Lors d’un webinaire qui s’est tenu le 10 novembre dernier, Timothé Masson, agroéconomiste à la CGB, a proposé un décryptage des grands points marquants de la réforme de la PAC qui s’appliquera dès le début de l’année 2023.

La conditionnalité est maintenue et renforcée

Pour rappel, la conditionnalité est un ensemble de mesures que chaque bénéficiaire devra adopter pour pouvoir prétendre aux aides PAC. C’est bien une obligation, au risque de voir les aides du premier et du deuxième pilier être diminuées. Dans la nouvelle PAC, elle est maintenue et renforcée. Dans la continuité de l’ancienne PAC, elle se compose de plusieurs pratiques appelées « bonnes conditions agricoles et environnementales » (BCAE), de certaines des législations européenne et française auquel chaque agriculteur doit se conformer (directive nitrate par exemple) et se dote d’un nouveau volet appelé « conditionnalité sociale », qui vise à intégrer le droit lié à la protection des travailleurs propre à chaque pays. Les modifications qui touchent les grandes cultures se trouvent notamment dans les BCAE 6, 7 et 8, explique Claude Soudé, directeur adjoint de la fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux (Fop), en charge des relations européennes et internationales.

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Une obligation de couverture des sols qui évolue peu

La BCAE 6 concerne la couverture des sols. Les évolutions par rapport à l’ancienne PAC concernent principalement les exploitants en zone non vulnérable. « 99 % des betteraviers sont en zone vulnérable et étaient déjà très avancés sur le sujet en raison des directives nitrates », rappelle Timothé Masson. Les quelques betteraviers restants devront veiller à laisser un sol couvert (couverts semés, repousses, mulch, cannes ou chaumes) en cas d’interculture longue, et ceci pour une durée d’au moins 6 semaines. Les dates sont à positionner librement entre le 1er septembre et le 30 novembre. Grâce à l’action de la FNSEA, cet aspect de la conditionnalité reste relativement peu contraignant.

Le casse tête de la rotation

La BCAE 7 concerne la rotation des cultures et contient deux obligations. Tout d’abord, sur 35 % de leur SAU, dont sont déduites les jachères, les prairies et les cultures pluriannuelles (dont fait partie la luzerne), les agriculteurs doivent alterner les cultures par rapport à l’année précédente ou implanter un couvert hivernal entre les deux cultures identiques. Comme ce couvert doit être présent sur la parcelle durant l’automne et l’hiver, seule une culture de printemps peut se succéder à elle-même sur ces 35 % de SAU. Le blé sur blé n’est donc pas possible sur ces 35% de la surface. Noëlle Poisson, directrice adjointe de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), précise que ce choix entre l’alternance des cultures et le couvert hivernal n’est pas unique sur les 35 % de SAU concernée. Un agriculteur peut choisir une option sur 20 %, et l’autre option sur 15 % par exemple. Grâce à l’action de la FNSEA et de ses associations spécialisées, une orge semée en hiver est considérée comme une culture différente d’une l’orge semée au printemps. De même pour le blé tendre et le blé dur, qui correspondent à 4 cultures possibles (tendre/dur, hiver/printemps). La deuxième obligation de la BCAE 7 consiste à implanter au moins deux cultures différentes en quatre ans sur chacune des parcelles de l’exploitation. Là aussi, l’implantation d’un couvert semé entre ces cultures chaque année permet de déroger à cette dernière obligation. D’autres dérogations spécifiques ont pu être obtenues (mais semences, exploitations situées sur les plaines alluviales du Rhin etc..) précise Sylvain Lhermitte, chef de service politique agricole et prospective de la Fnsea.

Certaines surfaces ne contribueront plus à la souveraienté alimentaire

La BCAE 8 concerne les surfaces non productives. Sur ses terres labourables, chaque agriculteur doit compter 4 % d’éléments non productifs, appelés aussi infrastructures agroécologiques (IAE). « Ces éléments sont issus des surfaces d’intérêt écologique (SIE) de l’ancienne PAC, mais le miscanthus, l’agroforesterie, les surfaces reboisées, les taillis à courtes rotations, les couverts semés, les cultures fixatrices d’azote et les bordures de bois productives en ont été exclus », explique Nicolas Ferenczi, responsable de l’économie et des affaires internationales de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB). À noter qu’une bordure de bois productive est une bordure de bois qui touche la parcelle cultivée. Si une bande de minimum 1 mètre de large, manifestement reconnaissable et non cultivée est implantée entre le bois et le champ, la bordure de bois devient « non-productive » et rentre dans les IAE. Cette subtilité peut être intéressante aux vues de la baisse de rendement souvent observée le long des bois (dégâts de lapin, ombre des arbres, …). Comme pour les SIE, chacun de ces éléments se voit attribuer un coefficient multiplicateur pour être converti en équivalent surface (voir tableau). Ces ratios n’évoluent pas, à l’exception de celui des haies qui a doublé (1m linéaire équivaut à 20 m2 de IAE). Par ailleurs, la période durant laquelle ces dernières peuvent être taillées évolue aussi. Attention cependant au risque de sanctuarisation des haies et de transformation des jachères en prairies permanentes. La surface de IAE peut être réduite jusqu’à 3 %, si par ailleurs la somme des IAE, des couverts semés (avec un ratio de 1 pour 0,3) et des légumineuses cultivées sans phytosanitaire (avec un ratio de 1 pour 1) atteint au moins 7 %. On peut relever ici la volonté assumée de l’État français de réduire la surface agricole qui contribue à sa souveraineté alimentaire déjà en déficit.

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Une dérogation « Ukraine » bienvenue mais pas entièrement cohérente

En raison de la guerre à l’est de l’Europe, une dérogation (dite dérogation « Ukraine ») sera appliquée sur certains éléments de la conditionnalité. Attention, elle n’est pour l’instant valide uniquement qu’en 2023. Elle concerne l’obligation de rotation sur 35 % de la SAU (l’une des deux obligations de la BCAE 7) ainsi que les jachères de la BCAE 8. Ne pourront être déclarées comme « jachères BCAE 8 » et donc cultivées, toutes les cultures à l’exception du maïs et du soja. En revanche, la contrainte « 2 cultures sur 4 ans » de la BCAE 7 devra être satisfaite en 2025. L’exclusion de ces deux plantes est difficilement compréhensible quand on sait que l’Europe est importatrice nette de maïs et de soja. Par ailleurs, on peut souligner une incohérence manifeste entre l’exclusion par la Commission européenne du soja et la volonté affirmée de la France de donner une place croissante aux légumineuses, volonté particulièrement visible dans l’écorégime diversité et dans l’enveloppe disponible pour les aides couplées (voir volet 2/3 dans le prochain numéro du Betteravier français).

Les écorégimes : une couche supplémentaire de réglementation

Deuxième axe important de la nouvelle PAC. Les écorégimes. « C’est 25 % du budget du premier pilier. C’est énorme et c’est donc incontournable », précise Timothé Masson. C’est aussi une couche supplémentaire de réglementation qui s’ajoute aux millefeuilles des paiements. Chaque agriculteur peut choisir entre trois voies pour l’ensemble de son exploitation : « biodiversité et paysage agricole » (appelée aussi « IAE »), « certification » et « pratiques de gestion agro-écologiques des surfaces agricoles » (appelée aussi « diversité » ou « pratiques »). Il peut aussi n’en choisir aucune mais s’expose à une perte d’argent importante. Chaque écorégime a deux niveaux rémunérés différemment : standard et supérieur (avec un niveau supplémentaire pour l’agriculture biologique).

L’écorégime diversité est le plus approprié aux betteraviers

« La majorité des betteraviers aura plutôt intérêt à choisir l’écorégime diversité », explique Timothé Masson. Ce dernier fonctionne avec un système de points. Il faut en obtenir 4 pour avoir le niveau standard et 5 pour le niveau supérieur. Les points sont attribués en fonction de la part de chaque culture dans l’assolement des terres arables (voir tableau). À noter qu’on ne peut cumuler que 4 points maximum avec les cultures dites traditionnelles. Le 5e point doit obligatoirement s’obtenir avec des légumineuses, des jachères, des prairies ou d’autres cultures. Attention, les jachères permettant de valider cet écorégime ne sont pas concernées par la dérogation « Ukraine ». Par ailleurs, le niveau standard nécessite de limiter la rénovation des prairies permanente à 20 % par an (et 10 % pour le niveau supérieur). Dernière exigence, les inter-rangs des cultures pérennes (principalement verger et vigne) doivent être enherbés sur 75 % de la surface en niveau standard et sur 95 % en niveau supérieur.

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Pour les agriculteurs bio ou HVE nouvelle version, le travail est déjà fait

L’écorégime certification est particulièrement préconisé pour les exploitants engagés ou voulant s’engager dans une certification environnementale ou bio. En effet, l’obtention du label HVE valide automatiquement le niveau supérieur de cet écorégime. De même pour le label bio qui valide un niveau « premium » réservé à ce type de culture, et assure un paiement supérieur. Attention, la certification HVE concernée provient du nouveau cahier des charges qui est beaucoup plus exigeant. L’ancien HVE ne sera valable que pour l’année 2023 et seulement si la certification a été faite avant le 1er octobre 2022 et par la voie A. Quant au niveau standard, il est beaucoup plus accessible. Il est validé par une certification spécialement conçue pour la nouvelle PAC : le CE2+. Il s’agit de la certification environnementale de niveau 2 couplée à l’obtention d’un des 4 items du HVE, ou à celle de l’item « sobriété » créé aussi pour la circonstance. Ce dernier se définit par l’utilisation de deux OAD ou matériel de précision concernant les intrants (dont au moins un sur les phytos), et par la pratique de recyclage de déchets (du type Adivalor). On remarquera qu’aucune reconnaissance n’a été accordée à l’agriculture de conservation des sols, pratique qui aurait pu faire l’objet d’une certification.

« Biodiversité et paysage agricole » : ne plus cultiver 7 % à 10 % de sa ferme.

L’écorégime « Biodiversité et paysage agricole » concerne les infrastructures agroenvironnementales (IAE), également présentes dans la BCAE 8. Mais pour valider le niveau standard, les IAE doivent représenter 7 % de la SAU (avec les mêmes coefficients multiplicateurs). Le niveau supérieur s’obtient quant à lui avec 10 % d’IAE. Selon Timothé Masson, peu de betteraviers s’engageront dans cette voie. Tout comme pour la BCAE 8, les pouvoirs publics français ne semblent pas craindre une réduction de la surface cultivée, surface pourtant nécessaire pour nourrir les citoyens de l’hexagone et d’ailleurs.

Pour les deux écorégimes certification et diversité, un bonus « haie durable » est disponible : si votre surface en haie (1 mètre linéaire équivaut à 20 m2) représente au moins 6 % de la SAU et que votre gestion des haies est certifiée, vous pouvez bénéficier d’un bonus de 7 euros par hectare.

Attention, les satellites vous surveilleront de près

Pour ce qui est des contrôles, ils passent majoritairement sur suivi satellitaire. Le « nouveau système de suivi des surfaces » (SSR) va contrôler le couvert des parcelles tous les 3 jours, et l’activité effective agricole tous les 6 jours à partir du 1er janvier 2023. Par ce moyen, le gouvernement souhaite diminuer les contrôles sur place sans pour autant le remplacer complètement. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a obtenu la mise en place d’un droit à l’erreur en ce qui concerne la déclaration. Les agriculteurs recevront une alerte en cas de suspicion de non-conformité. Ils auront la possibilité de prouver leur bonne foi par l’envoi d’une photo géolocalisée et de rectifier leur déclaration sans pénalité.

Sylvain Lhermitte tient à préciser : « Pour cette première année de mise en œuvre, il faut s’assurer, durant la période de déclaration, que les dossiers PAC soient bien remplis, avec toutes les informations disponibles, comme par exemple, les numéros de sécurité sociale de tous les associés, afin de réussir collectivement cette campagne et que le paiement des aides puisse avoir lieu, comme attendu, au 16 octobre. Ce n’est que par des efforts de tous, agriculteurs, conseillers et administration que la mise en œuvre pourra être réussie ! »