Face à la montée des démarches d’agriculture régénératrice et de décarbonation des filières agroalimentaires, la fertilisation azotée se retrouve au cœur de la transition. Selon Arvalis, les émissions de protoxyde d’azote (N₂O) issues des engrais minéraux et organiques représentent plus des trois quarts de l’empreinte carbone du blé. « La fabrication de l’engrais compte pour environ un tiers de cette empreinte et son utilisation au champ pour deux tiers », précise Michael Lepelley, directeur marketing et agronomie chez Yara France.

Produire plus en émettant moins de CO2

La première clé de la décarbonation reste agronomique : produire efficacement sur chaque hectare. « Plus le rendement est élevé, plus l’empreinte carbone par tonne de blé diminue », rappelle-t-il. D’ailleurs, l’objectif de Yara est de réduire les émissions au niveau de la culture, et non uniquement à la sortie du big bag. Cette démarche s’inscrit dans une chaîne d’engagements partagée avec les distributeurs, qui accompagnent les agriculteurs vers des exploitations plus sobres.

La première étape consiste à remplacer la solution azotée (mélange d’urée et de nitrate d’ammonium) par de l’ammonitrate 33.5. Cette forme d’azote, directement assimilable par la plante, améliore l’efficacité de l’apport pour accroître le rendement ainsi que la protéine pour le blé. De plus, elle limite les pertes par volatilisation. Selon une étude d’Arvalis publiée en 2025, un apport moyen de 160 kg/ha d’ammonitrate émet environ 56,9 t CO₂ équivalent, contre 62,4 t pour l’urée, soit une réduction de près de 9 %. En associant un inhibiteur de nitrification, la baisse peut atteindre 20 % selon la méthodologie du label bas carbone.

En colza, la réduction de l’empreinte carbone est de 15 % avec l’ammonitrate 33.5 ou 27 par rapport à la solution azotée.

Enfin, avec les outils d’aide à la décision (OAD), les apports ajustés aux besoins réels de la plante limitent le gaspillage d’azote et les émissions associées.

Toutefois, la fertilisation bas carbone s’inscrit dans une approche globale. « Tout cela fait partie d’un système agronomique : la rotation, les couverts, le travail du sol, les biostimulants… », complète le représentant de Yara.

L’ammoniac passe du gris au bleu, puis au vert

Le second levier porte sur la décarbonation de la production industrielle. L’ammoniac, base de tout engrais azoté, est aujourd’hui fabriqué à partir de gaz naturel. Pour limiter son impact, deux alternatives existent : l’ammoniac bleu, dont le CO₂ est capté et stocké dans d’anciens puits pétroliers par exemple, et l’ammoniac vert, produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable (hydroélectricité, éolien, photovoltaïque…). Selon l’Unifa, l’ammoniac bleu émet environ 800 kg de CO₂ par tonne, contre 2 tonnes pour le gris (conventionnel), tandis que le vert tombe à 250 kg. « Pour l’ammoniac bleu, nous réinjectons le carbone liquéfié dans les couches profondes du sol d’où le gaz a été extrait. Il reste stocké de manière sûre », souligne Michael Lepelley. Ces sites sont localisés aux Pays-Bas (bleu) et en Norvège (vert).« Toutefois, les performances « bas carbone » de ce type d’engrais varient selon les installations : une usine neuve intégrant dès le départ la capture du CO₂ est plus efficace qu’un site existant modifié », ajoute-t-il. Dans son engagement SBTI (Science based targets initiative), Yara annonce un objectif de réduction de 30 % des émissions GES de ses scopes 1 et 2 dès 2030 grâce à l’ammoniac bas carbone. En France, environ 1 000 hectares sont déjà fertilisés avec de l’ammonitrate bas carbone de Yara fabriqué à Ambès (33) ou à Tertre (Belgique). La production d’ammoniac vert a démarré en Norvège à Heroya en 2023.

La réduction des émissions s’applique aussi lors de la fabrication d’ammonitrate. Ainsi, l’amélioration du procédé de catalyse mis en place dans les usines de production d’engrais de France et d’Europe élimine plus de 90 % du N20 (1 t N20 = 273 t CO2eq), et depuis 2024 jusqu’à 99 % pour l’usine de Yara Ambès (33).

Une transition amorcée

Aujourd’hui, ces engrais azotés bas carbone coûtent plus cher à fabriquer que leur équivalent dits « gris » ou « conventionnels ». « Nous sommes au début de l’histoire, les chaînes de valeur se structurent, estime Michael Lepelley. La massification des volumes et l’effet d’échelle feront devraient faire baisser les coûts dans les années à venir. »