Nick Gordiichuk, producteur de plants
En Ukraine, Nick Gordiichuk est « un non issu du monde agricole » avec la double casquette d’agent commercial et de producteur de plants de pomme de terre. Jusqu’en 2010, il était agent de la coopérative néerlandaise Agrico auprès de laquelle il s’approvisionnait en plants certifiés pour les exporter en Ukraine avant de les revendre à des agriculteurs.
Depuis, il est aussi chef d’entreprise agricole (voir encadré). Il dirige même deux fermes sur lesquelles il réalise un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros. La première de 400 hectares est située dans la région de Tchernihiv (le nom du village n’est pas communiqué pour des raisons de sécurité), à 23 km de la frontière bélarusse, où il y cultive 100 ha de plants. Et la seconde exploitation de 200 ha est proche de Kiev (nom du village non communiqué), la capitale d’Ukraine, où Nick demeure autant que possible avec sa famille.
Deux tracteurs inutilisables
Depuis le début du printemps, les combats se sont intensifiés. A Kiev, Nick entend chaque nuit les sirènes retentir, alertant les habitants de nouvelles attaques aériennes imminentes. Malgré le bouclier antimissile qui protège les grandes villes (Kiev, Odessa, Kharkiv, Kherson), des drones détruisent des immeubles, des centres commerciaux et des bâtiments publics. Et chaque matin, les journaux télévisés dressent le bilan des attaques de la nuit passée.
Mais surtout, le bouclier antimissile ne protège pas l’ensemble du territoire ukrainien. En zone rurale, aucune région n’est à l’abri. Le 25 mai dernier à trois heures du matin, Nick est réveillé par le gardien de son entreprise. Il lui apprend que deux drones ont détruit et incendié le bâtiment de stockage où les plants de pommes de terre (900 m2) sont habituellement entreposés dans 1 500 boxes. Ils ont également endommagé l’entrepôt et la zone de tri (860 m2) qui abritaient des matériels, les engrais et les produits de protection des plantes. Plusieurs équipements ont aussi été touchés. Deux tracteurs sont inutilisables.
« Je ne sais pas pourquoi la Russie a ciblé mon hangar à pommes de terre. Situé à une vingtaine de kilomètres de la frontière bélarusse, l’armée russe l’a probablement assimilé à un entrepôt de stockage de matériels militaires et d’armes, explique Nick. A moins que ce soit la production de plants qui ait été elle-même ciblée pour affaiblir la sécurité alimentaire de l’Ukraine ! ».
1 500 tonnes de plants
Au mois de mai, le bâtiment de stockage était vide car les plants récoltés en 2024 ont été commercialisés et vendus pour être plantés. Mais Nick se préparait déjà à recevoir la nouvelle production de 1 500 tonnes récoltée le mois d’août dernier. Il l’aurait alors stockée dans son bâtiment avant de la commercialiser jusqu’à la prochaine saison de plantation. Chaque année, il vend sa production de plants à 300 patatiers ukrainiens.
Dans l’urgence, Nick s’est lancé dans la recherche d’un bâtiment de location réfrigéré avec ventilation d’une capacité de 1 500 tonnes. L’entrepreneur doit aussi racheter des boxes et du matériel logistique pour gérer ses stocks.
Parallèlement, il réfléchit à la construction d’un nouveau de bâtiment de stockage sur le site de sa seconde ferme qu’il financera lui-même (budget estimé à 600 000 €). Sa compagnie d’assurance ne lui versera aucune indemnité car en temps de guerre, les biens ne sont pas assurés contre les destructions militaires. Même la réparation des tracteurs endommagés le 25 mai dernier ne sera pas prise en charge !
Pour financer ce bâtiment, le chef d’entreprise compte souscrire un prêt auprès de sa banque et contacter des donneurs internationaux. Agrico, l’entreprise néerlandaise de plants de pommes de terre avec laquelle il collabore, pourrait aussi l’aider.
En Ukraine, on dénombre environ 40 producteurs de plants, ce qui est très insuffisant pour couvrir le marché ukrainien. En même temps, seule 5 % de la superficie de pommes de terre est semée avec des plants certifiés pour cultiver des pommes de terre vendues à l’étranger à des chaines de supermarchés (Auchan et Metro par exemple). Les centaines de milliers de petits planteurs ukrainiens font eux-mêmes leurs semences.
Nick ne produit que des variétés de pommes de terre de consommation (Riviera et Arizona essentiellement) car l’Ukraine, 4ème pays producteur au monde de pommes de terre, dispose d’une capacité de transformation très limitée (fécule, chips). Elle ne possède pas sa propre industrie de frites surgelées. Celles qui sont consommées en Ukraine, sont importées de Pologne, de Belgique et des Pays-Bas.
Comme l’entreprise agricole de Nick fait partie des sociétés indispensables pour assurer la souveraineté du pays et la sécurité alimentaire de sa population, l’entrepreneur poursuit ses activités en conservant la moitié de ses employés. Mais il sait pertinemment qu’il est mobilisable à tout moment comme l’ensemble de ses salariés.
Nick est devenu chef d’entreprise agricole en 2010 près de Kiev, mais c’est sur sa seconde ferme, créée en 2014 dans la région de Tchernihiv, qu’il s’est lancé dans la production de plants certifiés pour approvisionner le marché ukrainien.
Les prix auxquels il commercialisait les semences jusque là importées étaient trop élevés pour les planteurs ukrainiens.
Sur sa ferme de 400 ha, Nick cultive des plants de classe G6-G8. Les autres cultures sont, sur les deux exploitations, le tournesol, le colza, le blé tendre et des pommes de terre de consommation pour le marché intérieur. L’Ukraine n’est pas autorisée à exporter des pommes de terre de consommation fraîches vers l’UE.
« Nous avons 2 ingénieurs agronomes spécialisés dans les plants de pommes de terre, rapporte l’entrepreneur. Chaque année, nous organisons 8 à 10 séminaires dans notre ferme pour partager et échanger des connaissances avec d’autres agriculteurs — nos clients en pommes de terre de semence ».