L’information n’a pas fait grand bruit – sauf dans le monde de la pêche – mais gagne à être connue. Le grand cormoran ne peut plus être régulé sauf sur les exploitations piscicoles. Pris par le ministère de la Transition écologique le 19 septembre dernier, l’arrêté restreint donc drastiquement les conditions de régulation. Protégée, l’espèce pouvait en effet être tirée, sur dérogation, afin de limiter ses dégâts. Tous les trois ans, les préfets de chaque département fixaient ainsi des quotas de cormorans pouvant être abattus autour des zones de pisciculture et dans les eaux libres. Entre 2019 et 2022, près de 151 000 oiseaux ont ainsi été régulés.

Mais le nouvel arrêté limite désormais la régulation aux seules zones de pisciculture, interdisant de fait de tirer les cormorans sur les rivières et les étangs jusqu’en 2025. C’est un nouveau gage donné à la LP0 (Ligue de Protection des Oiseaux), adversaire déclaré de la chasse, qui ne manque jamais une occasion de se pourvoir devant les tribunaux.

Dans une quinzaine de départements, elle avait déjà réussi à faire annuler les arrêtés autorisant les tirs au motif de l’absence de preuves « scientifiques » sur l’impact de la prédation sur les populations de poissons.

De 90 000 à 100 000 individus

Un esprit candide pourrait remarquer que cet oiseau se nourrit exclusivement de poissons et que, par conséquent, lorsque plusieurs centaines d’entre eux stationnent au-dessus des plans d’eau, l’impact est évident. Chaque cormoran consomme 750g de poissons par jour, il suffit de faire le calcul … Mais les esprits candides semblent peu nombreux au ministère de la Transition écologique.

Il y a une quarantaine d’années, il y avait en France moins de 1 000 cormorans. Aujourd’hui, leur population a explosé pour atteindre 90 000 à 100 000 individus. Dans certains départements, les populations ont été multipliées par 60.

Perches, carpes, truites, saumons, brochets, le cormoran ne se refuse rien. Beaucoup de régions souffrent de sa présence. Sur la Loire, dernier fleuve sauvage d’Europe, les oiseaux noirs font des ravages. Les zones humides, sauvages, de la Brenne, de la Sologne, de la Dombes ou de la Brière, ne sont pas épargnées.

Depuis quelques années, tout en conservant le statut d’espèce protégée, les dérogations permettaient de freiner un peu l’invasion.

Roger Reboussin : un impressionniste chez les bêtes
Le plumage n’étant pas imperméabilisé comme celui des canards, il lui faut tendre les ailes après chaque plongée pour se sécher. ©Eric Joly

Aucun intérêt cynégétique

Soyons très clairs : les chasseurs ne prennent aucun plaisir à tirer un cormoran. L’oiseau n’a pas d’intérêt sportif et il est immangeable.

On a beau consulter les menus anciens à l’époque où les estomacs étaient costauds, nulle part nous ne trouvons une recette pour accommoder l’oiseau noir. Il y a pourtant aujourd’hui des pionniers. L’un d’eux nous dit ceci : « cette viande d’un beau violet foncé est coriace, aussi on met l’oiseau, suspendu par le bec ou les pattes, à faisander trois ou quatre jours. Puis on le plume, on l’écorche (car il est très gras) et on le fait cuire pour le consommer soit en matelote, soit en pâté, soit grillé ». Si le cœur vous en dit …

Pour le commun des mortels, on le tirait – sur dérogation – comme on tire un ragondin, une corneille noire ou un rat musqué. C’était juste un geste de bonne gestion, avec pour seul objectif la volonté de diminuer une menace sur la biodiversité. Un cormoran ça va, cent cormorans bonjour les dégâts !

Roger Reboussin : un impressionniste chez les bêtes
Grand cormoran. Notez le bec qui se termine comme celui d’un rapace pour pouvoir crocheter ses proies. ©Eric Joly

Si le cormoran est protégé, certains pays européens tentent malgré tout de réduire ses effectifs. Au Danemark, l’une des zones essentielles de nidification des oiseaux migrateurs, on tente de s’attaquer au problème à la base. En détruisant les œufs dans les nids. Les résultats semblent encourageants, mais c’est une entreprise de longue haleine. Le Danemark est d’autant plus actif qu’une étude réalisée par un biologiste, Niels Jepsen, du National Institute of Aquatic Resources a pointé les effets désastreux de cette prédation. Ainsi 50 % des smolts (jeunes saumons), 50 % des anguilles et 100 % des flets qui ont été marqués ont été détruits par le cormoran. L’examen des fientes a aussi montré qu’ils consomment au Danemark 30 000 smolts, 1,4 million de flets et 38 000 anguilles. Il a également anéanti les populations d’ombres communs du pays.

Dernière cartouche pour les pêcheurs

Les pêcheurs français sont donc au bord de la crise de nerfs. « Alors que les effectifs sont en hausse, pourquoi le ministère accorde-t-il une importance prédominante au bon état des cormorans aux dépens de celui d’espèces piscicoles, tout aussi protégées, telles que saumons, anguilles, brochets? », s’interroge dans un communiqué la Fédération nationale de pêche en France (FNPF). La situation est notamment catastrophique pour certaines rivières de première catégorie. Sur l’Ain notamment, où plusieurs milliers de cormorans ont installé des dortoirs et où l’ombre est désormais menacé.

La Fédération a saisi le Conseil d’État qui a validé l’arrêté. Mais il lui reste une cartouche : le refus de payer les huit millions d’euros qu’elle verse chaque année à l’Etat.