Chaud devant ! En dépit d’un piégeage et de tirs massifs, l’animal ne faiblit pas. Ce sont plusieurs millions de ragondins qui sont détruits chaque année dans notre pays, sans que l’on parvienne à freiner l’invasion. On les voit partout. Sur les mares, les plus petits points d’eau, au cœur des villes, sur les golfs et sur les aires des jeux. La prolifération est stupéfiante.

Dans son milieu d’origine (Amérique du Sud), la « nutria » comme on l’appelle, est la proie du puma et du caïman. En France, une fois adulte, il n’a aucun prédateur naturel. Seuls les jeunes sont parfois mangés par la fouine ou le renard.

Il y a quelques années, alors que des piégeurs locaux manquaient de moyens, la Fredon (Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles) avait lancé un cri d’alarme dans Ouest-France : « si l’on arrête de piéger, en 2017 les 230 000 ragondins non capturés en un an auront généré plus de 5 millions de descendants, car la population est multipliée par cinq environ chaque année ». Ce calcul est sans doute excessif. Il reste que la dynamique de croissance est impressionnante. Le rongeur peut vivre une dizaine d’années et se reproduit rapidement, puisque la femelle peut avoir jusqu’à 3 portées par an, comptant chacune jusqu’à 7 petits.

L’animal a aujourd’hui colonisé l’ensemble du territoire. Il est présent dans tous les départements. Les promeneurs s’inquiètent. « Est-ce qu’il est dangereux pour l’homme ? » demande-t-on sur les réseaux sociaux. Non, bien entendu, sauf s’il est blessé. Aucune région n’est épargnée. En Bretagne, par exemple, on en a tué 4 175 en deux mois et 752 en un week-end dans le seul marais malouin ! Les plus petites communes sont touchées. À Sainte-Gemme-la-Plaine, modeste commune de Vendée, plus de 20 000 sont détruits chaque année. Dans la Manche, un nouveau record a été battu en avec 48 523 rongeurs capturés (entre 66 % et 75 % de ragondins, le reste des rats musqués). Comparé à 2020, c’est plus de 10 000 captures supplémentaires. Rien ne l’arrête. On le trouve même sur les petites îles : une vingtaine capturée en un mois sur l’île de Bréhat !

Un « rat mutant »

On sait que l’animal s’est échappé de cages d’élevage dans les années soixante. Jusque dans les années quatre-vingt, on ignorait sa présence et son observation était perçue comme une curiosité. Il y avait des élevages partout, y compris dans la Somme, mais le grand public ne connaissait pas l’animal, d’où sa stupéfaction quand il l’a découvert. Dans un bulletin de la société linéenne de Nord-Picardie, publié en 2015, on lit ceci : « un article de la Voix du Nord des 14-15 février 1989 mentionne la capture d’un « rat mutant » blanc d’un mètre de long et de 7 kg. Ce « rat », capturé dans le centre d’Abbeville par les pompiers, fut piqué par un vétérinaire compte tenu de son agressivité. Il ne s’agissait en fait que d’un banal ragondin ayant faussé compagnie à ses détenteurs ».

Un « rat mutant » ? Il fallait y songer ! Depuis, la chimère a fait des petits !

La destruction massive n’endigue pas l’expansion, mais la freine. En dehors des archers qui en profitent pour s’exercer, la chasse n’est guère passionnante … On s’en occupe par souci d’autodéfense. Les propriétaires d’étangs qui ne veulent pas voir leur beau plan d’eau et ses roselières devenir une mare de boue passent à l’action. Tout comme les agriculteurs, les municipalités et les responsables d’ouvrages.

À tir, on chasse de préférence tôt le matin ou en fin de journée quand les animaux sortent de leur terrier pour aller se nourrir. On peut alors en voir des quantités nager la truffe à ras de l’eau, moustaches blanches en bataille. La queue ondule et fait à la fois office de propulseur et de gouvernail. L’animal n’est pas trop farouche et on l’a facilement à portée de tir. Les cages-pièges seront, elles, appâtées avec des pommes ou des carottes.

Attention à la leptospirose

La bredouille n’existe pas. Il faut faire attention en manipulant l’animal, car c’est un vecteur de leptospirose. Gants obligatoires. La maladie, transmise par l’urine, est le plus souvent bénigne, mais, selon l’Institut Pasteur, elle peut conduire à l’insuffisance rénale dans 5 à 20 % des cas. Que faire de l’animal mort ? Chacun a sa solution. Certains jettent la dépouille dans une haie – le renard s’en chargera – d’autres l’enterrent, d’autres encore confectionnent des pâtés de « lièvre des marais ». L’ingéniosité ne manque pas. Ainsi, ce chasseur qui pend les cadavres au-dessus des agrainoirs pour faisans, leur donnant ainsi une manne d’asticots. Ou celui-ci qui l’utilise comme appât pour ses cages-pièges à corneilles. Ou encore cet autre qui nourrit ses chiens de meute en précisant qu’on ne retrouve « que les dents ».

Pendant l’hiver, la fourrure du ragondin est très belle mais, hélas, les foires à la sauvagine ont disparu et plus personne n’en veut. Il y a quelques années, une petite entreprise vendéenne proposait de superbes pantoufles. Mais elle a aussi, hélas, disparu.

La régulation ne plaît pas aux militants « animalistes » qui peuvent détruire les cages-pièges et adresser aux maires des pétitions. Ainsi, à Sucy-en-Brie, ils ont réclamé l’arrêt « du génocide » et « la stérilisation des animaux » (sic).

Ces pétitions ont peu de succès, car dans « ragondin » on entend « rat » et cet animal n’a pas la cote.

Une chose est certaine : rien ne pourra arrêter l’invasion. Les naturalistes disent que les hivers froids peuvent porter de rudes coups à l’espèce. Mais ces hivers-là sont passés de mode …