« Paysans, Du ciel à la Terre », un long métrage à destination du grand public traite de la vie des sols agricoles. Pour une fois, un film s’intéresse à des initiatives positives plutôt que de glisser sur la pente de l’agribashing. Le réalisateur réussit à ne pas opposer les systèmes. « Finalement, je prends conscience que chacun fait de son mieux », affirmera le narrateur au cours de l’enquête.

L’introduction annonce que la problématique de ce long métrage est l’érosion des sols et les coulées de boue. Mais le corps du film n’y revient pas et traite plutôt de la vie des sols en général. Une confusion va donc planer sur cette première partie : pour le narrateur, la cause de l’érosion est le manque de vie dans le sol. Pourtant, on peut douter de cette conclusion. Les coulées de boue ne sont-elles pas plutôt dues au travail profond et intensif du sol, ainsi qu’à l’absence de matière organique et de résidu de culture ? « Mon intuition est d’aller en priorité vers des agriculteurs biologiques », entend-on dire de la voix du narrateur. Il s’installe alors une erreur à laquelle le grand public risque d’être sensible : l’agriculture biologique serait une solution, voire la première, à l’érosion des sols. Richard Vilbert, agriculteur bio à Rubempré dans la Somme, explique comment il fait évoluer ses pratiques pour favoriser la vie du sol. Et parmi elles, celles qui agissent concrètement sur l’érosion ne relèvent pas vraiment du cahier des charges bio mais plutôt de l’agriculture de conservation des sols (ACS) : couverture du sol, arrêt du labour (en réalité, l’agriculteur utilise une charrue déchaumeuse à 15 cm, mais non systématiquement), porosité du sol (grâce aux vers de terre entre autres). À ce stade de l’enquête, le narrateur conclut : « l’agriculture bio est à l’évidence une solution ». Pourtant, Richard Vilbert affirme lui-même devant la caméra : « en bio, on travaille quand même plus le sol parce qu’on n’a pas les produits chimiques ». Interviewé par le Betteravier français, l’agriculteur précise : « Bio ou pas bio, si on laboure à 30 cm, l’érosion sera toujours là. Ce n’est pas le fait d’être en bio qui empêche l’érosion, c’est la profondeur du labour ». Mais le grand public risque de ne pas percevoir cette subtilité. Même raisonnement avec Jean-Michel Sauvage, agriculteur bio lui aussi, qui présente les intérêts de la luzerne en termes de non-travail et de structuration du sol. Tous les spectateurs savent-ils que la culture de la luzerne n’a rien de spécifique à l’agriculture biologique ? Il faut noter la présence d’une erreur bien connue : celle qui consiste à dire que le bio se passe de pesticide, alors que les pommes de terre de Richard Vilbert sont protégées avec du cuivre. Et contrairement à ce dit Jean-Michel Sauvage, les producteurs bio peuvent avoir recours à des produits anti-limace (phosphate ferrique).

L’agriculture de conservation à l’honneur

Néanmoins, un des intérêts du film est l’évolution de la pensée du narrateur.
Il prend conscience de la complexité du sujet, ne s’arrête pas à l’agriculture biologique et se tourne dans un deuxième temps vers l’ACS. On peut saluer qu’un film présente positivement ce mode de culture au grand public qui le connaît si peu. Il parvient à s’extraire de la seule question des pesticides pour montrer l’intérêt de cette pratique. Parmi les différentes illustrations, Jean-Paul Dallenne, betteravier à Oppy dans le Pas-de-Calais, explique comment il applique l’ACS au cas complexe de la pomme de terre, grâce aux buttes d’été sur lesquelles il fait pousser un couvert. Franck Dehondt, betteravier lui aussi, à Lucheux (Somme), explique pourquoi il apporte des micro-organismes bénéfiques pour le sol, une pratique peu connue.

Le film montre bien en quoi l’ACS est favorable à la vie du sol, mais le lien avec l’érosion est plus discret. C’est dommage car, en réalité, ces agriculteurs ont développé des pratiques très intéressantes pour répondre à cette problématique. Jean-Paul Dallenne, qui n’a pas encore réussi à se passer de la fraise au printemps, observe quand même une diminution très franche des écoulements d’eau et de terre dans ses buttes. Pour lui, cela vient de la présence de débris végétaux qui font de petits barrages tous les 3 ou 4 mètres entre les buttes. Grâce à son couvert et à ses buttes d’été, il observe une multiplication par trois des vers de terre. Maximilien Hoguet, agriculteur à Œuf-en-Ternois dans le Pas-de-Calais, a pris le pari de ne pas travailler finement sa terre pour ses pommes de terre de fécule. Pour lui, « si des mottes ne proviennent pas de la compaction des sols et contiennent suffisamment de matière organique, elles évoluent et ne se retrouvent pas à l’arrachage ».

On peut regretter cependant que le long métrage fasse référence, d’une façon qui peut porter à confusion, à un certain nombre d’éléments sans rapport avec l’érosion ou la vie des sols, comme l’autoproduction de semences, la vente directe, la cuisson du pain au feu de bois ou l’odeur des sureaux. Selon le réalisateur, il s’agit ici d’accrocher le grand public.

Enfin un discours ajusté sur le glyphosate

Au niveau de l’utilisation des pesticides, le ton employé oscille entre un anti-pesticide assumé et un discours beaucoup plus réaliste : « Ça ne nous fait pas plus plaisir que cela », affirme Maximilien Hoguet en expliquant que, sans produit phytosanitaire, il n’y aurait pas de pomme de terre. Il témoigne aussi de sa volonté de réduire leur usage, particulièrement celui des insecticides qui peuvent détruire les auxiliaires. Mais « tous les produits sont dangereux. C’est la dose qui fait le poison », précise Richard Vilbert.

Sur le sujet du glyphosate, on peut saluer un discours très juste du réalisateur, qui ose s’attaquer à ce sujet si polémique : « J’utilise le glyphosate quand je veux éviter de travailler le sol. Ça permet de foutre la paix au sol, et de laisser l’habitat du sous-sol en l’état, intact », explique Maximilien Hoguet. Le film explique comment ce produit permet aux agriculteurs de mettre des couverts, de piéger du carbone et de lutter contre le réchauffement climatique. Et Jean-Paul Dallene met en avant le fait qu’un sol vivant détruit plus facilement les matières actives.

« Je suis perdu, interloqué et bousculé dans mes certitudes : certains utilisent le glyphosate comme un moindre mal pour venir au secours de la vie des sols », comprend le narrateur avec authenticité. Peut-être réussira-t-il, avec ce film, à faire évoluer vers plus d’objectivité la pensée de l’ensemble de ses spectateurs ? Retrouvez les dates des projections sur https://www.paysansducielalaterre.fr/