Après cinq années difficiles, les fabricants de sucre ont retrouvé le sourire. Leur chiffre d’affaires pour l’exercice 2022-2023 est tiré par le prix du sucre au plus haut depuis 10 ans. Un prix qui atteint aujourd’hui 800 €/t sur le marché européen et qui permet d’améliorer leurs résultats opérationnels et de réduire leurs ratios d’endettement, malgré des coûts de l’énergie qui, eux aussi, ont fortement progressé.

Ainsi, le président du conseil d’administration de Tereos, Gérard Clay, affichait une certaine satisfaction, le 1er juin, lors de la présentation des résultats annuels 2022-2023 du leader sucrier français. Selon lui, Tereos récolte les premiers fruits des efforts engagés depuis 2021 dans la « refonte du modèle organisationnel et économique du groupe » et dans « une ambitieuse stratégie de relance ». Tereos s’est en effet séparé « d’activités de diversification coûteuses » et s’est doté, en juin 2022, d’une gouvernance à conseil d’administration, composé de 9 coopérateurs et d’un conseil coopératif composé de 18 élus, afin de « placer les coopérateurs au cœur du projet ».

Tous les chiffres affichent une forte hausse : + 29 % pour le chiffre d’affaires (qui s’établit à 6,6 milliards d’euros) + 62 % pour l’EBITDA (1,1 milliard d’euros) et + 119 % pour le résultat opérationnel (EBIT) récurrent à 664 M€. « Cette amélioration des résultats s’explique par les effets combinés de la dynamique des marchés et la hausse des prix sur tous les segments (sucre, alcool, éthanol, produits sucrants et électricité), de la bonne exécution des stratégies commerciales et d’un contrôle strict des coûts », explique Gwenael Elies, directeur financier de Tereos.

Quant à la dette structurelle – dette hors besoin de fonds de roulement (BFR) -, elle s’élève à 1,3 milliard d’euros à fin mars 2023, soit une baisse de 398 M€ par rapport à mars 2022. Certes l’endettement total augmente de 313 M€ à 2,7 milliards d’euros, mais cela s’explique par la forte augmentation du BFR, suite à l’effet combiné de la variation de la valeur de marché des couvertures (appels de marge) et de l’augmentation de la valeur des stocks, résultante de la hausse des prix des matières premières.

« Tereos renoue aujourd’hui avec une dynamique de croissance solide », estime Gérard Clay. « La période de redressement prendra fin en 2024. Et on entamera un retour à la croissance sur la base d’une solidité financière restaurée ».

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Meilleur résultat depuis dix ans

Du côté de Cristal Union, son président Olivier de Bohan affichait également une certaine sérénité, lors de la présentation des résultats de l’exercice 2022-2023, le 5 juin à Paris. Malgré l’envolée historique des coûts de l’énergie (le prix du gaz est passé de 20 à 340 €/MWh) et une campagne betteravière moyenne à 78 t/ha à 16°, Cristal Union a su profiter de l’envolée des prix du sucre pour réaliser son meilleur résultat depuis dix ans.

Durant l’hiver 2022-2023, Cristal Union a adapté l’organisation de ses usines pour limiter ses besoins en gaz, et a ainsi réduit de 10 % ses consommations d’énergie pendant la campagne. Parallèlement, le groupe a adapté son approche commerciale avec des offres adossées en temps réel aux prix très fluctuants des énergies. « Le mot d’ordre a été de maintenir les marges », résume Xavier Astolfi. Et le directeur général de Cristal Union d’expliquer : « nous avons mis en place une stratégie agile fondée sur des offres commerciales adossées au coût de l’énergie et avons effectué des arbitrages de production en fonction des opportunités de marché ».

Les résultats 2022-2023 de Cristal Union progressent sur les principaux indicateurs économiques. Le chiffre d’affaires augmente de 30 % à 2,3 milliards d’euros (52 % de ce chiffre d’affaires étant réalisé par le sucre de betterave et 27 % par l’alcool et l’éthanol). L’EBITDA consolidé est en hausse de 40 % à 289 M€. Enfin, le résultat net de 179 M€, en hausse de 85 %, est à son meilleur niveau depuis dix ans. Les capitaux propres retrouvent le niveau d’avant la crise de 2017-2018 à 1,323 milliard d’euros. La dette structurelle passe de 386 M€ en 2021-2022 à 272 M€, ce qui ramène le ratio dette nette/capitaux propres à 24 %.

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Passer le cap de l’arrêt des néonicotinoïdes

Les deux groupes coopératifs ont eu la possibilité de mieux rémunérer les planteurs, qui sont confrontés à des risques agronomiques accrus avec l’interdiction de néonicotinoïdes ou des périodes de sécheresse plus fréquentes.

Chez Tereos, les bons résultats se traduisent par un prix de betterave 2022 de 41,61€/t (contre 29,90 €/t pour les betteraves 2021). Concernant les betteraves semées cette année, le président de Tereos ne veut pas donner d’objectif de prix, mais il annonce le retour de la distribution de dividendes en provenance de la diversification à compter de juin 2024, à hauteur de 2 € pour chaque part sociale (sachant qu’une part correspond à une tonne engagée).

Pour Cristal Union, les bons résultats se retrouvent dans la rémunération des betteraves 2022, qui affiche une augmentation de 14 € par rapport à 2021, à 43,40 €/t en moyenne pour la campagne 2022. « Dès janvier, nous avons donné un objectif de prix encore en hausse, à 45 €/t de betteraves, et qui devrait certainement être dépassé, déclare Olivier de Bohan. La betterave est une culture compétitive, l’effet ciseaux tant redouté ne touchera pas la betterave ». Et le président de Cristal Union d’indiquer que certains planteurs ayant abandonné la betterave l’interrogent pour revenir ! « La structure financière solide de Cristal Union et la stratégie globale que nous poursuivons nous permettent d’être aux côtés de nos coopérateurs pour les aider à passer le cap de l’arrêt des néonicotinoïdes », souligne le président de Cristal Union, qui estime qu’il y aura deux à trois années difficiles à passer avant de disposer de variétés tolérantes à la jaunisse.

Décarboner les sucreries

Les bons résultats des industriels permettent aussi de lancer des plans d’investissement massifs pour décarboner les sucreries. C’est une nécessité pour respecter les futures législations et les demandes croissantes des clients de l’agroalimentaire, qui sont eux aussi sous pression sur ce sujet.

Tereos a programmé des investissements à hauteur de 150 M€ sur les 6 prochaines années, plus particulièrement dans les sucreries françaises, et décidé d’accélérer le programme de décarbonation de ses activités. Concrètement, il s’agit de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2032 (par rapport à 2022). Une ambition qui sera soutenue par un investissement 500 M€ en 8 ans, hors aides publiques, détalle Jorge Boucas, le nouveau directeur général de Tereos, nommé en avril dernier. Tereos vient de signer un contrat avec Suez pour alimenter la sucrerie d’Origny-Sainte-Benoîte (Aisne) en vapeur issue de plaquettes de bois de récupération, qui permettra de décarboner plus de 40 % du site à l’horizon 2026.

Autonomie énergétique

Cristal Union prépare également un ambitieux plan de décarbonation de ses activités. Il s’agit de poursuivre le travail entamé depuis plusieurs années pour diminuer les consommations énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre.

D’ici 2030, Cristal Union a un objectif de – 35 % d’émissions de CO et – 10 % d’énergie consommée par rapport à 2015, grâce à des projets d’envergure, comme celui de Sainte-Émilie où la vapeur de la sucrerie permettra d’alimenter un sécheur de pulpe. Cet investissement de 25 M€ sera mis en service en septembre 2023.

Mais le but ultime est l’autonomie énergétique de ses 8 sucreries d’ici 2050. Les dirigeants de Cristal Union estiment que 55 % des pulpes de betteraves suffiraient à auto-alimenter une sucrerie-distillerie en énergie. La sucrerie d’Arcis-sur-Aube pourrait être le premier site autonome en énergie dès 2030. Un investissement très lourd d’environ 150 M€. « Nous allons mettre énormément de moyens, c’est pourquoi nous avons besoin d’un accompagnement financier et réglementaire », déclare Olivier de Bohan. Les dirigeants de Cristal Union estiment que l’autonomie énergétique des sucreries sera une vraie force pour la filière sucre dans le futur.

Renouer avec une stratégie de croissance

Après le redressement du groupe, qui s’est notamment traduit par la cession d’actifs en Chine, au Mozambique et en Roumanie, les dirigeants de Tereos ont annoncé que la coopérative devrait dans un deuxième temps renouer avec une stratégie de croissance.

Les dirigeants de Cristal Union ont aussi évoqué à demi-mot le retour à une stratégie de croissance, lors de la conférence de presse, mais n’ont pas souhaité développer ce sujet.

Vu le déficit de production pour la 5e année consécutive au niveau mondial, les deux sucriers sont en tout cas optimistes pour la prochaine campagne. Ils prévoient des prix qui devraient rester à un niveau élevé, supérieur à celui de 2022-2023. Les prix de betteraves devraient logiquement augmenter d’autant.