Quel principal enseignement tirez-vous de cette campagne ?

L’année 2019, en plus de sa climatologie particulière, a été marquée par le retour de nombreux parasites, comme les tipules, les atomaires, les altises, les thrips, les taupins et bien sûr les pucerons. Dès que nous arrêtons de protéger la culture, tous ces parasites reviennent et freinent le développement de la plante. Les betteraviers doivent aujourd’hui travailler sans la sécurité apportée précédemment par les néonicotinoïdes.

Cela veut-il dire que nous travaillons avec davantage de contraintes ?

Nos pratiques agricoles sont sans cesse remises en cause par la société, l’économie, le gouvernement, l’apparition de nouvelles maladies et, positivement, par les progrès scientifiques. Trouver de nouvelles solutions est un défi quotidien pour la science, et quand nous en proposons, elles ne sont pas toujours comprises et des détracteurs se manifestent. Or le pas de temps scientifique ou agronomique n’est pas le même que le pas de temps de nos sociétés. On ne peut pas adapter une culture en deux campagnes : il faut trouver la solution, la transmettre et faire en sorte qu’elle soit appliquée sur le terrain. Pour cela, il faut une communication efficace, délivrée rapidement et de manière très ciblée.

Comment la filière s’est-elle adaptée à l’interdiction des néonicotinoïdes ?

Nous étions au bord du gouffre l’année dernière. L’ITB s’est battu pour obtenir les possibilités d’usages (homologation et dérogation) pour des produits que nous avions identifiés. Nous avons parallèlement mis en place des réseaux d’observation. La jaunisse n’a pas trop fait de dégâts en 2019, mais les agriculteurs ont réalisé 1,5 traitement aérien en moyenne. Pour 2020, nous conservons le Teppeki et nous renouvellerons notre demande de dérogation pour l’usage du Movento. L’ITB teste des produits de biocontrôle. Les pistes privilégiées sont les huiles à base de paraffine et des champignons. Ces produits sont actuellement moins efficaces et leurs coûts sont plus élevés, mais les résultats sont tout de même encourageants.

La betterave est-elle assez résistante aux épisodes de sécheresse ?

La sécheresse, parfois accompagnée de températures élevées, s’est installée pendant une très longue période entre le 20 juin et le 20 septembre, entraînant de nombreuses pertes de feuilles. Quand la pluie est revenue fin septembre, on a assisté à un effondrement des richesses. La betterave a certes pris du poids, mais ce gain n’a pas compensé la perte en sucre. La plante a pioché dans ses réserves de sucre pour refaire des feuilles. Certaines variétés s’en sortent mieux. Nous les avons d’ailleurs mises en avant dans notre dossier sur les recommandations pour 2020 (voir BF 1101, p. 23).

Les agriculteurs ont l’impression que le rendement betteravier stagne ces dernières années. Constatez-vous la même chose dans vos champs d’essais ?

Les rendements de ces dernières années ont été affectés par des sécheresses et de fortes attaques de cercosporiose. Les résultats obtenus par les agriculteurs sont naturellement en dessous du potentiel de rendement observé dans nos parcelles optimisées d’essais : 145 t/ha à 16 °S, soit 24 t/ha de sucre produit. Cette année, en conditions réelles, le rendement moyen devrait s’établir à 12,9 t/ha de sucre produit, alors qu’il était de 15 t/ha en 2011.

Le progrès génétique reste dynamique, notamment sur la tolérance aux nématodes. Par ailleurs, les semenciers ont introduit de nouvelles tolérances, comme la forte pression de rhizomanie et les maladies du feuillage. Le rythme de progression sur les variétés simples tolérantes à la rhizomanie semble quant à lui un peu plus faible.

Le désherbage reste le poste le plus difficile à réduire. Quelles pourraient être les pistes pour progresser ?

Si 85 % des parcelles sont propres, environ 5 % sont véritablement envahies par les mauvaises herbes. Les planteurs concernés devraient pouvoir bénéficier d’une aide personnalisée. C’est d’ailleurs ce que propose le plan stratégique de la filière betterave-sucre, qui a été remis au ministère de l’Agriculture en novembre dernier. La filière prévoit de mettre en place des audits betteraviers qui seront accessibles à chaque agriculteur avec pour objectif d’identifier les meilleurs leviers d’une amélioration technico-économique personnalisée. En tant que référence technique, l’ITB aura une place centrale dans ce dispositif.

Avez-vous chiffré les dégâts causés par le charançon ? Quels sont les moyens de lutte ?

Les dégâts sont causés par les larves de Lixus juncii qui creusent des galeries. Les pertes peuvent être de 5 à 7 %. Mais les pertes les plus graves sont le fait du rhizopus qui se développe grâce à ces galeries. On parle beaucoup du charançon, mais la teigne, présente au sud de Paris, en Champagne et arrivant en Picardie, fait également de gros dégâts. Des betteraves non marchandes que l’on peut voir dans les centres de réception sont le fait de ces deux parasites favorisés par l’évolution des conditions climatiques. Le problème est que l’efficacité des traitements est très aléatoire. L’ITB a débuté des travaux de recherche sur le cycle de reproduction du charançon et teste des produits répulsifs.

Globalement, quels sont les leviers à actionner pour progresser ?

Il faut actionner tous les leviers, aucun sujet ne doit être laissé de côté. Il n’y a plus de solution unique mais une combinaison d’actions qui répondront à un besoin. Avant, nous pouvions disposer d’un produit phyto pour répondre à un souci, maintenant il faut se poser les questions : comment faire pousser les cultures dans chaque environnement ? Quels auxiliaires utiliser ? C’est beaucoup plus complexe. Il faudra encore davantage adapter l’itinéraire technique à la parcelle.

L’agriculture n’a jamais eu autant de défis à relever en aussi peu de temps.

Propos recueillis par François-Xavier Duquenne