La chasse doit s’adapter : telle est la conclusion du « livre blanc » publié par la Fondation François Sommer. On aurait aimé un ton plus offensif, mais les rédacteurs ont préféré faire le « dos rond ». Se montrer « consensuel » comme on dit aujourd’hui. Le constat de départ est implacable. En 1945, après la seconde guerre mondiale, notre pays comptait 45 millions d’habitants et environ 2,5 millions de chasseurs, soit 10 % des citoyens en âge de chasser. Près d’un siècle plus tard, le pays compte près de 75 millions d’habitants et un million de porteurs de permis, soit environ 1 % des Français ayant l’âge requis. Comment en est-on arrivé là ? Par la modification de l’habitat, d’une part et par l’évolution des idées, d’autre part. Alors que la France d’après-guerre était une France agricole, la France du XXIème siècle est une France urbaine sans contact avec la nature et ses réalités. Quant aux idées, l’une d’elles tient au fait que l’animal s’est progressivement humanisé. Tuer le cochon à la ferme ou tirer une perdrix, c’est aujourd’hui pratiquement trucider un parent. D’ailleurs, le vocabulaire montre cette évolution. Plus de jeunes, plus de mâles, plus de femelles mais des bébés, des papas et des mamans.

Les femelles ne mettent plus bas, elles accouchent. Et le bébé phoque trouvé sur la plage est conduit « en réanimation ».

Pour lutter contre ces dérives que le « livre blanc » évoque insuffisamment, les rédacteurs battent leur coulpe et plaident donc pour une « adaptation ». Comme si, depuis cinquante ans, la chasse ne s’était pas largement « adaptée » ! Parlons-en : une formation appropriée des jeunes chasseurs, une liste des espèces de gibier qui fond à vue d’œil, un permis renforcé avec épreuve de tir, une période de chasse singulièrement raccourcie, l’interdiction de certains modes de chasse traditionnels, l’interdiction de la grenaille de plomb sur les plans d’eau, l’interdiction de certaines armes et calibres, l’interdiction de l’agrainage, le respect d’une zone de protection autour des bâtiments. Ces « adaptations » ne calment en rien les adversaires qui en réclament toujours davantage, avec l’espoir de brider tellement ce loisir qu’il en deviendra impraticable.

Bien aimables

Le « livre blanc » demande aux chasseurs de se montrer bien aimables avec les autres utilisateurs de la nature. Ils le sont déjà. Avec bonne grâce, puisque ces utilisateurs se baladent souvent chez autrui. C’est le cas des randonneurs, vététistes, ramasseurs de champignons, cavaliers qui font fi des pancartes mentionnant une propriété privée. Les chasseurs qui, eux, ont payé leur droit de chasser doivent donc les saluer chapeau bas.

Ils le font dans la bonne humeur, mais ce n’était pas nécessaire d’inverser les rôles. Le document cite aussi comme exemple ce qui se passe en Allemagne, au Canada et aux États-Unis. L’Allemagne compte seulement 350 000 chasseurs, essentiellement de grand gibier, et les dégâts sont tels que la population ne moufte pas. Comment peut-on par ailleurs comparer les États-Unis et le Canada, pays aux espaces naturels infinis, où la chasse est inscrite dans la constitution, où les Québécois ramènent la tête de l’orignal sur le capot des voitures, où les armureries sont aussi banales que les épiceries, avec la France où la seule apparition d’un fusil de chasse tétanise journalistes et randonneurs ?

Ce n’est certainement pas en « s’adaptant » davantage que la chasse perdurera. D’ailleurs que peut-on lui demander de plus ? De ne plus fonctionner le dimanche ? Ensuite, ce sera le mercredi pour ne pas perturber les écoliers et puis, un autre jour encore, pour « la trêve animale », enfin on limitera ensuite le nombre d’heures ouvrables. Ce n’est pas non plus en poussant à la roue pour faire passer sur la liste des espèces protégées des espèces qui se portent bien mais qui, « politiquement », pourraient être exfiltrées. Faudrait-il aussi repousser l’âge auquel on peut passer son permis ? Raccourcir encore la période d’ouverture ? Interdire tout lâcher de gibier sur les territoires ? Faudrait-il tout simplement « adapter » la chasse d’une façon telle que plus personne n’ait envie de chasser ?

« Animalicide »

Quels arguments alors pour défendre les chasseurs ? Certainement pas les grandes idées. Dire que la chasse défend la biodiversité – ce qui est vrai – n’est d’aucune utilité puisque les opposants ignorent le fonctionnement de la nature. Ils ne voient que « l’animalicide ». En revanche, on peut opter pour des valeurs plus efficaces. La gastronomie par exemple. Les Français sont bons vivants et la perspective d’un rôti de marcassin, d’une chartreuse de perdreaux ou d’un lièvre à la royale peut les émouvoir. On peut aussi plaider la joie, le plaisir, la bonne humeur et la convivialité, toutes vertus partagées et bien accueillies par nos compatriotes. On peut longuement leur parler des chiens. On peut enfin souffler aux jardiniers amateurs ou aux villageois consternés devant leur potager retourné que la société de chasse locale a justement prévu d’augmenter son plan de chasse « sangliers ». Succès garanti.

La chasse s’est suffisamment « adaptée ». Il lui faut maintenant puiser dans un autre registre en espérant que le vent des idées s’oriente différemment. Après tout, ne dit-on pas que « la roue tourne ? ».