La fin du CIPC, la Commission européenne en parlait depuis des années. Pour autant, son interdiction n’a pas été anticipée.

« Le gouvernement n’a pas laissé le temps aux producteurs de se familiariser avec les produits et les techniques alternatifs disponibles pour trouver les bonnes solutions », déplore Arnaud Chombart, agriculteur et administrateur de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT) pour Somme.

Les planteurs ont surtout le sentiment d’essuyer les plâtres d’une reconversion professionnelle qui requiert du temps pour acquérir de nouvelles compétences. « Car on demande aux producteurs de changer complètement leurs méthodes de conservation des pommes de terre en passant d’une logique de prévention à une logique curative », tempête encore Arnaud Chombart.

En attendant, les planteurs font face à une pénurie du produit Dormir, de plus en plus onéreux à acquérir et l’Argos a été mis trop vite sur le marché. Ce dernier produit ne présente pas toutes les garanties d’utilisation. Aussi a-t-il été retiré de la vente lorsqu’il est employé dans des bâtiments où sont entreposées des pommes de terre destinées au marché du frais.

Campagne de transformation perturbée

Par ailleurs la crise sanitaire de la Covid-19 perturbe la campagne de transformation des pommes de terre, faute de débouchés depuis la fermeture des restaurants et des fast-foods en mars 2020. Et comme les millions de salariés en télétravail prennent davantage leurs repas à domicile, la demande de pommes de terre se reporte davantage sur le frais.

En conséquence, les planteurs liés par contrat à des industriels, s’attendent à multiplier les traitements pour conserver plus longtemps qu’à l’accoutumée leurs tubercules durant toute la durée du stockage.

Or, les conditions climatiques de l’année passée favorisent une germination plus précoce des pommes de terre. Et durant les premiers jours de stockage, les températures douces n’ont facilité ni le séchage des tubercules, ni la baisse de la température ambiante à 8°C des bâtiments de stockage. Plus celle-ci est élevée, plus les pommes de terre germent vite.

En mettant bout à bout tous ces facteurs, on devine aisément que le coût du stockage des pommes de terre de certains planteurs sera particulièrement élevé cette année, et sans certitude de résultat.

Les premiers résultats de l’enquête lancée par la FDSEA de la Somme pour recueillir auprès des planteurs leurs impressions et leurs suggestions quant à l’utilisation des alternatives au CIPC, illustrent leur désarroi.

« Ils sont sans repères ni références techniques pour appliquer efficacement les produits autorisés depuis l’interdiction de l’isopropyl3 chlorophénylcarbamate », déplore Arnaud Chombart.

Dans les bâtiments, la thermonébulisation

Les planteurs qui n’avaient pas pris les devants pour adopter de nouvelles techniques de stockage, se posaient beaucoup de questions mi-décembre pour savoir comment finir la saison.

« La plupart des produits encore autorisés étaient connus, mais ils n’étaient pas utilisés. C’est l’interdiction du CIPC qui les a fait réellement découvrir », affirme Michel Martin, ingénieur à Arvalis Institut du végétal.

L’itinéraire retenu dépendra de la durée de stockage, des débouchés et des cahiers des charges à respecter qui n’en sont pas moins exigeants !

La seule technique d’application des produits antigerminatifs (Dormir, huile de menthe et Argos) autorisée est la thermonébulisation. Il est toutefois possible d’injecter de l’éthylène dans les bâtiments.

Dans les champs, l’application d’hydroxyzine maléïque sur les pommes de terre encore en végétation, prolongera la dormance de celles-ci. Et si les conditions d’application sont optimales, le démarrage des pommes de terre stockées sera atténué pendant trois mois au moins après la récolte.

Certains contrats conclus avec les industriels tiennent compte des dépenses supplémentaires générées par ces techniques de stockage et par les produits employés.

Mais la grille tarifaire établie pour l’occasion ne prend pas en compte les travaux d’aménagement des bâtiments qu’imposent les nouveaux protocoles de traitements des pommes de terre pour bien les conserver.

La fin du CIPC accélère l’obsolescence des bâtiments car aucune technique de nettoyage ne supprime totalement la trace d’isopropyl3 chlorophénylcarbamate. Et si sa teneur résiduelle est supérieure à la limite maximale en résidus temporaires de 0,4 mg/kg, les pommes de terre ne sont pas commercialisables.

Un problème récurrent

En répondant à l’enquête de la FDSEA de la Somme, les planteurs mettent en doute l’efficacité des produits disponibles pour conserver leurs pommes de terre. Ils notent que des germes apparaissent après traitements.
Les bâtiments mal isolés et mal équipés d’appareils de ventilation ne sont pas adaptés aux méthodes de traitement et aux produits autorisés, alors que le CIPC, simple à l’emploi, permettait de bien conserver les pommes de terre entreposées dans ces bâtiments. Elles étaient souvent commercialisées dans les premiers mois qui suivaient leurs récoltes.

Certains agriculteurs projettent l’édification de nouveaux bâtiments ; mais que faire en attendant qu’ils soient construits ? Ces projets nécessitent un délai d’un à deux ans avant d’être réalisés alors que chaque année, une nouvelle récolte de pommes de terre doit être stockée en respectant la nouvelle réglementation.

Et puis tous les planteurs de pommes de terre n’ont pas les moyens de financer un tel projet. C’est pourquoi « la FDSEA de la Somme revendique des aides publiques de 30-40 % du montant des investissements éligibles, affirme Arnaud Chombart. Une partie du plan de relance consacrée à la structuration de filières pourrait être mobilisée à cet effet. Sinon, il n’est pas exclu que des producteurs renoncent à la culture ».