À l’approche de Noël, l’activité bat son plein à la ferme de Cyriaque et Isabelle Godefroy à Renneville (Ardennes). Voilà plus de vingt ans que les deux époux élèvent des dindes rouges. Une race rare et atypique dans l’élevage de ces gallinacés traditionnellement noirs ou gris dans les fermes françaises. « C’est une espèce rustique qui a fait des Ardennes son fief historique », explique l’éleveur. Venue d’Amérique latine, la dinde a été introduite en France au 16e siècle. Résultant d’un croisement entre un dindon sauvage du Mexique et une dinde noire, la dinde rouge a élu domicile dans les Ardennes lors de la domination des Espagnols sur la Flandre. Elle se serait ensuite adaptée au climat rude local. « Dans les années 1970, elle a pourtant bien failli disparaître », se rappelle l’éleveur. En cause ? Trop longue à produire et coûteuse.

Mais en 1985, un éleveur ardennais, Jean-Michel Devresse, installé à Auges, récupère les dernières volailles en vie et entreprend de reconstituer un cheptel progressivement. « Cette dinde a la particularité d’avoir une viande goûteuse et moelleuse, idéale pour le marché haut de gamme », affirme Cyriaque Godefroy. Elle se vend d’ailleurs plus cher aujourd’hui : 15 euros le kilo en moyenne, contre 10 euros/kg pour la dinde noire. Puis, face à la demande retrouvée, une poignée d’éleveurs est venue épauler Jean-Michel Devresse.

Une croissance plus longue

Cyriaque, déjà producteur de poulets Label rouge, rejoint l’aventure en 1998. Mais les débuts sont difficiles. « Il fallait passer beaucoup plus de temps que pour les poulets à préparer les bâtiments et les parcours d’élevage. Nous avions pas mal de pertes », se souvient-il. Une association regroupant les éleveurs est créée, qui possède sa propre génétique. La sélection est cependant déléguée au laboratoire Hendrix Genetics.

Les dindonneaux arrivent sur l’exploitation au printemps, âgés d’un jour. Ils restent au chaud dans un bâtiment durant six semaines avant d’être autorisés à sortir en plein air dans l’enclos. Ils sont seulement rentrés le soir ou quand il pleut. La dinde rouge a une croissance d’élevage plus lente que la dinde fermière traditionnelle noire : six à huit mois contre trois mois habituellement. À six mois d’élevage, la femelle pèse habituellement 4,5 kg maximum et le mâle 8 kg. « Ce sont surtout les femelles qui sont consommées à Noël. Le mâle part en découpe », explique l’éleveur.

En 2009, Isabelle Godefroy décide d’arrêter son métier de clerc de notaire pour rejoindre son mari sur l’exploitation. Au fil du temps, ils deviennent les principaux producteurs de cette volaille. Chaque année, ils en élèvent 6 000 sur environ 10 000 en France. Aujourd’hui, à l’exception des derniers mois liés au Covid, qui ont ralenti les ventes, la production est largement rentable. C’est même devenu une des principales sources de revenus de l’exploitation. « La production de poulets labels générait peu de revenus. Avec les dindes, c’est différent. Nous maîtrisons nos méthodes de production et nos prix, et nous produisons une partie de l’aliment sur place avec notre blé », insiste Cyriaque Godefroy.

Une activité diversifiée

Pour autant, l’éleveur et son épouse ne souhaitent pas que leurs volailles soient labellisées Label Rouge. « Nous respectons le cahier des charges avec le plein air. Nous sommes même mieux-disants. Mais le coût de la certification est élevé. Nous valorisons sans cela », justifie-t-il. Ainsi, ses dindes sont au nombre de trois par m2 en intérieur et disposent de 10 m2 chacune en extérieur quand le cahier des charges du Label Rouge impose six dindes par m2 en intérieur et 6 m2 par dinde en extérieur.

Sur les 6 000 volailles élevées annuellement par Cyriaque et son épouse, 4 000 sont vendues vivantes à d’autres élevages au bout de quatre semaines. 2 000 sont abattues puis vendues à la restauration haut de gamme, sur les marchés et à la ferme, essentiellement pour la période de Noël. Des plats cuisinés et des terrines sont également proposés dans la boutique de la ferme et sur le site Internet www.ladinderouge.com.

« L’an dernier, l’activité sur les dindes a permis de compenser les pertes économiques sur la production de betteraves », explique cet adhérent de Cristal Union, qui livre ses betteraves à la sucrerie de Bazancourt (Marne). Cette année aussi, elles viendront redorer un peu les pertes subies sur les grandes cultures. Malgré une année difficile, où il a réalisé 65 t/ha sur ses premières betteraves arrachées contre 90 t/ha en moyenne, il n’entend pas arrêter la production. Il devrait semer la même surface en 2021. Cyriaque Godefroy garde espoir. « Les prix remontent et les indemnités devraient arriver dans quelques semaines », affirme-t-il. « Si tout le monde diminue, le risque est de voir nos sucreries perdre encore de l’argent puis fermer. On ne pourra pas les rouvrir ensuite. Ce sera trop tard », prévient-il. Pour lui, il faut savoir faire le dos rond en attendant des jours meilleurs.