C e n’était pas vraiment une vocation à l’origine. Gérer un gîte et produire de la bière est arrivé un peu par hasard pour la famille Hureau. Tout commence en 1998. Jean-Claude et Marie-Noël exploitent une ferme de grandes cultures, dans le bassin du Gâtinais, baptisée ACM Hureau, du nom de leurs trois filles, Anne, Caroline et Marie Hureau, produisant betteraves, orges, blé et colza. Dans le corps de ferme, l’ancienne maison des grands-parents, en ruines, menace de s’effondrer. « Nous avons décidé de la sauver. L’idée nous est venue d’en faire un gîte », se souvient Marie- Noël. Les travaux sont alors colossaux. Il faut tout refaire. « Toute la famille a mis la main à la pâte. De longs mois ont été nécessaires pour le projet. Le gîte a 20 ans aujourd’hui et nous sommes tou- jours ravis », ajoute-t-elle. Pouvant accueillir jusqu’à 10 personnes, il est loué 60 % de l’année, du printemps jusqu’à l’automne. De quoi apporter un complément de revenus intéressant pour la famille.
« La clientèle est très variée. Cela va des touristes qui découvrent la région jusqu’à des personnes travaillant pour quelques semaines dans les environs, en passant par des grimpeurs de la forêt de Fontainebleau », détaille-t-elle. Pour faire connaître son gîte, la famille Hureau adhère aux réseaux des Gîtes de France et de « Bienvenue à la ferme », qui lui assurent une promotion sur leur catalogue et site Internet.
Une bière artisanale pionnière
Mais la véritable diversification professionnelle pour la famille Hureau intervient un an plus tard. « J’étais présidente d’un groupement de développement agricole. Pour notre assemblée générale, nous avions décidé de faire une exposition, à la foire de Nemours (Seine-et-Marne) sur la thématique de l’orge à la bière », se souvient Marie-Noël. À cette occasion, le groupement fait venir un brasseur, Thomas Becket, récemment installé à Sens (Yonne), pour parler de son métier. L’idée germe alors pour Marie-Noël et neuf autres familles d’agriculteurs de se lancer dans l’aventure de la bière artisanale, sans trop savoir où cela va les mener. Une SARL est rapidement créée, baptisée « Gâtinorge ». « Les orges de printemps du Gâtinais sont réputées dans le monde entier pour leur qualité », explique Marie-Noël, à propos du nom. Partant de zéro, les associés apprennent sur le tas. Ils bénéficient de quelques formations, notamment de la Chambre d’agriculture, sur le plan commercial. « Au début, nous n’envisagions pas cela comme une véritable activité professionnelle. Nous n’avions pas mesuré l’engagement que cela demandait », souligne Marie-Noël, qui gère la SARL. La bière, baptisée « la Gâtine », est embouteillée pour la première fois en septembre 2000. Gâtinorge est à l’époque la toute première brasserie artisanale de la Seine-et-Marne. Avec le temps demandé par le projet et quelques difficultés rencontrées, plusieurs associés quittent l’aventure au fil des ans. Aujourd’hui, il n’y a plus que deux familles associées dans l’aventure : les Hureau et les Collumeau, basés à Lorrez-le-Bocage-Préaux (Seine-et-Marne). Pour la production, Gâtinorge fait le choix de travailler avec le brasseur Thomas Beckett. « Notre objectif était de brasser nous-mêmes dans nos propres cuves, mais nous avons dû essuyer plusieurs refus sur des terrains où l’on souhait s’installer. Les cuves avaient même été achetées », confie Marie-Noël.
Une touche de miel du Gâtinais
Pour établir les recettes, l’orge de l’exploitation est utilisée. Une quarantaine de tonnes est maltée chez le groupe Soufflet. Une trentaine est ensuite utilisée par Gâtinorge pour la brasserie. Puis, chaque recette est élaborée par les associés de la SARL. « Chacun goûte et donne son avis, pour définir la bonne dose de malt et de houblon. Une touche de miel du Gâtinais est même ajoutée », détaille la gérante. Une fois la bière produite, il faut aussi savoir la vendre. La SARL a fait très tôt appel à un commercial professionnel. « Nous avons pris notre bâton de pèlerin au début mais il faut savoir se faire aider. Cela demande trop d’énergie sinon », estime Marie-Noël, dont une des filles, Caroline, travaille également pour Gâtinorge sur la relation clients. Agée de presque vingt ans, la petite bière du Gâtinais poursuit son développement. Vendue dans plus de 200 points de vente (cafés, restaurants, épiceries, mais aussi grandes sur- faces), elle est proposée en six recettes différentes, allant de la blonde à la brune, en passant par la blanche et une bière de Noël. La production totale s’est élevée à près de 800 hectolitres en 2017, en progression de 5 %, pour 300 000 euros de chiffre d’affaires. Et La Gâtine compte ne pas s’arrêter en si bon chemin. Après une bière IPA (Indian Pale Ale) qui vient d’être lancée, une recette fruitée est en préparation. Les Hureau rêvent toujours de pouvoir rapatrier un jour la fabrication de la bière près de leur exploitation et maîtriser ainsi entièrement la production. Si Marie-Noël continue à s’occuper du gîte et de la gestion de Gâtinorge, elle et son mari viennent de passer la main à leur fille, Marie, pour reprendre les 237 hectares de l’exploitation familiale. Comme ses parents, Marie ne s’occupe pas seulement des terres. Elle est présidente d’une Cuma d’irrigation sur sa commune, créée en 1964 par ses grands-parents et fait partie du conseil de section de la coopérative Cristal Union de Corbeilles-en-Gâtinais. Quand la fibre entrepreneuriale reste dans la famille…
Adrien Cahuzac