En général, les rapports administratifs ont pour vocation de filer à la poubelle. Ce sont, en effet, des centaines de documents pondus par des dizaines d’officines, la plupart rédigés dans un style abscons qui déferlent sur les bureaux de la fonction publique. Il arrive toutefois que l’un d’entre eux échappe au sort commun. C’est le cas de l’analyse destinée à « évaluer la mise en œuvre du contrat 2021-2025 entre l’État et l’Office national des forêts (ONF) » et publiée au printemps dernier sous la houlette de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Ces deux officines jusque-là confidentielles se sont emparées de la forêt en général et du cerf en particulier. Pour dire quoi ? Partant du constat que certaines forêts sont fragilisées et menacées de dépérissement, les rédacteurs réclament « un choc de régulation des ongulés sauvages ». Certes il faut se méfier des coups de menton. On se souvient que François Hollande, en mars 2013, avait souhaité « un choc de simplification administrative ». Avec les résultats que l’on sait … Mais ici les rédacteurs donnent des précisions. Il s’agit de « créer des zones blanches d’où les cervidés seraient exclus ». Et « un classement temporaire et localisé des cerfs ou des chevreuils en espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD) » et donc susceptibles d’une campagne de destruction massive. Cette suggestion a fait bondir Willy Schraen : « comment peut-on imaginer de nous demander de détruire le travail fait depuis des décennies pour que ces animaux magnifiques puissent à la fois être chassés de manière durable et observés par tous ceux qui aiment la nature ? On voudrait que nous fassions des massacres ? C’est consternant. »
C’est amusant de constater que les chasseurs, pris sous mille feux, accusés de destruction systémique, sont aujourd’hui priés de tuer davantage. Et pas une corneille ou un sansonnet : des cerfs et des chevreuils.
Cinquante pour cent des forêts domaniales sont en déséquilibre
Voyons les faits. Il est vrai que 50 % des forêts domaniales sont en déséquilibre forêt-ongulés (contre 38 % en 2019). Les prélèvements ont pourtant été multipliés par 13 pour les cerfs et par 10 pour les chevreuils entre 1974 et 2023.
Partant de ces chiffres, il est indéniable que, dans certaines zones, les populations de cervidés se sont tellement développées qu’elles empêchent la régénération naturelle et nécessitent des protections coûteuses (21 à 50 % du coût des plantations selon le rapport).
Certes « forestier » et « grand gibier » sont deux mots qui ne vont pas toujours bien ensemble. Le forestier s’occupe de la forêt et, à ce titre, il n’aime guère voir les jeunes plantations « abrouties » ou les arbres « écorcés ». Sa patience trouve assez vite ses limites.
Cela posé, il est exact que la situation dérape. L’État doit faire face actuellement à des procès dans différentes régions de France pour inapplication de la loi régissant les équilibres agro-sylvo-cynégétiques. Il vient d’être condamné à indemniser de 60 000 euros un sylviculteur de l’Orne. Il y a quelques années, il avait dû indemniser un sylviculteur des Cévennes pour 800 000 euros et les condamnations devraient se poursuivre. Ajoutons que la prolifération de la grande faune ne se limite plus seulement à la forêt, mais se propage dans toutes les sphères d’activités rurales : collisions routières de plus en plus fréquentes (40 000 collisions et 50 morts/an), collisions ferroviaires, dégâts agricoles que les FDC rechignent à payer tant les indemnisations explosent.
Dans un rapport de 2024, la Cour des comptes poussait déjà un cri d’alarme : « pour remédier au plus vite à cette situation et faire baisser les populations de cervidés, la Cour préconise que le retour à l’équilibre ne peut être confié aux seuls chasseurs. Les agents de l’État doivent prendre part à l’abattage massif des cervidés de France. »
« Abattage massif des cervidés de France » ! La Cour n’y allait pas de main morte …
Le symbole de la forêt
On voit donc que le problème est complexe. D’un côté, les cervidés en expansion galopante menacent – localement – la forêt ; de l’autre, abattre les cerfs à la grosse, en mode ragondin, offusque aussi bien les chasseurs que le grand public.
Les éliminer par des fonctionnaires ? « Nous n’avons pas besoin de vous, diront les représentants des chasseurs, laissez-nous faire, augmentez le nombre de bracelets, donnez-nous les autorisations nécessaires pour le tir de nuit, les battues administratives, les tirs d’été. »
L’embêtant – on le voit parfaitement avec le sanglier – c’est que, lorsqu’une espèce explose, rien n’y fait. Quand la dynamique est en marche, elle est très difficile à arrêter.
Ensuite, le cerf jouit d’une aura incontestable. Les petits sourient en pensant à Bambi. Les grands s’émeuvent en entendant le brame et en admirant la noble silhouette qui s’encadre entre deux chênes. C’est le symbole de la forêt.
Tous ces éléments font que le classement de l’animal en ESOD semble difficile.
Et que le « choc de régulation des ongulés sauvages » risque bien de finir comme « le choc de simplification administrative. »





