« Pour le moment, on ne voit pas de jaunisse », constatait Bruno Dequiedt, le directeur général de SESVanderHave France, en visitant une parcelle de betteraves en fleurs près de Casteljaloux (Lot-et-Garonne) le 1er juin dernier. « On a besoin d’une bonne année pour redonner le moral aux agriculteurs multiplicateurs », admet-il. En effet, les deux dernières années ont été très difficiles avec des pertes de rendement d’environ 50 % en 2020 et de 30 % en 2021. Comme dans le Nord, c’est essentiellement la jaunisse qui a causé les pertes en 2020, mais aussi les repiquages tardifs pour cause de pluie en Bretagne. En 2021, c’est un été très humide qui a causé une mauvaise fécondation et des maladies.

Zones protégées

Les semences de betteraves, qui seront mises en terre au printemps 2023, sont en train d’être produites dans des zones protégées de la région de Nérac, à l’image des AOC pour les vignes. Les distances d’isolement varient de 300 mètres à 1 kilomètre selon les pollinisateurs. La pureté génétique est à ce prix. Les croisements entre les plantes mâles et femelles, qui donneront des graines bien spécifiques (type de variétés, tolérance…) ne doivent pas être perturbés par des pollens de variétés différentes ou d’autres plantes du genre Beta, comme les betteraves rouges, fourragères ou bettes poirées…

La loi de 1972, qui s’applique aux zones protégées, impose une obligation de détruire toutes les plantes qui pourraient se croiser avec les betteraves porte-graines. Des “battues“ sont organisées par les agriculteurs multiplicateurs de semences et les établissements semenciers pour traquer les montées à graines, car le vent peut porter les pollens sur plusieurs kilomètres. « En période de floraison, nous passons dans les villages et je dois faire quelquefois des rappels à la loi », regrette Fernand Roques, ingénieur à la Fnams. « Lutter contre les repousses nécessite parfois de dialoguer avec les propriétaires de jardins qui veulent laisser les plantes pousser librement », abonde Émilie Lannoy, directrice technique SESVanderHave à Calignac.

Une pollution génétique pourrait gâcher les années de travail de plusieurs équipes. Après que les généticiens ont sélectionné les variétés les plus prometteuses dans le centre de recherche de Tirlemont en Belgique, c’est au tour des équipes basées dans les bassins de production de semences de prendre le relais. La betterave étant un hybride, les chercheurs ont déterminé le croisement qui devra être réalisé dans les champs, entre la plante mâle (le pollinisateur) et la plante femelle (appelée aussi mâle stérile). Cette fécondation anémophile a lieu au mois de juin. Avant cela, les semences de base ont été semées en août dans le Finistère nord où elles passent l’hiver (vernalisation) puis ont été récoltées sous forme de planchons au mois de février. Ces « petites carottes » sont alors acheminées dans le Sud-Ouest pour être repiquées par les agriculteurs multiplicateurs. Deux rangs mâles et six rangs femelles. Une fois qu’ils ont assuré leur mission de féconder les plantes femelles, les pollinisateurs sont détruits autour du 15 juillet. La récolte a lieu au mois d’août : elle consiste en une coupe, puis au moissonnage 5 jours après. Avant l’interdiction du Réglone en 2019, les parcelles étaient moissonnées directement.

Jaunisse

Comme pour leurs collègues betteraviers du nord de la France, les agriculteurs multiplicateurs de semences craignent les attaques de la jaunisse depuis qu’ils ne peuvent plus utiliser les néonicotinoïdes. Les néonicotinoïdes qu’ils pulvérisaient ne bénéficie pas de la dérogation accordée pour la production de racines. Il y a aussi les attaques de charançons. « Le traitement avec du Benavia bénéficie d’une dérogation sur porte-graines mais le produit est très cher. Quand le Proteus était utilisé, il permettait de contrôler aussi le charançon », constate Fernand Roques.

À ces problèmes récurrents de perte de produits de protection, s’ajoute la hausse des coûts de production estimée à + 20 % cette année. Planter un hectare de semences de betteraves coûtait environ 6 000 €/ha en 2021. Des arguments utilisés par les représentants de la Fnams auprès des sociétés semencières pour demander des revalorisations de prix dans les contrats.

« Certains collègues se posent la question de produire des semences vu les prix des céréales, alors que le repiquage d’un hectare de betteraves nécessite 50 heures de main d’œuvre », explique Jean-Marc Colombano, président de la section betterave de la Fnams et agriculteur multiplicateur pour SESVanderHave.

L’agriculteur insiste néanmoins sur les atouts de sa région : la topographie favorable aux isolements et la possibilité d’irriguer. « La production de semences a pu se développer grâce aux retenues collinaires qui ont été soutenues politiquement à l’époque dans la région », rappelle Jean-Marc Colombano. Fort de ses atouts, le Sud-Ouest entend rester leader en assurant 65 % de la production française de semences de betteraves.

Trois stations en France

SESVanderHave contracte 1 240 ha pour la multiplication de semences monogermes en France (dont 750 ha dans les zones de Nérac, Valence d’Agen, Cahors et en Dordogne).

Avant d’être multipliées, les variétés sont créées dans les laboratoires de Tirlemont (Belgique). Les premiers tests (années 3 et 4) sont ensuite effectués à la station de recherche et développement de Casteljaloux. « Mon objectif est de fournir de petits lots de semences pour que les sélectionneurs puissent tester leurs hybrides. Je dois maintenir la diversité génétique et préserver la pureté variétale », explique le responsable R&D, Pierre Garraud. Ce sont des étapes qu’il ne faut surtout pas louper, au risque de réduire à néant le travail des sélectionneurs de Tirlemont.

Le centre de Casteljaloux assure la « montée en production » pour fournir assez de semences à la station de Gomiècourt (Pas-de-Calais) qui réalise les expérimentations des semences avant les essais officiels du CTPS (année 8). Les semences commerciales sont ensuite pré-nettoyées dans l’usine de production de Calignac, dont le pic d’activité s’étend de fin juillet à fin octobre, après la récolte réalisée par les 250 agriculteurs multiplicateurs. « Les semences sont pré-nettoyées, du 20 juillet au 10 octobre, puis envoyées en Belgique pour le polissage et l’enrobage », explique Émilie Lannoy, responsable de la production de l’usine de Calignac.