été de 94 t/ha.

« Concernant les prix pour 2021, je n’ai pas eu de communication sur le 2e acompte. Mais cela devrait arriver. En fin d’année dernière, on nous a annoncé 28 €/t pour la récolte 2021 et Cristal Union a évoqué que les 30 € pourraient être atteignables pour 2022. Avec ce prix et un rendement de 100 t/ha, cela va passer, même si l’on ne peut s’empêcher de comparer les marges en céréales, qui vont être énormes. Nous avons en revanche un manque de visibilité sur les prix des betteraves pour 2023. En céréales, une grande partie des agriculteurs choisissent de vendre eux-mêmes : au moins, ils tiennent un prix qui les satisfait pleinement. S’ils le font en céréales, je ne doute pas qu’ils veuillent le réaliser en betteraves. Mais pour y arriver, il faudrait de la transparence sur les marges des sucreries et des prix de vente : je comprends leur réticence à ne pas se dévoiler face à leurs clients. Cependant, il faudra que les sucriers bougent, sinon il y a un risque important de baisse de surfaces en 2023. Dans l’avenir, nous aurons de gros problèmes sans les néonicotinoïdes, d’autant plus que le colza revient dans la course avec des prix très élevés ».

  • Sucrerie de Sillery – Cristal Union
  • Surface betteravière : 61 ha
  • Prix des betteraves contractées 2021 : 29€/t

Alexandre Herman – Écouis (Eure)

De bons prix pour 2022

« C’est par une lettre de Saint Louis Sucre que j’ai appris, le 11 mars, la mise en place d’un prix garanti de 33 € la tonne de betterave entière à 16°s pour la campagne 2022, soit un équivalent de 35,50 €/t 16°s en forfait collet. Je ne m’attendais pas à avoir ce niveau de prix. C’est une bonne nouvelle, alors que les cultures alternatives comme le lin ou le colza sont très attractives et que les prix du GNR et des engrais ont fortement augmenté.

L’annonce de Saint Louis Sucre et la possibilité de traiter avec des néonicotinoïdes permet d’envisager sereinement les semis des betteraves face à du lin ou du colza.

Cette année, je sème 32 ha pour des questions d’assolement, mais je dois prévoir 4 ha sans traitement néonicotinoïde afin de pouvoir faire du colza et du lin. Cette dérogation est très contraignante en termes de succession culturale. Je vais devoir traiter avec des insecticides moins efficaces ». Alexandre Herman a toujours en tête l’année 2020 catastrophique à cause de la jaunisse, même si 2021 s’est révélée très bonne, avec un rendement supérieur à 100 t/ha.

« Je connais le prix de 2022, mais pas le prix final de 2021 : à ce jour je n’ai touché qu’un acompte de 14,5 €/t à 16°s sur les betteraves contractées ».

Le prix de 2021 sera construit, pour 70 % des betteraves contractées, à partir d’un prix moyen minimum garanti de 23,92 €/t a 16°s et d’une indexation sur les prix du marché européen. Le solde du prix de base de la grille contractuelle et un supplément de prix seront discutés au cours de la Commission de Répartition de la Valeur (CRV) qui se tiendra début juin 2022. « J’attends de voir pour les prix définitifs de 2021 – j’espère que l’on atteindra les 30 € – et les contours du contrat de 2023, car les prochains assolements vont se décider cet été ».

  • Sucrerie d’Étrépagny – Saint Louis Sucre
  • Surface betteravière : 32 ha
  • Prix des betteraves 2021 : dévoilé courant juin

Jean Lefevre – Ognes (Oise)

Je ne peux pas perdre de l’argent tous les ans

« L’équation est assez simple : avec la conjoncture actuelle, les charges liées à la culture de la betterave ont fortement augmenté : + 150 €/ha pour le gasoil, + 125 €/ha pour l’azote et + 25 €/ha pour le matériel, soit + 300 €/ha pour un rendement en baisse à environ 75 t/ha. Mon coût de revient était à environ 26 à 27 €/t auparavant ; il passe pour la récolte 2022 à 30 ou 31 €/t ! Quand on nous annonce entre 29 et 30 €/t, ce n’est donc pas rentable. Si l’on compare la marge brute entre le blé et la betterave (qui sont loin d’être équivalentes d’un point de vue agronomique), elle est de 800 €/ha en faveur du blé, ce qui représente environ 11 €/t de betteraves. Si on la compare par rapport à du colza ou à du maïs, la différence monte à 900 €/ha. Il faudrait alors payer la betterave environ 42 €/t ! »

Le calcul est vite fait pour Jean Lefevre, surtout s’il considère l’arrêt des néonicotinoïdes.

En 2020, les attaques de jaunisse ont fait chuter son rendement à 37 t/ha.

« Dans le Valois, sans les néonicotinoïdes, je ne vois pas comment continuer à produire des betteraves. Il me faut la certitude d’avoir des néonicotinoïdes en décembre prochain avant de re-signer un contrat avec Tereos pour les 5 années à venir. Il faut une solution technique imparable contre les pucerons pour assurer un rendement à 85 t/ha et que les prix de la betterave s’alignent sur les autres cultures. Je ne peux pas perdre de l’argent tous les ans ».

  • Sucrerie de Bucy – Tereos
  • Surface betteravière : 55 ha
  • Prix des betteraves 2021 : 28,27 €/t

Laurence Fournier – Aubepierre-Ozouer-le-Repos (Seine-et-Marne)

La betterave, c’est dans nos gènes

« Après une année 2020 catastrophique et 30 t/ha de rendement, l’année 2021 a été correcte avec 86 t/ha à 16°S. Le prix annoncé est de 26 €/t auquel pourrait s’ajouter un complément de prix lié à la vente du sucre effectuée par la sucrerie Lesaffre. J’ai signé un contrat triennal – 2020 à 2022 – sur cette base. La surface 2022 reste stable à 78 ha de betteraves. Le lin fibre est sur la première marche du podium des marges, mais nous cultivons la betterave depuis plusieurs générations sur la ferme, et il n’est pas question pour le moment d’arrêter. La betterave, c’est dans nos gènes ».

Comment Laurence Fournier envisage-t-elle la fin des néonicotinoïdes ? « On verra bien en 2024. Aujourd’hui, mon objectif est de réduire les coûts, notamment d’arrachage, avec l’achat d’une automotrice d’occasion, et de désherbage en baissant les doses, dans le cadre d’une procédure HVE 3. Mais ces charges vont sûrement augmenter à cause du prix des engrais et du GNR. Je m’inquiète surtout de la répercussion du prix du gaz sur la viabilité de la sucrerie. C’est une des seules sucreries privées et la Seine-et-Marne est pauvre en industrie de transformation. Il faut la soutenir. Je suis fidèle à la betterave et à ma sucrerie ! »

  • Sucrerie de Nangis – Lesaffre
  • Surface betteravière : 78 ha
  • Prix des betteraves 2021 : 26 €/t minimum

Nicolas Guinet – Obsonville (Seine-et-Marne)

Il faut faire tourner la sucrerie

« Les attaques de jaunisse n’ont pas pardonné en 2020. Résultat : une moyenne de 40 t/ha malgré de l’irrigation. En 2021, c’est le gel qui a détruit 100 % des betteraves et les re-semis se sont faits sans protection de néonicotinoïdes. Je redoutais une nouvelle catastrophe, mais la végétation a très vite couvert et le rendement moyen a été de 72 t/ha, sans avoir irrigué.

Ici, la betterave est une tête d’assolement depuis de nombreuses années. Elle a fait vivre mon père et mon grand-père. Pour moi, c’est plutôt un boulet au niveau financier, mais je suis amoureux de cette culture ; c’est pour cela que je résiste. Et puis, nous avons la chance d’avoir la sucrerie Ouvré qui propose des prix conformes à la réalité. Il faut faire tourner la sucrerie.

Pour la betterave 2021, nous sommes sur un prix de base de 25 € hors pulpe (la Sica rémunère souvent bien), auquel on peut ajouter une prime de fidélité de 1 € et des compléments de prix en fonction du sucre vendu par l’industriel. Avec la pulpe, je pense que l’on atteindra les 30 €.

Pour 2022, nous partons sur un contrat de 26 € hors pulpe, plus une prime de fidélité de 1 à 1,5 € et la possibilité d’avoir toujours des compléments de prix selon les ventes de sucre. C’est encourageant !

Cependant pour 2023, il faudra que la sucrerie se positionne rapidement, car nous allons décider des assolements alors que le tournesol est intéressant. Je suis confiant pour 2023, mais en 2024 je ne pourrai pas me permettre de semer des betteraves sans néonicotinoïdes ».

  • Sucrerie de Souppes-sur-Loing – Ouvré Fils
  • Surface betteravière : 29 ha
  • Prix des betteraves 2021 : 26 €/t (hors pulpe)