Les producteurs français de colza voient s’ouvrir devant eux un débouché qui se développe visiblement à grande vitesse, le biocarburant à base de colza qui vient se substituer dans les flottes de poids lourds au gazole routier. C’est le groupe Avril, via sa filiale Saipol, qui tient la corde, avec son produit Oleo100, énergie nouvelle qui s’adresse aux moteurs diesel – récents ou non – limitant ainsi les investissements des professionnels pour opérer leur transition énergétique. En moins de trois ans, le niveau de croissance atteint est étonnant. Et s’accélère : 3 000 véhicules, pour l’essentiel des camions, roulent avec Oleo100, 1 000 de plus vont s’ajouter sous peu, et dans les trois derniers mois, le portefeuille de clients de Saipol a augmenté d’un tiers, passant de 220 à 320 clients.

“La crise du Covid n’a pas entravé notre activité, bien au contraire, souligne Claire Duhamel, directrice de l’activité Oleo100 chez Saipol. Elle a permis de mettre en valeur l’importance des filières locales pendant une crise sanitaire sans précédent, l’importance d’un biocarburant qui ne déforeste pas, et qui participe également à la souveraineté protéique de la France, de par la coproduction de tourteaux riches en protéines qui nourrissent les élevages français. Et pour nos clients, les transporteurs, ce carburant leur permet de s’inscrire dans la réduction de leur empreinte écologique”.

Travaux publics

Ce biocarburant s’adresse aux entreprises ou collectivités qui détiennent des flottes de véhicules poids lourds, ayant leur propre logistique d’approvisionnement – camions, compagnies de bus, camions-bennes à déchets, cars -, et des contrats sont déjà signés avec des entreprises du bâtiment et des travaux publics, pour des engins de chantier, comme pour le groupe Vicat qui opère dans des carrières. “Dans ce cas, l’avantage est également une question de sécurité car Oleo100 est un carburant non dangereux pour l’homme et l’environnement, ce qui n’est pas le cas du gazole”, précise Claire Duhamel. La gamme de clients potentiels s’élargit au fil du temps. Le premier, en 2018, était un transporteur de graines et liquides alimentaires, nommé Blondel Voisin – en raison de sa proximité avec l’activité de Saipol, avec 50 véhicules en circulation.

Mais les adeptes de l’offre de Saipol sont aussi de grands acteurs économiques, Transdev et Keolis dans le transport de voyageurs, Vinci, Eiffage, Eurovia, et des tests sont en cours chez Colas, pour le BTP, Veolia, Suez, Paprec dans la déchetterie, et de nombreux transporteurs de marchandises comme Depaeuw et Pihen, et enfin Alençon et Lens pour les collectivités territoriales. A Alençon, les 7 bus hybrides de marque Volvo Bus qui sillonnent la ville roulent avec Oleo100 ou à l’électrique, ce qui permet de réduire l’émission de gaz à effet de serre d’au moins 60 %.

Le choix de toutes ces sociétés et collectivités enrichit leur démarche de responsabilité sociale et environnementale, sans grand investissement puisqu’Oleo100 ne nécessite qu’une modification de la carte électronique et un nettoyage du moteur pour le débarrasser des résidus dus au gazole. Si le prix de ce carburant est indexé sur celui du gazole, il coûte plus cher à produire, mais l’écart est compensé par une fiscalité plus réduite.

Cuves gratuites

En amont, Saipol s’est d’ailleurs lié aux grands fabricants de véhicules, Renault Trucks et Volvo Trucks, Man et Scania, soit 65 % de l’offre en France. Des modèles homologués au B100 sont disponibles, ainsi que des « retrofits » (modification mineure pour rendre le moteur compatible) pour les poids lourds déjà en circulation. Il existe aussi des modèles dits « B100 irréversibles », ne permettant qu’un usage exclusif du B100, qui bénéficient d’un suramortissement à l’achat du véhicule. Saipol met à disposition des cuves (de 20 000 ou 50 000 litres) gratuitement chez les clients utilisateurs, sur tout le territoire. 250 d’entre elles sont déjà connectées, pour un réapprovisionnement suivi. La production (française) et l’installation des cuves chez les clients représentent une soixantaine d’emplois indirects en France.

Primes pour les agriculteurs

Enfin, pour les agriculteurs cultivant du colza pour Saipol, des primes leur sont accordées : 25 € par tonne en moyenne, et jusqu’à 40 € à ceux qui s’engagent dans une démarche écologique, dans le cadre d’une plateforme de rachat de graines nommée Oleoze (Oleo Zéro Emission). Celle-ci prévoit de rémunérer les pratiques agricoles vertueuses – réduction des intrants, semis à faible profondeur par exemple – afin d’assurer une meilleure captation du CO2. 80 000 tonnes ont bénéficié de cette prime, la boucle est ainsi bouclée. Mais le modèle économique ne vaudra que si les agriculteurs de colza augmentent les surfaces en production. Elles sont en baisse depuis trois ans. Avec les cours actuels très élevés, et les nouveaux débouchés comme Oleo100, les producteurs devraient être incités à semer plus pour la récolte 2022, alors que celle de 2021 sera très faible.