Avril est une entreprise à la croisée du monde économique, du syndicalisme et de la structuration des filières agricoles. Une entreprise qui doit certes faire du profit, mais qui ne distribue pas de dividendes. Qui se donne pour ambition de développer les débouchés agricoles et la valeur ajoutée, avec pour raison d’être « Servir la terre ».

Pour comprendre le groupe Avril, il faut remonter au 27 juin 1973, le jour où les États-Unis annoncent un embargo total sur le soja. Une décision qui met en lumière la fragilité de la souveraineté de la France en protéines.

L’histoire du groupe Avril est ensuite liée à la volonté d’hommes visionnaires, comme Jean-Claude Sabin, Philippe Tillous-Borde ou Xavier Beulin. « C’est une succession d’idées géniales », énumère Jean-Philippe Puig. La première est d’avoir convaincu l’État de mettre en place une cotisation volontaire obligatoire (CVO).

La deuxième « idée géniale » a été de flécher cette CVO vers le fonds Sofiproteol. « Les fondateurs lui ont assigné la mission de développer les huiles et protéines pour nourrir les hommes et protéger la planète, ce qui était une idée visionnaire à une époque où on parlait peu d’environnement ».

Cette CVO sera ainsi prélevée pendant 20 ans sur chaque tonne d’oléagineux et de protéagineux. De 1983 à 2003, l’interprofession a collecté 176 M€ et Avril les a transformés en 1,9 milliard de fonds propres ! Depuis 2003, les CVO financent la recherche au service du développement de la filière, elles ne vont donc plus chez Avril.

Et la troisième « idée révolutionnaire est que le capital n’est pas rémunéré. Les actionnaires agricoles ne reçoivent pas de dividendes. Les bénéfices sont réinvestis dans la filière, l’idée est de créer de la valeur sur l’aval en créant des débouchés pour les cultures de colza, de tournesol et de protéagineux ».

Contrairement aux autres filières agricoles, la filière oléoprotéagineuse n’a donc pas choisi le modèle coopératif, avec son système de compléments de prix ou de remontées de dividendes issus des filiales.

Trouver des débouchés pour l’huile

Pour développer des hectares, il fallait trouver des débouchés pour l’huile. « On a donc développé le biodiesel sur les jachères à partir de 1993, puis l’oléochimie en 2008, la nutrition animale avec Sanders et la fertilisation organique avec Terrial », énumère Jean-Philippe Puig. Et, aujourd’hui, Avril mise sur le développement des protéines végétales pour l’alimentation humaine. L’innovation n’est pas oubliée, avec un pôle « incubateur de start-up » où l’on peut trouver Evertree, qui développe des résines végétales pour les panneaux de bois, Prolein/Olatein pour l’extraction de protéines de colza et, depuis son rachat le 21 avril dernier, Sunbloom, spécialiste allemand de l’extraction de protéines de tournesol. « En 20 ans, nous sommes passés de 250 M€ de chiffre d’affaires à 9 milliards », souligne Jean-Philippe Puig.

Avant la création d’Avril en 2015, c’est Sofiproteol qui était à la manœuvre. La société financière prenait des parts minoritaires dans les entreprises de la filière oléoprotéagineuse, comme Limagrain ou Euralis… Qui ont contribué à développer les outils.

Le véritable tournant a eu lieu en 2003 quand l’opportunité de reprise de Lesieur s’est présentée. « À partir de là, on devenait un opérateur. Puis, il y a eu un effet boule de neige, on a racheté ensuite Puget, Oleon et des activités à l’international ». Un véritable groupe industriel se mettait en place. « Il y a 10 ans, Sofiproteol regroupait des PME qui ne se parlaient pas, se remémore Jean-Philippe Puig. Quand Xavier Beulin m’a recruté en 2012, il m’a demandé de créer un groupe et d’aller chercher de la croissance à l’international pour atteindre une taille critique ».

En 2015, Sofiproteol fait évoluer sa gouvernance et devient Avril, qui a désormais deux métiers : celui d’industriel et celui d’investisseur. Sofiprotéol devient alors un fonds d’investissement qui pèse aujourd’hui 570 M€, avec 80 entreprises en portefeuille dans lesquelles elle investit en minoritaire, allant de la semence (avec par exemple RAGT) jusqu’à la production de volailles (avec LDC).

Le capital est totalement inaliénable

Mais à qui donc appartient Avril ? « À trois structures du monde agricole », répond le gérant d’Avril SCA. Le Fonds de développement des filières des oléagineux et protéagineux (Fidop), la Fondation Avril, et la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux (Fop). Depuis 2018, les collaborateurs peuvent investir dans l’entreprise à travers un plan d’actionnariat salarié ; ils détiennent aujourd’hui 2% du capital.

« Avril s’est structurée d’une façon très originale. Il y a 7 ans, Sofiproteol s’est transformé en société en commandite par action (SCA). Le pouvoir opérationnel n’est pas exercé par les actionnaires, mais par le gérant nommé par le conseil d’administration. C’est le cas de Michelin et Hermès, deux sociétés qui sont encore dirigées par les familles des fondateurs bien qu’elles ne soient plus majoritaires au capital. Une partie du capital a été transférée à une fondation d’utilité publique avec 50 % du droit de vote. Le capital d’Avril est totalement inaliénable ».

La fondation Avril est indépendante : elle a vocation à développer l’agriculture dans les territoires en France et les filières en Afrique.

Quant aux orientations stratégiques de l’entreprise, elles sont proposées par le gérant pour validation par le conseil d’administration d’Avril Gestion, présidé par Arnaud Rousseau. Ce conseil comporte 4 représentants du monde agricole issus de la FOP et 5 personnalités non issues de la profession agricole. « Nous avons trouvé le bon équilibre. C’est un modèle révolutionnaire, pérenne et solide », s’enthousiasme Jean-Philippe Puig.

S’inscrire dans le temps long

Avril est là pour créer de la valeur. Mais sa vision de long terme l’autorise parfois à perdre de l’argent comme en 2015, où Saipol perdait 40 M€. Un groupe standard aurait pris des décisions drastiques de restructuration. Mais, pour Avril, il n’était pas question de fermer le premier maillon de transformation (la trituration du colza et du tournesol) au risque de voir le prix de la graine s’écrouler. « En période de tempêtes, on sait faire le dos rond, expliquait le président d’Avril Gestion, Arnaud Rousseau, le 19 avril dernier à l’occasion de la présentation des comptes. Le monde agricole a compris depuis longtemps que l’important n’est pas de toucher un coupon annuel de quelques euros, mais de lui permettre de s’inscrire dans le temps long. Les agriculteurs veulent des débouchés et de la création de valeur en filière ». Selon le nouveau président de la FNSEA – qui ne compte pas lâcher les rênes de ce fleuron de l’agroalimentaire – Avril serait l’illustration d’une des formes les plus abouties du syndicalisme économique.