Au moment des pluies d’automne et d’hiver, quand les sols sont nus, l’azote s’échappe vers les nappes phréatiques. Le phénomène n’est pas nouveau et Jacques Fauvel sait bien que dans l’Eure, le phénomène peut prendre encore plus d’acuité quand les bassins de captage sont situés en pleine zone de grandes cultures.
« Avec une concentration proche de 50 mg de nitrates par litre d’eau, on s’est retrouvés à deux doigts de ne plus pouvoir utiliser l’eau du robinet de tout le bassin d’alimentation du captage de Tremblay-Omonville », indique Dominique Medaerts, président du Syndicat d’eau du Roumois et du plateau du Neubourg (SERPN). Le syndicat alimente en eau potable 33 000 habitants du centre de l’Eure et « une usine de dénitrification coûte trop cher », ajoute le président du SERPN.
Alors, pour préserver la qualité de la ressource en eau pour les prochaines générations, le syndicat de l’Eure a décidé, avec le concours des agriculteurs, la mise en place de couverts végétaux hivernaux captant les nitrates.
Dans le bassin d’alimentation du captage (Bac) de Tremblay-Omonville, 61 agriculteurs se sont engagés dans la démarche, moyennant un paiement pour services environnementaux (PSE). C’est un système assez révolutionnaire qui apporte des aides financières aux agriculteurs engagés dans la démarche en fonction des résultats obtenus.
Le syndicat d’eau de l’Eure a été sélectionné avec cinq autres projets européens (trois en France et trois en Angleterre) pour expérimenter ce dispositif mis en place sur cinq ans.

Faire d’une contrainte une opportunité

« Il s’agit d’un partenariat gagnant-gagnant entre le syndicat d’eau et les agriculteurs  », insiste Jacques Fauvel, installé à Ormes entre le Neubourg et Évreux, une commune dont il est maire.

La perte d’engrais dans les sols est à la fois coûteuse pour les agriculteurs et néfaste pour l’environnement.
« Toute la ferme est concernée par le bassin d’alimentation de captage. Je dois procéder à la réalisation des couverts végétaux sur les terres nues avant de semer les cultures de printemps. Ça fait partie du programme du PSE. Je continue de faire un mélange de cultures intermédiaires riches en apports d’azote, qui permettent de capter les nitrates restés dans le sol », indique Jacques Fauvel.
Le planteur de betteraves a semé, en septembre après la récolte de son blé, des couverts végétaux constitués de phacélies, de sarrasin, de trèfle et autres graminées, autant de pièges à nitrates fixant les reliquats d’azote. Les couverts ont été broyés en décembre et ils restituent de la matière organique pour les cultures suivantes. L’agriculteur a bien compris les enjeux de la préservation de la qualité de l’eau et comment faire d’une contrainte une opportunité pour la pérennité de la ressource en eau.
« Il faut semer des couverts à date précise. J’ai installé un semoir sur un déchaumeur, réduisant ainsi le coût de l’investissement. Implanter des couverts végétaux n’est pas onéreux. D’autres agriculteurs ont été obligés d’acheter un nouveau semoir, mais globalement tous les agriculteurs parties prenantes du projet sont satisfaits ».

6000 € par an

Jacques Fauvel est installé sur 147 hectares dont 40 hectares sont éligibles au PSE. L’agriculteur a toujours rempli ses objectifs de reliquats d’azote analysés en entrée d’hiver, et il touche environ 6 000 € par an, selon le syndicat d’eau. En moyenne, les aides sont de 110 € par hectare éligible au projet. Les agriculteurs engagés dans la démarche reçoivent un financement individuel par l’Agence de l’eau de Seine-Normandie.
« Mais, au-delà des résultats techniques et financiers, insiste Marie-Hélène Mettais, vice-présidente du syndicat d’eau et agricultrice, cette opération a permis d’enclencher une dynamique de groupe entre les agriculteurs d’un même territoire et de favoriser le partage d’expérience, ce qu’on n’observe pas dans les applications de la directive nitrate de 1991 ».
Pour le Syndicat d’eau du Roumois et du plateau du Neubourg, c’est une réussite ; il prévoit d’étendre les paiements pour service environnementaux à trois autres aires d’alimentation prioritaires. Comme Jacques Fauvel, d’autres agriculteurs vont se transformer en piégeur de nitrates !

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