« Dès aujourd’hui, nous disposons de ressources génétiques capables de sécuriser 85 % du rendement potentiel, en situation de très forte jaunisse », affirme Laurent Boisroux, directeur R&D du groupe Deleplanque lors du symposium « jaunisse », le 30 août 2022. Le semencier estime que ces premiers résultats confirment que la génétique sera, dès 2024, un levier majeur pour réduire significativement le risque de jaunisse dans toutes les situations en combinant d’autres tolérances, comme la forte pression de rhizomanie (FPR) et les nématodes. Il précise que les variétés proposées auront le même rendement que les variétés classiques en cas d’absence de jaunisse. En présence importante de la maladie, la baisse de rendement devrait se situer entre -10 % et -15 % (-15 % en conditions inoculées de jaunisse et -10 % en conditions naturelles). Parmi les variétés proposées, certaines auront une bonne productivité, de l’ordre de 110 t en bonnes terres sans stress particulier, et donc potentiellement 90 t en condition de jaunisse naturelle. « Trois variétés tolérantes à la jaunisse sont candidates à l’inscription au catalogue européen», assure Maxime Bouton, directeur de l’activité betterave sucrière de l’entreprise. Elles pourraient donc être disponibles à la vente au plus tard en 2024, si elles obtiennent des bons résulats dans les tests. « Cette année, ce sont 7 variétés qui ont été déposées à l’inscription pour les campagnes suivantes », assure Maxime Bouton, directeur de l’activité betterave sucrière de l’entreprise. Si la génétique semble donc être la principale réponse à la maladie tant redoutée, elle n’est pas la seule. Selon Christian Huyghe, directeur scientifique de l’agriculture de l’Inrae, « il faut abandonner l’idée qu’il existe une solution miracle au problème de la jaunisse ». En effet, le chercheur explique que si la variété est soumise à des pressions extrêmes, les virus (puisqu’il y en a quatre) vont contourner la résistance. « On aurait alors fait cela pour rien », prévient le chercheur. « Comme le travail coûte très cher, on a vraiment intérêt à protéger les gènes ». Et il n’y a pas beaucoup de gènes de résistance à la jaunisse donc, une fois la résistance contournée, il sera difficile de trouver une autre solution, s’inquiète Christian Huyghe. Il qualifie de dangereuse l’approche qui consisterait à ne se fier qu’à la génétique. À noter aussi que ce problème n’est pas franco-français. Selon l’Inrae, si les virus contournent la résistance dans un autre pays européen, la mutation arrivera bien vite en France.

Les différents leviers à mettre en place

Mais alors, quelles sont les autres solutions possibles ? Pour Christian Huyghe, il y en a quatre : le levier prophylactique, l’agronomie, le biocontrôle et l’approche économique. La solution prophylactique consiste à mieux gérer les réservoirs potentiels de virus : résidus, repousses et tas de betteraves, betteraves rouges dans les jardins potagers des environs et betteraves semencières. Cependant, cette approche peut sembler compliquée à mettre en place concrètement. Comment gérer les résidus de betterave ? Qui va aller contrôler les jardins potagers ? Est-ce que la population va jouer le jeu ? Encore beaucoup de questions qui restent en suspens. Au niveau agronomique, la solution qui semble la plus efficace est le recours à des plantes compagnes, comme pour le colza et les altises. Le but étant de retarder au maximum l’arrivée des pucerons. Selon l’Inrae, à partir du stade 10 feuilles, l’impact des virus se réduit fortement. « L’avoine rude est l’espèce qui, à ce jour, semble le mieux remplir cette mission. On fait l’hypothèse que sa couleur légèrement bleutée et son odeur modifient l’aspect visuel et olfactif des champs de betterave », explique le chercheur. Les pucerons identifient plus difficilement la culture et s’y posent moins. De plus, l’avoine héberge naturellement ses propres parasites qui servent de nourriture aux prédateurs des pucerons, qu’ils soient présents naturellement ou qu’ils soient apportés par l’agriculteur. « Mais l’avoine doit être détruite suffisamment tôt pour éviter toute concurrence qui serait mal vécue par la betterave », met en garde l’Inrae. Figurant parmi les leaders du marché français des céréales à paille avec la marque Saaten Union, la société Deleplanque se dit prête à commercialiser des semences d’avoine rude aux planteurs mais juge que l’approche et l’accompagnement technique associés restent encore à approfondir. Autre axe de recherche : les mélanges variétaux. Selon le chercheur, mélanger les différentes variétés tolérantes aux différents virus de la jaunisse permettrait d’atténuer la progression de la maladie. Cette pratique protégerait aussi les nouvelles variétés qui seraient moins vite contournées. Mais les expérimentations en plein champ n’en sont encore qu’à leur début et cette voie reste donc à confirmer. Pour ce qui est de l’apport du biocontrôle, il s’agit d’attirer les auxiliaires ravageurs du puceron sur la culture, en particulier la coccinelle et la chrysope. Ces auxiliaires sont réceptifs aux phéromones d’alarme. L’idée est donc de répandre cette substance sur le champ 6 à 8 semaines avant l’arrivée prévue des pucerons pour que les coccinelles et les chrysopes aient le temps de venir et de pondre sur place. Les pucerons, quant à eux, sont réceptifs aux kairomones. Ces substances émises par certaines plantes jouent un rôle de répulsif. La stratégie sera donc de trouver la bonne molécule qui repousse les pucerons et de l’appliquer sur le champ. C’est ici que les modèles de prédiction d’arrivée des pucerons sont particulièrement utiles. Mark Stevens, le directeur scientifique de l’institut britannique de la recherche sur la betterave (BBRO) apporte son éclairage : « dès mars, il est possible de donner une estimation de la date d’arrivée des pucerons en fonction des températures des mois de janvier et de février. Une différence d’1°C peut entraîner une avance de migration des pucerons de 12 jours ». Le PNRI (Plan National Recherche et Innovation) a aussi étudié la possibilité de faire des lâchers d’auxiliaires. Mais cette solution coûte cher et, s’il n’y a pas assez de nourriture, les coccinelles et les chrysopes s’en vont. Toutes ces solutions sont encore à l’étude. Elles demandent à être confirmées et les combinaisons optimales seront précisées en 2023. Enfin, Christian Huyghe évoque le levier assuranciel qui doit permettre de sécuriser les planteurs. Ceci est étudié dans le PNRI et doit être finalisé en 2023.