Avec sa détermination habituelle, Pascale Gombault nous emmène visiter le site où sera bientôt implantée une bioraffinerie dédiée au sainfoin et à d’autres légumineuses fourragères, telles que le lotier. Ce futur démonstrateur installé à Viâpres-le-Grand dans l’Aube produira, dès 2024, des produits de biocontrôle destinés, par exemple, à l’élevage et à la viticulture. « Passer au stade industriel va nous permettre de compléter notre gamme », se félicite l’agricultrice auboise. Celle-ci peut ainsi mesurer tout le chemin parcouru depuis 2008, année où Bruno Robert, agriculteur à Vailly, a lancé l’idée un peu folle de remettre au goût du jour une légumineuse tombée en désuétude, le sainfoin. L’objectif était alors de diversifier la production pour tenter de sauver la déshydratation d’Ormes, en proie à des difficultés financières. L’histoire retiendra que le sainfoin n’a pas empêché l’usine de fermer, mais qu’il a continué son petit bonhomme de chemin, puisque la coopérative issue de sa résurrection, Sainfolia, fédère aujourd’hui 90 agriculteurs, la plupart betteraviers, qui cultivent 850 ha de sainfoin entre Champagne et Bourgogne. Le projet de redonner toutes ses lettres de noblesse à cette plante oubliée de tous ne pouvait que séduire Pascale Gombault, dont la grand-mère Clotilde a été enterrée presque centenaire avec un bouquet de sainfoin dans sa tombe, tant était grande sa passion pour cette petite fleur rose dont elle avait fait sa tête de rotation.

De l’Aube à l’Aude

Après des études agricoles spécialisées, comme il se doit, dans les productions animales, mais aussi dans l’agro-industrie, l’auboise entame une carrière de commerciale dans le secteur de la nutrition animale, qui la conduira chez trois employeurs successifs. En 2005, encore en poste chez Adisseo (ex-Rhône Poulenc Animal Nutrition), elle reprend une partie de la ferme familiale à Viâpres-le-Petit, avant de quitter son emploi salarié quatre ans plus tard, alors que son entreprise est tombée sous la coupe d’un groupe chinois.

Désormais à la tête d’une exploitation agricole, elle se fixe une règle de conduite : « Ramener de la valeur dans la cour de ferme, en exploiter toutes les ressources, diversifier l’activité comme c’était le cas autrefois, s’assurer une rémunération juste, équitable et stable. » Le tout en s’appuyant sur la force du collectif, sur la notion de « puissance et de créativité paysanne », celle qui permet de renverser des montagnes. Pascale Gombault applique ses préceptes à titre individuel en rachetant, en 2008, une pépinière avec sa sœur Marie-Laure, directrice artistique d’une agence de communication à Paris. Elle en fait un atelier à part entière de sa ferme et la spécialise sur un marché de niche, celui des conifères de collection, et en particulier des conifères nains sous sa propre marque Conifères Bijoux, à raison de six cents variétés environ. Réputée dans la France entière, « La Pépinière des Laurains réalise aujourd’hui 70 % de ses ventes avec les terrasses parisiennes », souligne l’agricultrice. Celle-ci exploite en parallèle 15 ha de vignoble en AOC Limoux, un héritage familial qu’elle a fait fructifier, ce qui l’amène à franchir régulièrement les 950 km qui séparent l’Aube de l’Aude… Département où elle a également fait planter une oliveraie, dont les 80 arbres produisent de l’huile depuis trois ans. Toujours aussi volontaire, cette hyperactive « aux racines champenoises et au cœur cathare » a aussi créé, en Occitanie, une Cuma, un groupement d’achats, un groupement d’employeurs…

Femme-orchestre de la filière

Pascale Gombault a construit, de front, une véritable filière dédiée au sainfoin. Depuis sa ferme qui lui sert de QG, elle s’est entourée de nombreux partenaires, qu’elle a su fédérer au fil des ans autour de ce projet collectif, en particulier dans le milieu de la recherche. Elle avait initialement montré l’exemple en plantant les deux premiers hectares et demi de cette plante sur sa propre exploitation. Elle est devenue l’inlassable femme-orchestre d’une légumineuse, dont elle vante les vertus antiparasitaires pour les sols et la capacité d’automédication pour la faune et la flore. Avant la fondation de la coopérative Sainfolia, qui s’occupe de la production, et dont elle est la présidente, elle avait contribué à créer Multifolia, la société chargée de l’aspect R&D, transformation et commercialisation, et dont elle occupe les fonctions de directrice générale. C’est Multifolia qui exploitera le démonstrateur industriel évoqué au début de cet article. Sainfolia gère aussi, de son côté, une ferme apicole comprenant plusieurs centaines de ruches, avec -bien sûr – comme produit phare le miel de sainfoin, plante éminemment mellifère. La ferme apicole illustre bien la stratégie d’intégration de toute forme de valeur ajoutée à l’exploitation agricole prônée par cette agricultrice « généraliste et touche-à-tout ». Elle qui se décrit volontiers comme « audacieuse » à l’image de son ancêtre Danton, défend la vision d’une agriculture « plurielle ». Sa grand-mère Clotilde, qui a eu le temps de voir renaître son cher sainfoin, serait sans doute fière d’elle aujourd’hui.