Bien que volatils, les cours du blé ont crû d’une dizaine d’euros ces quinze derniers jours. Les opérateurs prennent conscience que la Russie ne sera pas indéfiniment le chef d’orchestre des marchés, même en bradant ses récoltes !

Certes, elle doit encore écouler 38 millions de tonnes (Mt) de blé sur les 49 Mt exportables au début de la campagne actuelle ! Mais le bassin de la mer Noire reste une zone risquée. Et surtout la production mondiale de la céréale (783 Mt) est déficitaire de 20 Mt. Or aucun pays n’est en mesure de prendre le relais. Le Conseil international des céréales (CIC) a revu à la baisse les prévisions de production et d’exportation de deux acteurs majeurs sur les marchés de l’export. Le Canada n’exportera que 22,7 Mt de blé, soit 3,5 Mt de moins qu’annoncé il y a deux mois. En Australie, le CIC table sur 25,4 Mt l’hiver prochain, versus 39,7 Mt la campagne passée.

Sur le marché de l’orge, ces deux pays sont aussi pénalisés par des conditions climatiques défavorables. Et sur celui du blé dur, par nature très tendu, le pire a été évité ! Comme la Turquie a engrangé 4,1 Mt (+0,9 Mt sur un an), elle compensera les quantités de grains que le Canada ne sera pas en mesure d’expédier, en exportant jusqu’à 1,2 Mt. En effet, ce dernier n’a récolté que 4,1 Mt (- 1,7 Mt sur un an).

« Les fondamentaux ne justifient pas des prix du blé et de l’orge aussi faibles », estime Philippe Heusèle, secrétaire général de l’AGPB. Les producteurs de blé français perdent 40 € par tonne vendue. Par ailleurs les coûts d’acheminement des grains ont doublé en 2-3 ans pour atteindre 40 €/t.

En fait, « la demande mondiale de blé est forte. Mais les opérateurs sont bousculés par la géopolitique », affirme l’AGPB. Un tiers de l’offre de blé des pays exportateurs majeurs de la planète (113 Mt sur 377 Mt) est sous l’emprise de facteurs géopolitiques.

La Russie outrepasse les règles du marché en bradant ses céréales quand elle n’en fait pas cadeau. Par ailleurs, le transit des céréales ukrainiennes par l’Union européenne désorganise ses marchés, tirant là encore les prix vers le bas. En pleine campagne électorale, les gouvernements polonais et slovaque montrent les muscles !

« Nous ne lèverons pas notre embargo sur les céréales sans avoir trouvé une solution sûre et efficace pour les empêcher d’entrer en Pologne », a déclaré Robert Telus, ministre polonais de l’Agriculture. Toutefois, la Pologne autorise toujours le transit des céréales ukrainiennes à travers son territoire.

Mais en Ukraine, pas une semaine ne se passe sans apprendre l’ouverture d’une nouvelle route pour acheminer des céréales. La semaine dernière, c’était l’ouverture d’un nouveau corridor sur la mer Noire, longeant les côtes roumaines et bulgares et déjà emprunté par deux navires ! En 2023-2024, Kiev compte exporter 32 Mt de grains par voies terrestres, fluviales et maritimes.

Arme diplomatique

L’Union européenne (UE) est la victime collatérale de l’emprise de la géopolitique sur les fondamentaux des marchés. Elle peine à vendre sa récolte. Or, l’an passé, les pays importateurs se reportaient sur l’origine européenne, lorsque la mer Noire était une zone risquée et que les cours flambaient.

Puisque le blé est devenu une arme diplomatique, « l’AGPB demande au gouvernement français d’en faire un outil géopolitique en signant des accords commerciaux bilatéraux avec ses partenaires africains pour stabiliser leur approvisionnement en grains », propose Eric Thirouin.

A Paris, FranceAgriMer a revu à la baisse les prévisions d’exportations de la France. Elle ne vendrait plus que 7,54 Mt de blé à ses voisins européens (-250 000 t sur un mois) et 9,5 Mt hors de l’UE (- 100 000 t).

Jusqu’à 2,9 Mt d’orge (+0,4 Mt en un mois) seront exportées vers des pays tiers, notamment vers la Chine, mais sur le marché européen, les ambitions sont revues à la baisse (3,6 Mt ; – 150 000 t en deux mois). Enfin, un tiers de la production de maïs (9,3 Mt) sera vendu (3,4 Mt) au sein de l’UE.

> À lire aussi : Un marché en pleine forme qui fait oublier les difficultés de l’éthanol (27/09/2023)

> À lire aussi : La mer Noire devient très agitée (27/09/2023)