Associer des plantes compagnes aux betteraves sucrières est l’un des leviers testés sur le réseau des Fermes pilotes d’expérimentation (FPE) du Plan national de recherche et d’innovation (PNRI), pour réduire les populations de pucerons vecteurs de la jaunisse. Au cours des trois années de recherche (2021-2023), 84 essais testant ce levier ont été mis en place par l’ITB, les services agronomiques de sucrerie (Cristal Union, Tereos, Saint Louis Sucre) et les lycées agricoles impliqués dans ce projet. Plusieurs espèces ont été testées, et les graminées comme l’avoine ou l’orge de printemps ont montré les meilleurs résultats. La féverole pourrait être une option dans les secteurs où la problématique de graminées adventices résistantes est forte, mais la conduite est plus délicate en lien avec une sensibilité au programme de désherbage. Une réduction des populations de pucerons vecteurs Myzus persicae est observée sur betterave grâce aux plantes compagnes. Pour les symptômes de jaunisse, les résultats sont toutefois variables, et insuffisants sans protection aphicide. L’intérêt d’une combinaison de cette technique avec une protection aphicide classique doit être précisée pour pouvoir la conseiller dans les secteurs où la jaunisse sévit le plus.

Itinéraire technique

Plusieurs espèces de plantes compagnes ont été testées pour identifier celles qui s’intègrent le mieux à l’itinéraire technique de la betterave, et qui montrent un effet sur les pucerons et la jaunisse, sans impacter le rendement. Les graminées comme l’avoine ou l’orge de printemps sont les plus adaptées car elles sont les moins sensibles au programme de désherbage, même si l’orge tend à être plus chétive. La féverole est également une option intéressante dans les secteurs où la problématique de graminées adventices résistantes est forte. Toutefois, il est plus difficile d’obtenir de bonnes populations en raison d’une sensibilité au trisulfuron-méthyl intégré dans les programmes. D’autres espèces ont été testées comme la vesce, le fenugrec, la luzerne, le pois, la moutarde, le sarrasin, et des mélanges de graminées et de légumineuses. Néanmoins, le nombre de situations reste limité pour ces espèces, et certaines sont difficiles à conduire, ce qui ne nous permet pas de les conseiller à ce jour.

Le semis des plantes compagnes nécessite une intervention de semis supplémentaire après la préparation de sol, en plein ou localisée dans l’inter-rang, au moment du semis des betteraves. La densité de semis des graminées est de 75 grains/m², et celle de la féverole est de 20 grains/m², pour obtenir une population suffisamment dense afin de perturber les pucerons, tout en limitant l’impact sur le rendement. La destruction des graminées est à réaliser au stade 4 feuilles des betteraves pour les deux espèces de plantes compagnes, soit avec un antigraminées classique ou mécaniquement en cas de semis dans l’inter-rang. La période de destruction doit autant que possible être respectée pour limiter la concurrence entre les plantes compagnes et les betteraves, qui peut conduire à des pertes de rendement importantes en cas d’intervention tardive. Les conditions d’application de l’antigraminées n’étant pas toujours satisfaisantes, une destruction au stade 6 feuilles des betteraves peut être envisagée, et l’impact sur le rendement sera limitée si les plantes compagnes ne sont pas trop développées. Après le passage de l’antigraminées, l’effet des plantes compagnes persiste le temps de la destruction complète du couvert.

Mécanismes impliqués

Les plantes compagnes sont des espèces cultivées en début de cycle, avec la betterave sucrière. Leur mode d’action vis-à-vis des pucerons n’a pas été clairement identifié, mais plusieurs hypothèses sont envisagées :

  • Plantes « barrières » : elles camouflent les betteraves ou diminuent le contraste avec le sol, ce qui perturbe la colonisation des pucerons. Il a été montré que les plantes compagnes permettaient de réduire le nombre de pucerons ailés par betterave au moment de leur colonisation dans les parcelles.
  • Plantes « répulsives » : elles émettent des substances odorantes répulsives pour les pucerons. Des recherches sont en cours pour préciser les mécanismes impliqués. Dans le projet SerVir du PNRI, il a été montré que l’avoine est un mauvais hôte pour Myzus persicae permettant de réduire à la fois la survie et le taux de reproduction du puceron.

Moins de pucerons par betterave…

L’avoine et l’orge de printemps, en plantes compagnes, permettent de réduire de 36 % et 33 %, en moyenne, le nombre de pucerons verts aptères Myzus persicae par betterave (figure 2). La féverole permet une réduction de 19 % en moyenne. Ces chiffres ont été obtenus grâce aux 51 essais conduits entre 2021 et 2023, sans protection aphicide pour évaluer l’efficacité du levier seul. Pour la majorité d’entre eux, la destruction des plantes compagnes a été tardive, au stade 8 feuilles des betteraves ou plus. Il y a donc un risque à surestimer l’efficacité des plantes compagnes due à une destruction tardive, et il est possible que les niveaux de réduction de pucerons aptères soient plus faibles si les plantes compagnes sont détruites plus tôt, au stade 4 feuilles des betteraves. Trop peu de situations acquises permettent de l’évaluer. En combinant les plantes compagnes à une stratégie de protection aphicide classique, des niveaux de réduction de pucerons verts aptères intéressants sont également observés avec 40 % de réduction en moyenne pour l’avoine et 27 % pour l’orge, comparativement à la protection aphicide seule. Avec la féverole, les résultats sont très variables et ne montrent pas d’efficacité supplémentaire en moyenne. Ces résultats sont encourageants mais doivent être mis en perspective du nombre de traitements aphicides réalisés. En effet, parmi les situations travaillées, certaines n’ont reçu qu’un seul traitement aphicide alors que d’autres ont reçu plusieurs aphicides (une protection complète allant jusqu’à 4 au maximum en 2023). L’intérêt de la combinaison de ces deux leviers est encore à préciser. Les plantes compagnes pourraient permettre de compléter une protection aphicide complète, ou d’économiser des traitements dans les situations les moins à risque.

Sur les pucerons noirs, les graminées semblent montrer une réduction alors que la féverole semble les favoriser. Les résultats pour les pucerons noirs sont encore trop hétérogènes pour pouvoir fournir des conclusions satisfaisantes.

… Et des symptômes de jaunisse parfois réduits

Concernant les symptômes de jaunisse, les trois espèces de plantes compagnes ont permis, dans l’ensemble, de réduire les symptômes (figure 3). Beaucoup de variabilité a été constatée dans les résultats obtenus. L’efficacité moyenne de l’avoine est de 45 %, 37 % pour l’orge et 32 % pour la féverole. Ces valeurs de réduction ont été obtenues grâce aux 37 essais conduits entre 2021 et 2023, sans protection aphicide et pour lesquels des symptômes de jaunisse ont été observés. Ainsi, les résultats présentés concernent surtout les années 2021 et 2022, car peu de symptômes de jaunisse ont été observés en 2023. Les photographies aériennes ci-contre permettent de visualiser nettement les différences de symptômes entre la partie avec de l’avoine en plante compagne et sans plante compagne (figure 4), pour 3 essais aux niveaux de gravité en jaunisse différents. En complément d’une protection aphicide, les résultats suivent la même tendance, avec une efficacité de 25 % pour l’avoine, 30 % pour l’orge et 8 % pour la féverole. Néanmoins, comme pour les pucerons, ces résultats doivent être mis en perspective du nombre de traitements aphicides réalisés pour juger de l’intérêt global des plantes compagnes sur la jaunisse.

Et les ennemis naturels ?

Les ennemis naturels sont des insectes prédateurs ou parasitoïdes qui aident à réguler les populations de pucerons dans les parcelles. Les plantes compagnes pourraient les favoriser en leur apportant un micro-habitat favorable et des proies de substitution. Dans 14 essais, le nombre d’ennemis naturels par betterave a été relevé. Les coccinelles, syrphes et chrysopes semblent être favorisés par les trois espèces de plantes compagnes, et en particulier par la féverole qui est hôte d’Aphis fabae. Ce puceron pourrait en effet leur servir de proie de substitution en l’absence des pucerons Myzus persicae, et permettre d’augmenter l’abondance des ennemis naturels dans les parcelles, grâce à la féverole. Toutefois, cette hypothèse n’a pas été vérifiée dans nos expérimentations en raison d’un nombre d’essais avec de la féverole trop faible.

Impact sur le rendement betteravier

Les plantes compagnes sont présentes en début de cycle de la betterave sucrière, et peuvent concurrencer les betteraves si elles sont maintenues trop longtemps. Dans le cadre du PNRI, plusieurs dates de destruction ont été testées selon le stade des betteraves. Pour les trois espèces de plante compagne, une perte de rendement est observée dans la majorité des essais (figure 5). Celle-ci est d’autant plus importante que la destruction des plantes compagnes a été réalisée tardivement. En effet, si une graminée est détruite au-delà du stade 8 feuilles des betteraves, la perte de rendement moyenne est de 18 %. Ce résultat se retrouve aussi avec la féverole, avec une perte de 15 % pour une période de destruction similaire. Pour les graminées, il semblerait toutefois qu’une destruction plus précoce permette de réduire l’impact sur le rendement des betteraves, avec une perte de 4 % pour une destruction au stade 6 feuilles des betteraves. L’objectif étant de n’avoir aucune perte de rendement, il reste à valider que ce soit bien le cas dans des situations où la destruction aura été réalisée à 4 feuilles des betteraves.

  • Les plantes compagnes permettent de réduire les populations de pucerons sur la betterave sucrière.
  • Les symptômes de jaunisse sont parfois réduits, mais les résultats sont variables entre les essais.
  • Une destruction au stade 4 feuilles des betteraves est recommandée pour limiter la concurrence avec les betteraves.