Le jour de notre visite chez Agricyclage, plusieurs cubitainers de lait et des palettes entières de sucre en poudre attendaient leur passage en méthanisation après avoir été déconditionnés, triés et « hygiénisés » (broyés et chauffés à 70° C pour éliminer les germes pathogènes). Chaque année, en France, 12 millions de tonnes de denrées alimentaires sont ainsi jetées au lieu d’être consommées. Un gâchis qui révulse six agriculteurs ardennais, tous betteraviers, dont un en bio. Déjà associés dans l’exploitation d’un méthaniseur à Sorbon, près de Rethel, ils ont créé Agricyclage en 2021 pour collecter et traiter les biodéchets produits dans un rayon de deux heures de route autour du site.

Engrais naturel

« Notre objectif est, avant deux ans, d’incorporer 50 % de déchets alimentaires, l’autre moitié restant constituée de déchets végétaux (pulpe, triage de céréales, CIVE, menue paille) », explique le président de la société, Louis-Joseph Samyn. Un millier de clients sont potentiellement concernés : industries agroalimentaires, grandes surfaces, restaurants, cantines scolaires, collectivités, etc. La méthanisation leur permet de faire une économie de 20 à 50 % par rapport au coût d’enfouissement ou d’incinération.

Le méthaniseur injecte 300 m3/h de biométhane dans le réseau, de quoi chauffer 9 600 personnes. Mais il produit aussi du digestat, épandu sur 1 200 ha de champs. Louis-Joseph Samyn ne tarit pas d’éloges sur ce fertilisant : « j’ai traité mes betteraves avec 100 % de digestat, et j’ai vu mes terres s’améliorer sur le plan agronomique. J’ai eu aussi d’excellents rendements sur mon blé. Et le pouvoir méthanogène du biodéchet est similaire à celui d’une Culture intermédiaires à valorisation énergétique (CIVE) ».

« Soupe » et compost

Agricyclage a le potentiel pour traiter 80 000 tonnes de biodéchets alimentaires par an. Opérationnelle depuis décembre dernier, l’entreprise compte déjà trois camions de ramassage et deux salariés, mais l’effectif pourrait monter à une quinzaine de personnes dans les trois ans, tant le démarrage dépasse les prévisions. Ses recettes proviendront pour 80 % de la collecte des biodéchets et pour 20 % de la vente d’une partie de la « soupe » à d’autres méthaniseurs. Inspiré par le modèle d’Agrivalor en Alsace, le sextet ardennais a investi 4 millions d’euros dans son projet de collecte, auxquels s’ajoutent 5,5 millions d’euros pour le méthaniseur. Prochaine étape : le lancement d’une ligne de compostage qui récupérera les déchets verts issus des déchèteries, des paysagistes, des scieries et des collectivités. « Ça apportera du carbone à nos champs », indique le président d’Agricyclage.

Le dirigeant, qui se consacre désormais à plein temps à l’entreprise, estime que le monde agricole doit s’approprier cette activité bénéfique pour l’image de la profession, tout en ayant une approche industrielle de la filière.