« Je suis passé à l’intégrale parce qu’il n’y avait plus d’automotrice sur le marché », explique Sylvain Vincant, entrepreneur de travaux agricoles à Saint-Just-en-Chaussée, dans l’Oise. « Ou s’il y en avait encore, elles étaient beaucoup trop chères et pas compétitives par rapport à l’intégrale. Par ailleurs, les pièces de rechange étaient de plus en plus lentes à arriver. En pleine saison, on ne peut pas se permettre d’arrêter une machine pendant une semaine », rajoute-t-il. Mais c’est aussi la demande des producteurs séduits par les différents avantages de l’intégrale qui a orienté les choix des ETA. « Je n’ai pas à mettre de bennes dans le champ », explique Nicolas de Diesbach, agriculteur à Hendecourt-les-Ransart (Pas-de-Calais) et producteur de betteraves. Pour la récolte, il fait appel à l’ETA locale qui intervient avec une intégrale. « L’arrachage est de meilleure qualité : moins de tare terre et des collets mieux coupés », avoue-t-il. Pour beaucoup de betteraviers, le recours à l’intégrale représente un confort de travail et répond à une simplification des travaux des champs. Cela permet de semer du blé en même temps que les arrachages, alors que la période est souvent très chargée en travail. Et les avantages de l’intégrale ne s’arrêtent pas là : elle passe partout, même en condition difficile, ce qui est précieux en fin de campagne. « En condition très sèche ou très humide, j’ai des clients qui laissent leur M41 sous le hangar et qui font appel à moi », explique Sylvain Vincant. « L’année 2000 a été un tournant puisque seules les intégrales passaient en fin de saison », se souvient-il. David Mennesson, entrepreneur de travaux agricoles à Vigneux-Hocquet dans l’Aisne, relève de son côté une fiabilité bien plus grande des intégrales : « on tombe moins en panne. C’est une machine faite pour avaler beaucoup plus d’hectares ». Le débit de chantier, variable en fonction des conditions, est légèment plus important qu’avec une automotrice. Cependant, le prix catalogue oblige certains utilisateurs, surtout les ETA, à tourner avec 2 chauffeurs qui font chacun 9 heures. « Il a fallu que les clients s’adaptent au double poste et acceptent de se lever à 3 h du matin pour débarder les betteraves avec leur benne. Ça n’a pas été facile », rajoute l’entrepreneur de l’Aisne. Enfin, dernier avantage des intégrales, selon le CDER de la Marne, les silos pointus et sans creux assurent une meilleure conservation des betteraves.

L’intégrale ne convainc pas tout le monde

Pourtant, certains agriculteurs ne se satisfont pas de ce système. Le coût de l’arrachage et le tassement sont plus importants. « J’étais passé à l’arrachage par ETA, avec une intégrale, mais j’ai fait demi-tour », explique Bruno Cardot, agriculteur à Moÿ-de-l’Aisne (Aisne) qui s’est regroupé avec quelques voisins pour racheter une automotrice M41 d’occasion. « Ça ne fait pas de supers beaux collets, il y a un peu plus de tare terre, mais l’arrachage nous revient moins cher et le tassement de sol est réduit », explique-t-il. Autre avantage de l’automotrice : elle permet aux agriculteurs de s’équiper sans avoir recours à l’ETA et ainsi de maîtriser leur planning d’arrachage. « On choisit les périodes qui vont bien pour arracher, ce qui nous permet d’avoir des tares terre faibles et de protéger la structure des sols », explique Frédéric Choiselat, agriculteur à Echemines (Aube). Sébastien Dillies, directeur marketing et commercial de Ropa précise cependant qu’il ne faut pas stigmatiser l’intégrale : « l’achat d’une machine d’occasion reconditionnée par le constructeur (150 000 € à 250 000 € ) permet de l’amortir sur une surface plus réduite, et donc d’intervenir dans de bonnes conditions, tout en profitant des atouts de cette technologie ». Concernant les automotrices, Frédéric Choiselat fait remarquer que « les mécanos qui connaissent cette machine sont de moins en moins nombreux ». Bruno Cardot, lui aussi, s’inquiète pour l’avenir en évoquant l’arrêt de production des automotrices.

Mais pourquoi la société Exel Industrie (Holmer), qui a racheté les entreprises Matrot et Moreau, a-t-elle arrêté la production des automotrices au profit des intégrales ? Selon l’entreprise, la réponse est liée au processus industriel de production : « en 2014, on n’avait plus assez de commandes pour écraser les coûts et produire à un prix compétitif. Si on les fabriquait en petite quantité, leur coût augmenterait de 70 % », explique Juergen Eifler, directeur commercial de la société Holmer. « On avait dit qu’on referait une série d’automotrices si on avait un minimum de 8 commandes, mais on ne les a pas eus », précise-t-il. Par ailleurs, la France était le dernier pays à utiliser ce type de machine.

La société Holmer assure toujours la fourniture de pièces détachées, à des coûts élevés selon Bruno Cardot, et propose une activité de rénovation des anciennes machines. Mais cette prestation est aussi relativement onéreuse. Il faut compter plus de 100 000 euros pour leur remise en état, explique l’agriculteur de l’Aisne. Moins d’une dizaine de machines sont reconditionnées par an dans l’atelier de l’entreprise Holmer.

Le marché des chantiers décomposés au point mort

Bruno Cardot et ses voisins se sont aussi penchés sur les outils tractés. « Lors de l’évènement Betteravenir 2016, Franquet était à deux doigts de faire un carton avec son nouveau modèle ! », explique-t-il. En effet, son plus faible coût et la facilité d’entretien peuvent séduire de nombreux agriculteurs. Une arracheuse poussée de la même marque était aussi en démonstration : « tout le monde a trouvé géniale l’idée d’arracher à l’avant d’un tracteur qui conserve ses roues larges mais personne ne franchit le pas », explique Mathieu Cercus, responsable commercial chez Franquet, qui affirme réaliser l’essentiel de ses ventes à l’export, notamment au Maghreb. Pourquoi ? « Parce qu’elles n’étaient pas encore tout à fait au point, et elles étaient un peu déficientes en dévers », explique Bruno Cardot. Erwin Pjater, responsable produit chez Grimme a une autre explication : « comme pour les automotrices, les arracheuses traînées sont produites en trop petite quantité pour que les coûts soient écrasés. À 200 000 € neuves, elles rentrent en compétition avec les intégrales d’occasion qui sont de plus en plus nombreuses ». En effet, selon Sébastien Dillies, on peut trouver de bonnes intégrales reconditionnées par le constructeur pour 150 000 € à 250 000 €.

Autre solution, le chantier décomposé (arracheuse et chargeuse sur deux tracteurs séparés ou arracheuse et débardeuse) présente un avantage indéniable par beau temps. « Quand il y a du soleil, pour la tare terre, c’est extraordinaire », se réjouit Timothé Willemet, entrepreneur et agriculteur à Sorbon dans les Ardennes. En effet, le séchage des betteraves, entre l’arrachage et le chargement, facilite le nettoyage. Même raisonnement pour les champs sales où ce système est préconisé en raison du séchage possible des adventices. Mais là aussi, malgré un investissement très compétitif (160 000 € hors tracteur), un coût d’entretien très modéré (1000 € et 2 jours de travail par an), un faible tassement et la liberté qu’amène cette solution pour l’exploitant, ce système demeure confidentiel. Selon l’agriculteur, le manque de recherche et d’innovation rend les outils un peu dépassés. « On a un peu plus de perte, surtout si on accélère, et la tare terre explose en situation humide ».

Le passage en 12 rangs, une solution d’avenir ?

Autre innovation, le passage des intégrales en 12 rangs. Une solution qui présente des avantages inéluctables : si une machine 6 rangs coûte environ 600 000 €, une 12 rangs ne coûte que 700 000 €, annonce la société Holmer, pour une productivité qui se rapproche du double. Selon Frédéric Martin, entrepreneur à Argers (Marne), la 12 rangs peut récolter 1,5 à 2 ha/h, là où la 6 rangs n’arrache que 0,7 à 1,1 ha/h. C’est surtout sur les ouvertures de pièces que la plus grosse machine apporte une solution. « On a deux fois moins de manœuvres à faire », explique Frédéric Martin. Les clients de l’ETA apprécient particulièrement la vitesse de travail de la 12 rangs : l’arrachage dure moins longtemps et permet de revenir plus vite au semis de blé. L’allongement de la largeur de travail apporte aussi un avantage sur la consommation de gasoil, qui passe d’environ 30 à 35 l/ha à 27 à 30 l/ha selon l’entrepreneur. Le passage en 12 rangs demande moins de chauffeurs, avantage indéniable alors que le recrutement de main-d’œuvre qualifiée est une vraie problématique pour certaines ETA. Par ailleurs, l’intégrale de grande largeur tasse moins le sol, car elle ne passe pas sur toute la surface. Pour Sylvain Vincant, « la 12 rangs, c’est l’avenir » puisque ce système va permettre de faire baisser les coûts. L’entrepreneur s’inquiète en effet de l’augmentation probable de ses prestations dans les 3 prochaines années. « On va être obligés d’augmenter nos tarifs de 25 % à 30 % pour compenser la hausse des prix des arracheuses, du coût de la main-d’œuvre et de celui de fioul », se désole-t-il.

Pourtant, l’élargissement des arracheuses ne se développe pas beaucoup. En Europe, seules 10 % des intégrales, toutes marques confondues, sont en 12 rangs, estime Juergen Eifler. Deux freins existent à cette évolution et sont liés au semoir : l’écartement des rangs et la largeur du semoir. En effet, si les 6 rangs peuvent varier l’espacement interrangs pour s’adapter au semis à 45 cm ou 50 cm d’écartement, les 12 rangs ne le peuvent pas. Le bâti d’arrachage est fixe et il faut le changer pour passer d’un écartement à l’autre. Cela oblige à acheter 2 bâtis d’arrachage. Par ailleurs, une intégrale de 12 rangs nécessite un semis également réalisé avec un semoir 12 rangs, alors que les arracheuses 6 rangs s’adaptent au semoir 6 et 18 rangs (3×6). Autre élément à prendre en compte : le passage en 5,40 m nécessite une logistique importante de débardage pour permettre à la machine d’exprimer son potentiel. En effet, les trémies ne sont pas beaucoup plus grandes et nécessitent d’être vidangées plus souvent. « L’intégrale 6 rangs est appréciée pour son autonomie. Augmenter la largeur d’arrachage revient à retourner au système de l’automotrice. C’est le retour des bennes et de la main-d’œuvre dans la parcelle », explique Sébastien Dillies de la société Ropa, qui ne commercialise presque exclusivement que des 6 rangs en France. Enfin, la 12 rangs nécessite un chauffeur particulièrement aguerri, explique Sylvain Vincant, denrée rare et difficile à trouver, précise l’entrepreneur qui s’est limité à une seule 12 rangs sur son parc de 10 machines. Malgré son coût et son poids, l’intégrale 6 rangs a encore de beaux jours devant elle.