Je me souviens d’une anecdote survenue, il y a une vingtaine d’années, sur la propriété privée de Pierre Perret dans l’Yonne. L’intrus était … le maire d’une petite commune locale. Il avait l’habitude, à l’automne, d’aller ramasser des cèpes chez le chanteur. Ce dernier, pourtant débonnaire, avait fini par s’en agacer. Croisant l’édile sur un chemin, il l’avait poliment prié de s’en aller. Le maire, en pliant bagage, avait lancé, jovial, « que voulez-vous Monsieur Perret, moi je n’ai pas les moyens d’acheter une propriété comme la vôtre, je n’ai pas chanté le zizi ! ». C’était le tube de l’époque.

Les rapports entre propriétaires et « maraudeurs » étaient à l’époque, on le voit, plutôt bon enfant. Mais les choses se durcissent. Aujourd’hui, le ramasseur de champignon, le touriste, l’écologiste, le randonneur, l’adepte du VTT ne se considèrent plus comme des intrus. Ils sont chez eux. Partout.

Non seulement ils sont chez eux, mais ils peuvent laisser sur leur chemin des canettes de soda, des papiers gras, des cartons alimentaires, toutes sortes de détritus. En réaction, les propriétaires réagissent. Certains décident de fermer leurs terrains au public.

Cela s’est passé récemment dans la commune d’Arnières-sur-Iton, au sud d’Evreux, dans l’Eure. Les promeneurs, habitués à emprunter un chemin permettant de rejoindre la forêt communale d’Évreux, depuis des terres cultivées, découvrent qu’une clôture et des panneaux en interdisent l’accès.

Ils vont donc se plaindre auprès de la mairie qui demande aux agents communaux de l’enlever.

Alors que l’accès est de nouveau libre, l’édile voit débouler le propriétaire du chemin concerné qui prouve, grâce au cadastre, qu’il est dans son bon droit. Le maire, persuadé qu’il s’agissait d’un chemin communal, n’a d’autre choix que d’obtempérer.

Les trois-quarts de la forêt française sont privés

Dans l’Eure, près de 87 % des forêts sont privées. Ce pourcentage est celui de la forêt en général. Les trois-quarts de la forêt française métropolitaine (12,6 millions d’hectares) sont des propriétés privées.

En général, les choses se passent bien mais il ne faut pas abuser. Les propriétaires sont, en effet, de plus en plus agacés par le comportement désinvolte des intrus.

« Ils agissent, dit l’un d’eux, comme si la nature était à tout le monde et se permettent bien des choses sans jamais demander une autorisation, ni se renseigner sur les activités menées sur ces territoires. Certains d’entre nous sont confrontés à des gens qui viennent pique-niquer ou même camper, souvent en laissant derrière eux des déchets qu’ils n’emportent pas à leur départ, ou à des promeneurs qui apparaissent en plein chantier lors d’une coupe de bois, ou encore à des randonneurs qui coupent à travers une battue malgré les panneaux de signalisation ».

Un certain « ras-le-bol » commence donc à s’installer et les propriétaires ont de plus en plus tendance à fermer leurs domaines. Ce comportement – légal – passe mal.

Du rififi en Chartreuse

La réserve naturelle du massif de la Chartreuse compte 4 400 hectares dont 750 appartiennent à Bruno de Quinsonas-Oudinot. Ce domaine génère des échanges houleux entre les touristes, les randonneurs et le propriétaire qui chasse sur ses terres. Récemment, l’évolution de la loi sur l’engrillagement lui a permis de ne plus avoir à clôturer intégralement son terrain pour en interdire l’accès. Il a donc posé des pancartes « propriété privée ».

La surfréquentation de son territoire mettait en effet en péril la biodiversité locale, sans compter les nombreux déchets que l’on devait régulièrement ramasser.

Fureur des intrus ! Les écologistes et anti-chasse locaux se saisissent du dossier, et lancent une pétition. Elle est rédigée en écriture inclusive et recueille 30 000 signatures. La voici : « nous demandons l’accès à tout-e-s à la réserve naturelle ».

Cette demande s’accompagne d’une interdiction de la chasse sur le domaine privé…

« La propriété privée, c’est la loi »

L’affaire fait les choux gras de la presse locale. Parfois avec des accents révolutionnaires. Un quotidien local gausse ainsi « la chasse du marquis », et demande « l’abolition des privilèges » …

Ce dernier répond : « pensez-vous une seconde que je me permettrais ou me croirais autorisé à me rendre chez vous dans votre jardin, quelle que soit sa taille, pour y planter une tente, faire un feu, couper des arbres pour faire griller des saucisses ? »

Du côté du parc, pas d’état d’âme : « la propriété privée, c’est la loi : c’est d’ordre constitutionnel », déclare son président, Dominique Escaron. Et il ajoute : « il y avait jusque-là une tolérance pour le passage de randonneurs, mais il faut aujourd’hui trouver l’équilibre entre toutes les pratiques ».

La polémique se poursuit. La chasse reste autorisée dans la réserve naturelle, mais des vidéos montrant des chasseurs, en tenue de camouflage, chassant le chamois, se multiplient sur les réseaux sociaux.

Cette affaire montre en tout cas que, pour être constitutionnel, le droit de propriété reste, pour certains, anecdotique.

Le président des chasseurs, Willy Schraen, s’en est d’ailleurs ému. Il a affirmé que c’est l’un des combats qu’il faudra mener à l’avenir, « et probablement même dans un avenir bien plus proche qu’on ne le pense ».