Antoine Dutot s’est installé sur la ferme familiale en 2008 à la suite de ses parents et grands-parents, à Beuzeville-la-Grenier, entre Fécamp et Le Havre. Il cultive du blé, du lin, du colza, des pommes de terre et des betteraves sucrières présentes sur la ferme depuis 1936, qu’il livre à la sucrerie Cristal Union de Fontaine-le-Dun. Fin 2024, il s’est lancé dans l’agroforesterie, un mode d’exploitation agricole encore mal connu qui associe plantation d’arbres et d’arbustes.
« Nous sommes sur un plateau avec des limons profonds et une battance des sols lors des fortes pluies. On a des accidents climatiques avec des phénomènes de ruissellement et d’érosion. La terre est notre outil de travail et nous devons la protéger », explique l’agriculteur en évoquant l’évolution des techniques de travail du sol, qui affinent de plus en plus la terre, ce qui amplifie sa vulnérabilité lors de forts orages et de coups de vent. Il possède, entre autres, un îlot d’une soixantaine d’hectares d’un seul tenant avec du blé et des betteraves ainsi qu’un petit hectare, une veine argileuse où rien ne pousse. Les champs sont sensibles aux vents secs et froids.
Le changement s’enracine
L’agriculteur voulait « casser » ce grand îlot en pente et vallonné où le ruissellement est récurrent avec des dégâts sur les cultures, malgré certains aménagements comme les bandes enherbées. « Il fallait trouver d’autres solutions sans impacter le potentiel de production de l’exploitation », indique Antoine Dutot qui pense alors à l’agroforesterie pour protéger ses terres fertiles de limon profond, « un terroir adapté à la culture de la betterave qui est une tête de rotation importante dans l’assolement de la ferme avec de bons rendements et une stabilité des prix ».
L’éolien et l’hydrique
Le planteur fait alors appel à un agroforestier, Benoît Caumont, ingénieur agricole installé à Bec-de-Mortagne (Seine-Maritime). Il fait partie de la première promotion de techniciens formés par l’association française d’agroforesterie (AFAF) et a créé sa société de conseil, Caumont Normandie, mêlant sylviculture et agriculture pour lutter contre le vent et la pluie, l’éolien et l’hydrique. Il remet l’arbre au cœur du système agricole, intervient en amont pour définir le projet de l’agriculteur et l’accompagne dans la réflexion (diagnostic), l’analyse du site jusqu’à la plantation en passant par le financement, les aides publiques (région, département, agence de l’eau Seine Normandie) et les aides privées comme le Fonds After (agroforesterie et territoires) qui soutient les fermes dans la mise en place des projets agroforestiers. En Normandie, et plus particulièrement en Seine-Maritime et dans l’Eure, ce sont la lutte contre l’érosion et la qualité de l’eau qui prédominent, rappelle l’agroforestier.
Les vents séchants du Nord
« Nous sommes ici en bord de mer avec des vents séchants du Nord. La haie et les arbres jouent alors un rôle essentiel surtout lors de gros orages et de pluies battantes. Ils ralentissent la vitesse des eaux de pluie qui érodent les couches de limon superficielles. C’est la terre la plus fertile qui s’en va », insiste Antoine Dutot.
Fin 2024, l’agriculteur a planté une haie de 600 mètres de long au milieu de la plaine, entre les champs de betteraves et de blé avec 14 essences différentes dont des buissonnantes (prunelier, viorne, cornouiller sanguin, cerisier à grappes, noisetier, etc) et a réalisé un bosquet d’arbres de haut jet (cormier, chêne sessile, etc) d’un demi-hectare sur la veine de terre argileuse.
Antoine Dutot n’est pas peu fier du résultat. « Je vois la plaine différemment. Cela a de l’allure avec un vrai îlot de biodiversité qui concilie productivité et environnement sur le court, moyen et long terme pour les générations futures », se réjouit l’agriculteur cauchois.
Huit personnes, dont les salariés de la ferme et des intérimaires, ont planté au total 950 arbres et arbustes et tout fait manuellement sous l’œil averti et la main verte de Benoît Caumont. L’agroforestier suit tout de bout en bout, de la plantation au paillage avec des anas de lin pour lutter contre les adventices et conserver la fraîcheur au pied des plantations.