Chacun a ses préférences. Et elles sont aussi exclusives que pour les équipes de foot. On est « Laguiole » ou « Opinel », « Mongin » ou « Nontron », « Buck » ou « Messer », comme on est « PSG » ou « OM ».

Le chasseur de grand gibier souhaite un couteau droit, épais, costaud, avec une excellente prise en main qui lui permet aussi bien de servir un sanglier que de dépouiller un chevreuil. Ces couteaux sont lourds et assez encombrants. Pour pallier cet inconvénient, nous avons le « couteau-dague à lame repliable », deux couteaux en un : replié, c’est un petit modèle utilitaire. Déplié, c’est un poignard de chasse apte à servir le grand gibier.
Ce modèle « modulable » porte le nom de l’amiral Charles-Henry, Comte d’Estaing, qui l’imposa en le portant aussi bien à la chasse qu’en voyage. Ce héros de la guerre d’indépendance américaine fut guillotiné le 28 avril 1794. Il avait le sens de l’humour. « Envoyez ma tête aux Anglais, ils la paieront cher ! », dit-il à ses bourreaux.

Mongin Hemingway

D’excellents artisans français proposent de forts beaux couteaux de chasse. Les Autrichiens, les Hongrois, les Tchèques, les Allemands en vendent aussi de très beaux. Ils se portent dans un étui de cuir que l’on fixe à la ceinture.

L’américain Buck s’est fait une spécialité de couteaux droits, rustiques et indestructibles. On peut aussi bien tailler du bois pour allumer le feu, ouvrir une boîte de conserve, vider un grand gibier, trancher de la viande ou sectionner une corde. C’est le « camp knife », le couteau « de camp » de l’homme des bois.

Le chasseur de petit gibier a le plus souvent un couteau « multi-lames ». Le compromis trois lames – grande lame, ouvre-boîtes décapsuleur, tire-bouchon – est excellent. Laguiole se limite le plus souvent à la grande lame et au tire-bouchon. Les Laguiole authentiques – pas les imitations asiatiques – sont des couteaux fins et élégants à cran forcé. Je préfère toutefois les Mongin, surtout ceux de la première époque, ceux du « meilleur ouvrier de France » 1965, Jacques Mongin, dotés d’un manche « navette », en corne de buffle blonde ou noire. Ce sont des couteaux à cran d’arrêt libérable par un anneau et légers dans la poche.

Le chef-d’œuvre de ce coutelier, le fameux « Mongin Hemingway » – une grande lame et quatre accessoires -, avec un manche en bois de cerf et une calotte d’ivoire, est très recherché. Il peut dépasser 800 € en salle des ventes ou sur les réseaux sociaux.

Petits prix et bonnes affaires

Moins connus, mais intéressants aussi, les couteaux de Nontron, faits à la main, sont de beaux objets. Mono-lame, ils ont un manche en buis couleur miel orné de gravures faites à la pointe de feu. Le cran d’arrêt est libérable par une virole de laiton. On s’interroge sur la signification des dessins : un « V » renversé auréolé de trois points. Inspiration mauresque ? Maçonnique ? Les experts ne tranchent pas.

Le meilleur rapport qualité-prix du couteau de chasse format « poche », c’est le « Hunter » de la firme suisse Victorinox qui, pour 51 €, propose un modèle à cran d’arrêt à six lames. Il est parfait aussi bien pour couper une tranche de pâté que pour vider un lièvre (petite lame courbe faisant scie pour découper le sternum) ou déboucher une bouteille. Saluons l’Opinel ! Doté d’un cran d’arrêt libérable par une bague, en acier doux, il s’affûte facilement. On en trouve de toutes les tailles et, si on l’oublie au pied d’un arbre ou d’une termitière, on n’en fera pas une affaire.

Dans les brocantes, on peut aussi trouver le sympathique Bargeon. Manche en os « cerfé » c’est-à-dire imitant le bois de cerf, cran d’arrêt libérable par un bouton-poussoir situé à l’arrière du manche, tire-bouchon, scie et décapsuleur. C’est un beau couteau et, comme le vendeur n’est pas toujours un expert, souvent une belle affaire.

Tranchant rasoir

Avoir un couteau, c’est bien. Encore faut-il qu’il coupe. Le rêve, c’est d’avoir un tranchant rasoir, celui qui, passé sur l’avant-bras, sectionne le poil. Peu de couteaux y parviennent. Il faut pour cela qu’il passe régulièrement à la meule entre les mains d’un professionnel. Le chasseur, lui, bricole. Chaque année, dans les salons spécialisés, il achète un nouvel affûteur réputé magique. Les résultats sont moyens. Le couteau coupe. Sans plus. Il peut passer le fameux test de la feuille de papier, la trancher en deux verticalement sans trop accrocher, mais nous sommes loin de la perfection. Pour affûter son couteau, il faut tenir la lame à quarante-cinq degrés de la pierre et la tailler comme si on voulait en arracher des copeaux. Dans les salons, les vendeurs vous rendent votre couteau avec un tranchant miraculeux. Quelques mois plus tard, on veut renouveler l’exploit. Encore raté !

Je dois avoir une dizaine d’affûteurs chez moi, de la pierre douce et horizontale qu’il faut mouiller avant l’emploi, à l’accessoire portable des chasseurs à l’arc, en passant par la pierre à aiguiser classique et le cylindre qui roule sur la table en ponçant la lame calée contre un support de bois. Après quelques minutes d’un travail consciencieux, je passe le pouce sur le tranchant : « essaie encore ! » comme on dit aux enfants malhabiles ; le couteau coupe mais sans l’effet rasoir …