L’année 2024 marque un tournant dans le paysage sucrier français, qui s’est encore fortement restructuré au sud de Paris avec la fermeture de la sucrerie Ouvré de Souppes-sur-Loing et la reprise de la sucrerie Lesaffre de Nangis. Ces deux évènements actent la fin des sociétés familiales mono-usine et consacrent la prédominance d’un modèle coopératif doté de plusieurs usines couvrant un vaste bassin betteravier.
Alors que l’industrie sucrière a été bâtie depuis deux siècles par des sociétés privées (Ouvré fils avait fêté ses 150 ans en 2024 et Lesaffre Frères a été créée en 1873), le poids des coopératives s’est surtout accentué depuis la reprise des usines de Beghin-Say en 2001 par Tereos et Cristal Union. Les coopératives ont ensuite continué à monter en puissance, notamment avec le rachat par Cristal Union de la Société Vermadoise Industries en 2012.
La restructuration de 2025 renforce le groupe Cristal Union qui gagne deux bassins de productions : celui de Nangis par le rachat de Lesaffre et celui de Souppes, puisque la majorité des planteurs de cette sucrerie ont rejoint Cristal Union après la fermeture de l’usine. Ainsi, Cristal Union unifie une vaste zone formant un croissant, qui va de Pithiviers dans la Beauce à Bazancourt dans la Marne, en passant par le Gâtinais, la Brie et la Champagne.
Avec l’intégration de la sucrerie de Nangis, Cristal Union pourrait désormais transformer environ 45 % des surfaces betteravières (voir BF du 17 juin 2025 p 18).
Le modèle coopératif prépondérant
Aujourd’hui, les 19 sucreries françaises sont détenues par trois groupes : les deux coopératives Tereos et Cristal Union et l’entreprise privée Saint Louis Sucre, filiale du groupe sucrier allemand Südzucker. Le modèle coopératif est donc prépondérant en 2025, alors qu’en 1995, les coopératives ne détenaient que 22 % des quotas sucriers !
Entre ces deux dates, c’est toute une époque qui a disparu avec la baisse progressive des prix garantis à partir de 2006, puis la fin des quotas sucriers en 2017. La libéralisation du marché européen du sucre, les fortes fluctuations de prix, la multiplication des accords de libre-échange, les importations de sucre à bas coût venant d’Ukraine, l’augmentation des coûts industriels et la sur-réglementation agricole ont fragilisé le secteur sucrier. La disparition des deux dernières structures familiales mono-usine est aussi le résultat de ces choix politiques…
2025 : Ouvré fils à Souppes-sur‑Loing (Seine‑et‑Marne)
2023 : Tereos à Escaudoeuvres (Nord)
2020 : Cristal Union à Bourdon (Puy‑de‑Dôme) et Toury (Eure‑et‑Loir). Saint‑Louis Sucre à Cagny (Calvados) et Eppeville (Somme)
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre de sucreries a fortement diminué, tandis que leur capacité de production augmentait considérablement.
Il y avait 105 sucreries en 1950, qui produisaient en moyenne 12 500 t de sucre par an. Elles étaient au nombre de 37 en l’an 2000 (pour 138 000 t) et 25 en 2010 (pour 170 000 t).
Parallèlement aux fermetures d’usines, l’industrie sucrière a connu une concentration capitalistique : elle comptait 88 entreprises en 1950, 17 entreprises en 2000, 6 en 2010 et donc 3 en 2025.
Christian Spiegeleer, président du SNFS
C’est la conséquence du désengagement européen et de surenchère normative
« Ces derniers mois ont vu s’effacer les deux dernières entreprises sucrières familiales françaises, succédant au mouvement de fermetures d’usines en France et en Europe de ces six dernières années. Ces événements sont en partie la conséquence des multiples formes de désengagement européen à l’égard de notre industrie (signé notamment par la réforme sucrière de 2017, elle-même annoncée par celle de 2006) et de surenchère normative. L’entreprise familiale mono-usine n’est hélas plus adaptée à un tel contexte qui privilégie désormais les groupes industriels ayant une assise productive, financière, concurrentielle et commerciale robuste, capables de se restructurer. Il faut se réjouir que ces récentes restructurations aient été adroitement intégrées par Cristal Union pour préserver le volume de production de betteraves et de sucre local et français. »





