Après une rapide expansion de son aire de répartition depuis le sud de la France, la progression de Lixus juncii vers le nord semble ralentir. Bien que présent jusqu’aux frontières méridionales de la Somme, ce ravageur cause principalement problème dans les régions au sud de la capitale. Malgré les pressions très faibles observées en 2022, les attaques de charançons ont été particulièrement intenses en 2023 dans certaines zones de production du Loiret ou de Seine-et-Marne. Les facteurs qui expliquent ces fluctuations d’une année sur l’autre ne sont pas clairement identifiés, ce qui rend difficile la prévision des attaques.

Des individus difficiles à observer

C’est un constat général dans les différentes zones touchées : même lorsque la pression était importante, les adultes restent difficiles à observer dans la végétation cette année. Malgré cela, le nombre de pontes dans les pétioles a rapidement augmenté dans les premières semaines de la colonisation (fin mai – début juin) et le suivi des pontes a montré une colonisation très rapide des parcelles avec souvent plus de 90 % des betteraves touchées dès la mi-juin.

Des dégâts limités

Malgré la forte pression de ponte relevée au printemps, le nombre de galeries racinaires dans les zones les plus touchées s’est avéré moins important qu’attendu. En disséquant les pétioles présentant des trous de ponte, l’ITB s’est rendu compte que de nombreuses larves ne pénétraient pas dans la racine mais faisaient demi-tour pour terminer leur cycle dans le pétiole avant de quitter la betterave. Les conditions qui induisent la descente de la larve dans le collet ne sont pas bien comprises. Il est probable que la vigueur de la plante et la bonne santé des pétioles, renforcées par les pluies de cet été, puissent en partie expliquer cette observation.

Plantes de service : des résultats décevants

Dans le cadre du projet Ubelix, l’ITB évalue la possibilité d’utiliser des plantes de service pour limiter les attaques de charançons dans les betteraves, via une stratégie push-pull. Les plantes compagnes ont pour but de repousser le ravageur, tandis que les plantes pièges l’attirent. Sur la base des résultats encourageants de 2022, ces deux types d’essais ont été reconduits à plus large échelle en 2023.

Cependant, qu’il s’agisse des essais impliquant des plantes compagnes ou des plantes pièges, les résultats de 2023 montrent très clairement que la présence des plantes de service ne permet pas de réduire les pontes ou les dégâts racinaires.

Concernant l’essai des plantes compagnes, l’ITB a testé l’association de la betterave avec de la féverole ou de l’avoine. Les résultats de 2022 montraient une diminution des pontes lorsque les betteraves étaient cultivées en association, mais les résultats de cette année indiquent clairement une absence d’effet des plantes compagnes.

De même, l’essai des plantes pièges mis en place en 2022 avait montré une plus grande pression de ponte sur la betterave fourragère, mais le dispositif plus conséquent de 2023 a mis en évidence l’absence d’effet de la betterave fourragère sur les attaques et les dégâts de Lixus juncii. De plus, bien que la même variété de betterave fourragère ait été testée les deux années, celle de 2023 a été très largement moins attaquée par le charançon que la betterave sucrière qui se trouvait à côté (respectivement 81 % et 62 % de plantes avec pontes et 2 fois moins de pontes sur les betteraves fourragères).

Ces résultats, bien que décevants, reflètent la difficulté de tester et de trouver des solutions de lutte efficaces.

Des différences de sensibilité variétale

Bien que les variétés n’aient pas été sélectionnées pour leur tolérance aux attaques de charançons, toutes ne présentent pas la même intensité de dégâts dans les racines. En 2023, l’ITB a mis en place plusieurs essais avec 18 variétés commercialisées ou hybrides en cours de sélection. Les variétés les plus extrêmes, représentées ici, montrent des différences importantes de dégâts dans les racines avec presque 2 fois plus de betteraves touchées pour la variété la plus sensible. De plus, le nombre de galeries par plante touchée est aussi plus important chez les variétés les plus sensibles avec 2,7 galeries en moyenne chez la variété la plus sensible, contre 1,5 pour la moins sensible.

La sélection variétale pourrait être un levier intéressant dans la lutte contre le charançon, c’est pourquoi des études plus approfondies sont en cours dans le cadre du projet Ubelix, pour tenter d’identifier des profils métaboliques qui pourraient expliquer les différences de sensibilité entre les variétés. Pour cela, des pétioles de 3 variétés présentant des niveaux de sensibilité différents ont été prélevés afin de comparer les réponses métaboliques de pétioles attaqués ou non par le charançon. L’analyse de ces prélèvements est toujours en cours. Les résultats seront diffusés dans les prochains mois.

L’apport d’eau limite les dégâts racinaires

Depuis plusieurs années, l’ITB profite de ses essais sur l’irrigation pour s’intéresser à l’effet d’un apport d’eau sur les dégâts de charançon dans les racines. Ces observations ont permis de mettre en évidence qu’en situation irriguée, le pourcentage de betteraves présentant des galeries diminue par rapport au témoin non irrigué. Pour expliquer ce phénomène, deux hypothèses avaient été avancées : soit la larve mourait dans le pétiole à cause de l’apport d’eau, soit les ressources contenues dans un pétiole d’une betterave qui ne manque pas d’eau permettent à la larve de se développer jusqu’au stade adulte sans descendre dans la racine. Aujourd’hui, c’est davantage la deuxième hypothèse qui est privilégiée, car cette année, les conditions ont été favorables aux betteraves et de nombreuses nymphes de Lixus ont été observées dans les pétioles durant l’été. Ce qu’il est intéressant de noter dans les résultats des essais de cette année, c’est que la diminution a lieu quelle que soit la modalité d’irrigation, même lorsque les apports d’eau sont stoppés plus tôt au cours de l’été. Cela indique que c’est l’apport d’eau au cours des mois de juin et juillet qui est particulièrement important dans la réduction du nombre de galeries dans les racines.

De nouvelles espèces de parasitoïdes

Pour poursuivre l’étude sur les ennemis naturels de L. juncii démarrée en 2022, l’Institut technique de la betterave (ITB) a réalisé de nouveaux échantillonnages de pétioles afin d’améliorer la caractérisation des espèces qui luttent naturellement contre le charançon de la betterave. En plus d’avoir identifié une nouvelle espèce de parasitoïdes de la larve, les recherches de cette année ont également permis de découvrir plusieurs espèces de parasitoïdes qui s’attaquent aux œufs de charançons. En 2022, seules des traces de leur passage avaient été observées, sans savoir s’il s’agissait d’un trou d’émergence de parasitoïde ou du passage d’un prédateur d’œuf.

Malgré un plus grand nombre d’échantillons récupérés par site, le nombre de spécimens de parasitoïdes capturés a été relativement bas cette année avec seulement une quinzaine d’individus trouvés. De même, la pression de parasitisme a été relativement faible, les cas avérés de larves de Lixus tuées par un parasitoïde représentent moins de 15 % des larves, contre 30 % en 2022.

Malgré ce faible taux de parasitisme, une nouvelle espèce de parasitoïde de larve a été observée, un diptère de quelques millimètres, dont l’espèce doit encore être déterminée. Comme indiqué précédemment, plusieurs parasitoïdes d’œufs ont également été découverts en disséquant les trous de ponte de charançon.

Efficacité des produits contre le charançon

En complément des autres actions de recherche menées sur ce ravageur, l’ITB teste chaque année différents produits, de biocontrôle ou conventionnels. En 2023, aucun produit testé (produits homologués ou produits sous numéro) n’a permis de réduire le nombre de pontes (en tuant ou en repoussant les adultes) ou de galeries dans les racines (en tuant la larve). À ce jour, aucun moyen de lutte efficace n’a été mis en avant dans les essais ITB.